Zimbabwe – Interdite par Mugabe, une pièce sur le massacre de Gukurahundi enfin à l’affiche
C’était une « première », mais avec six ans de retard. Interdite en 2012 par le président zimbabwéen de l’époque Robert Mugabe, une pièce de théâtre sur des massacres commis par son régime au début des années 1980 a enfin pu être mise à l’affiche.
La chute en novembre du vieil autocrate a convaincu son auteur et le directeur d’un théâtre de la capitale Harare que l’heure était venue de présenter au public 1983, les Années noires. Même si le nouveau président Emmerson Mnangagwa fut l’un des acteurs des événements meurtriers que la pièce décrit.
« Gukurahundi » : arracher l’ivraie
« Nous pensons avoir fait notre devoir », estime Davies Guzha, le directeur du Théâtre du Parc qui vient d’accueillir les trois représentations de la pièce, « il était grand temps d’engager le débat sur Gukurahundi ». « Gukurahundi », littéralement « Séparer le bon grain de l’ivraie » en langue shona. Même 35 ans après, le nom de code de cette opération militaire résonne encore avec effroi dans la mémoire collective zimbabwéenne.
Après l’indépendance obtenue du Royaume-Uni en 1980, l’unité affichée par la rébellion n’a pas fait long feu. Dès 1982, le Premier ministre de l’époque Robert Mugabe règle ses comptes avec son principal frère d’armes devenu rival, Joshua Nkomo.
Composée en majorité de soldats issus de l’ethnie shona, celle du nouvel homme fort du pays, la 5e brigade de l’armée zimbabwéenne, entraînée par des Nord-Coréens, lance l’offensive : bastonnades, exécutions sommaires, villages brûlés, l’opération « Gukurahundi » tourne au massacre de masse. Selon les experts, environ 20 000 civils sont tués, pour la plupart issus de l’ethnie ndebele comme Joshua Nkomo.
Alors ministre de la Sécurité, Emmerson Mnangagwa est accusé d’être l’un des principaux artisans d’une répression peinte sous un jour très réaliste par 1983, les Années noires.
Une œuvre crue pour un massacre inoubliable
« Nous allons tous vous tuer », assène, dans l’une des scènes, un soldat à une civile qui l’implore d’épargner sa vie. « Finissez-les ! », ordonne un autre. S’ensuit alors, devant un public muet de frayeur, une séance de torture dont la jeune femme ne sort pas vivante. Son corps est ensuite jeté dans le puits d’une mine abandonnée, au milieu de ceux de dizaines d’autres victimes.
L’œuvre, écrite en 2011 par Bhekumusa Moyo, décrit avec les détails les plus crus les violences infligées aux populations. Elle s’ouvre sur un dialogue entre un homme et sa nièce, née du viol de sa mère par un soldat pendant Gukurahundi. « Oublie ça, trouve en toi la force de pardonner et d’oublier », lui demande l’oncle, avant de lui avouer que sa mère s’est suicidée après avoir été contrainte de tuer un de ses enfants sur ordre des militaires. L’oubli est évidemment impossible…
Le monde de la culture ne semble plus prêt à se taire. « Trop d’enfants du Matabeleland ne connaissent toujours pas leurs origines », estime le metteur en scène de la pièce, Adrian Musa. « Cela affecte leur vie. »
[avec AFP]
Photographie de Une – Les Zimbabwéens célèbre la démission du président Robert Mugabe en 2017
(crédits : REUTERS / Mike Hutchings)