Vivent les Woke, vive la Cancel !

Vivent les Woke, vive la Cancel !
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Où notre chroniqueur, fatigué sans doute, ou plus fainéant encore que d’ordinaire, à moins qu’il ne soit tout bonnement repentant, et peut-être vendu, abandonne sa chronique à un camarade et néanmoins adversaire, Jean-Philippe Herbien, qui cherchait une tribune où s’exprimer.

RESTEZ CHEZ VOUS

— Bien sûr, quand j’ai vu que c’était quelque part au Canada, j’ai été un peu déçu. J’aurais préféré que ce soit en France qu’on brûle des livres. Mais ce vent de pureté, sans doute, va souffler sur l’Europe.

Je vous épargne un peu le contexte de repentance aux Autochtones, aux Premières Nations du Canada. L’idéal, évidemment, serait de rembarquer tout ce petit monde de descendants d’affreux colons à bord des navires qui ont amené leurs salopards d’ancêtres. Voile à nouveau vers l’Europe ! Ce serait ensuite le tour des USA…

Pardon, je rêve et m’envole et m’égare… Il se peut aussi que la petite dame qui a organisé l’acte de foi de repentance pyromane n’ait pas été si Autochtone elle-même qu’elle l’avait d’abord laissé croire. Eh bien, même si je suis attaché à ce que seuls les gros critiquent les gros, les femmes les femmes, les décoloniaux les décoloniaux, il faut bien dire que ce principe n’est pas entièrement satisfaisant. Car à ce train-là, comme dirait ce pauvre Pascal Adam, qui n’est pas à un Point Godwin près, il faudra être aryen pour critiquer Hitler. Ou avoir un Ausweis.

N’en déplaise aux rabat-joie, il y a tout de même, on le voit, des raisons d’espérer : d’abord, parce que c’est dans des écoles, enfin, qu’on brûle des livres, et que cela, c’est un vrai progrès ; ensuite, parce que les catatholiques, ces réformés de la dernière pluie convertis à Gaïa grâce à leur jésuitique Grand Manie-Tout, ont fait preuve ici d’une grande modernité, tout en retrouvant certaines valeurs de leur passé qu’ils avaient (non sans raison) un temps rejeté, en participant à cet acte enthousiasmant de purification.

Des tièdes, des gens un peu conventionnels — dont on se souvient peut-être que Dieu (quoi que ce soit en définitive, la Nature, le Hasard, la Mère Noëlle, un saut quantique) les vomit —, auraient simplement débarrassé les bibliothèques des ouvrages dont ils ne voulaient plus. Ils les auraient revendus ; au pire, ils en auraient fait don. En tout cas, ils auraient hésité à brûler des livres. Les cons.

Ils seraient restés discrets. Les cons. Mais la discrétion, on ne le dira jamais assez, c’est l’ancien temps, l’ancien monde, les temps révolus. Nous, nous voulons être bruyants et bigarrés, pas silencieux et ternes ; spontanés et péremptoires, pas cultivés et polis. Nous voudrions être cela. Des brûleurs de livres. Nous ne pouvons pas encore, devoir de réserve oblige.

Il nous faut encore, pour mériter notre traitement et la pitance maigre qu’il permet, avoir l’air présentable, emphatique, bienveillant, travaillant toujours dans l’intérêt de ces enfants dont, au fond, nous ne souhaitons que le plus absolu naufrage. Mais nous pouvons admirer ces brûleurs de livres, oui. Et, dans le secret le plus grand, nous avouer qu’ils sont nos modèles ; qu’ils mènent à petite échelle artisanale et flamboyante de pionniers ce que nous menons nous à grand échelle industrielle triste et terne de cons ordinaires compassés.

Ils ont pour eux la poésie ; qui ne s’est pas abîmé à rêver à la faveur des flammes ?

Car évidemment, officiellement, je fais partie des cons.

Je ne peux pas me permettre, non, de dire ouvertement mon admiration pour ces brûleurs de livres. Et puis, qu’on y songe, ces BD, Tintin, Astérix, Lucky Luke, c’est toute une enfance, c’est plusieurs générations d’enfances, c’est l’enfance des gens comme moi, et il ne faut plus jamais de gens comme moi, comme nous, comme vous. Notre honneur, notre ultime honneur, c’est de travailler à notre disparition de la surface de la Terre. Nous allons nous auto-purifier en cramant nos enfances ! Si ce n’est pas merveilleux, ça, je ne sais pas ce qu’il vous faut !

Ah, cette éradication terminale, cette solution finale de ce que nous sommes, c’est peu dire que, discrètement, hélas, avec des méthodes grises et ternes certes, nous la menons aussi, et à cadence d’industrie ! Nous aussi, nous sommes Éveillés ! Nous aussi, nous effaçons ! Nous aussi, nous sommes des Wokes de la Cancel ! Pourquoi donc, croyez-vous que nous analphabétisons massivement ce pays, pour quoi croyez-vous que nous le déculturons ? Pourquoi fabriquons-nous des bacheliers qui ne savent pas lire mais qui veulent sauver la planète et des théâtres sans théâtre où il est seulement question de réciter ce qu’on nous dit qu’il faut dire ? Pourquoi, convaincus de ce que l’ère de l’imprimerie est terminée, ne nous lançons-nous pas à corps perdu dans ce qui devra prendre sa suite ? N’est-il pas merveilleux, au fond, que nous ne voulions plus du passé (même Alexandre Jardin est trop difficile à lire) ni de l’avenir (les gosses mangaïsés ont tout de même vaguement l’idée que les choses vont se jouer vers l’Asie) ? N’est-il pas merveilleux que nous ne voulions qu’un présent mort et sourd, détestable et détesté ?

Alors, ne sommes-nous pas, nous aussi, avec nos traitements maigrichons de para-fonctionnaires artistoïdes déclassés, des Woke et des Cancel ?

S’il nous manque la flamme, et sa flambe, c’est que nous œuvrons à grand échelle, et que cet effacement du passé, de la culture et de l’intelligence, nous le teintons dans la masse, littéralement.

Nous aussi, nous sommes purs et vides !

Jean-Philippe Herbien

Pascal ADAM

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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique, qu’il tient depuis janvier 2018.



 

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