William David : « Le jeu vidéo est encore loin d’être considéré comme un objet culturel »
Quand on parle de l’économie du jeu vidéo aujourd’hui, c’est souvent pour en souligner le poids financier et ainsi justifier tout sursaut d’intérêt des politiques publiques ou des médias… On ne compte plus les articles encourageant l’opinion publique à changer son regard sur l’industrie. Mais quelle est la réalité du jeu vidéo indépendant aujourd’hui ? Comment se passe le financement d’un projet ?
Profession Spectacle a rencontré le co-fondateur de la société de production de jeux vidéo Swing Swing Submarine, William David, à l’origine de Blocks that Matter (2011) et Seasons After Fall (2016).
Quelle est l’histoire de Swing Swing Submarine ?
On a commencé en 2009 avec Guillaume Martin, un collègue d’Ubisoft Montpellier. Ubisoft est une bonne boîte, mais ça ne me correspondait pas de bosser six mois sur un projet avant qu’il ne soit stoppé net sans trop qu’on sache pourquoi. On a travaillé ensemble dans ma salle à manger pendant un petit moment, puis on a créé la boîte en 2010. On bossait sur pas mal de projets flash, comme Tuper Tario Tros, mélangeant Tetris et Mario, qui a permis de nous faire connaître. On n’avait pas d’argent, évidemment ; on a seulement mis 500 € chacun de nos poches pour commencer… On a appris sur le tas. Face aux difficultés, on a par la suite décidé d’arrêter le prototype de Seasons et de partir sur un projet plus commercial : Blocks That Matter, un puzzle-game qu’on a fait rapidement, en 6 mois. Puis sa suite TetroBot and co quelque temps après.
Comment avez-vous financé vos jeux phares, Blocks That Matter et Seasons AfterFall ?
Sur nos fonds propre, globalement. Mais c’est Blocks that matter qui nous a permis de vivre pendant deux ans. TetroBot and Co n’a pas aussi bien marché ; on s’est retrouvé à nouveau sans argent. On a lancé un autre projet, en demandant une aide au CNC et en cherchant un éditeur, qu’on a trouvé chez Focus Home Interactive. Nous avons sorti récemment notre dernière création, Seasons After Fall, qu’on peut trouver sur Steam.
Le meilleur moyen de financement, en tout cas l’aide la plus simple pour un petit développeur, c’est évidemment le FAJV [Fonds d’Aide aux Jeu Vidéo du CNC, N.D.L.R.], mais il y a des conditions : il faut exister depuis X années, posséder la même somme que celle demandée… Les différentes règles à suivre font que cette aide est difficilement accessible pour un premier projet. Il est inévitable de devoir prendre des risques, au début, avec tes propres fonds.
Quel est le rôle du Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV) dans les négociations avec les pouvoirs publics ? Est-il représentatif de la production française ?
Le SNJV est vraiment utile. J’ai le sentiment qu’ils soutiennent et apportent une assistance concrète aux petits développeurs ; ils l’ont fait pour nous en tout cas. Et puis, oui, ils sont représentatifs du milieu puisque toutes les sociétés de productions majeures en font partie et ils défendent plutôt bien les intérêts de la profession dans leur dialogue avec le CNC et les institutions publiques.
La reconnaissance du jeu vidéo en tant que média culturel est encore loin d’être acceptée par une partie du grand public. Est-ce toujours une question de temps ?
Je pense qu’on est encore loin du moment où le jeu vidéo sera considéré comme un objet culturel, que ce soit par le grand public ou par les politiciens. Ça ne me fait pas peur outre-mesure. Je pense que cela viendra avec plus de maturation ; le processus est en cours.
Comment voyez-vous l’avenir du jeu vidéo indépendant en France ?
Le jeu vidéo s’intègre de plus en plus au quotidien des gens. Je pense que sa reconnaissance grandira s’il y a une plus grande diversité des grosses sociétés de production et – surtout – si le nombre d’éditeurs s’accroît… Il y a encore peu de monde pour financer le jeu vidéo d’un point de vue éditorial. On a beaucoup d’écoles et c’est positif ; mais la plupart concernent le « game-design » et trop peu les programmeurs. La relation avec le CNC se passe plutôt bien, mais il manque encore des aides pour les plus petits, sans parler du manque de communication autour de celles-ci. Globalement, l’avenir me semble plutôt bien. D’un point de vue créatif, il y aura toujours de petites équipes, des projets nouveaux verront le jour. Il y a du monde en France pour ça et on arrive à faire des jeux vraiment bons. Pour ce qui est du financement, je ne suis pas non plus pour un jeu vidéo sous perfusion, qui n’aurait plus rien à voir avec son public… Mais là où il existe beaucoup de mécanismes dans d’autres domaines, comme des résidences d’artistes ou une certaine forme de protection des auteurs, le jeu vidéo reste le parent pauvre de la créativité artistique. Peut-être que cela viendra. Le problème essentiel pour les créateurs indépendants est plutôt celui de la visibilité, dans un contexte de saturation des plates-formes comme Steam et de la diversité de la création indé au niveau international.
À propos de Steam, quelle relation entretenez-vous avec la plate-forme en tant que développeur ?
Concernant Steam, le problème est qu’ils ont renoncé à leur rôle d’éditeur et que les jeux qu’ils mettent en avant dépendent d’algorithmes dont on ne connaît pas la nature. Il n’y a pas vraiment de transparence de ce côté-là. C’est ce qui a forcé les petits développeurs à essayer d’assurer eux-mêmes une certaine forme de pré-communication, en vue de créer le buzz avant une sortie sur Steam ; mais tous n’en ont pas les moyens. Tout n’est pas mauvais, puisque la diversité des jeux proposés est favorisée par cette immense machine qu’est Steam. Ce qui est bon pour les joueurs peut néanmoins se révéler catastrophique pour les petits développeurs.
Si je vous comprends bien, c’est donc la question de la visibilité qui vous paraît primordiale comme enjeu pour les développeurs indépendants…
Oui. Pour revenir sur cette question, on manque en France d’occasions de se mettre en avant. La Paris Games Week n’est pas à la hauteur de cet enjeu et n’est pas pertinente pour des productions comme la nôtre. C’est peut-être là où les pouvoirs publics pourraient influer de manière positive, en rendant possibles plus d’initiatives dans ce sens, comme un vrai salon du développement en France. La Paris Games Week a très mauvaise presse chez les développeurs, l’Indiecade vient des US… Les seuls festivals français vraiment cools, comme le Stunfest, galèrent tant bien que mal à exister.
Propos recueillis par Maël LUCAS