Une question à… Valeria Bruni Tedeschi sur la souffrance et le traumastisme
À travers son nouveau film Les Estivants, qu’elle interprète également aux côtés de Valeria Golino et Riccardo Scamarcio, sans mentionner l’apparition surprise du cinéaste vétéran Frederick Wiseman, Valeria Bruni Tedeschi nous raconte l’histoire d’une famille qui essaie de surmonter un traumatisme du passé pendant leurs vacances d’été sur la Côte d’Azur, en s’inspirant de sa propre expérience. Le film a été présenté à la dernière Mostra de Venise.
Synopsis – Dans une grande et belle propriété sur la Côte d’Azur, Anna arrive avec sa fille pour quelques jours de vacances. Au milieu de sa famille, de leurs amis, et des employés, Anna doit gérer sa rupture toute fraiche et l’écriture de son prochain film. Derrière les rires, les colères, les secrets percent les rapports de dominations, les peurs et les désirs. Chacun se bouche les oreilles aux bruits du monde et doit se débrouiller avec le mystère de sa propre existence.
Pourquoi cette omniprésence de la souffrance, de la rupture, du passé traumatique, du harcèlement sexuel, dans votre dernier film ?
Valeria Bruni Tedeschi – La vie est pleine de souffrance. Personne n’est à l’abri de la douleur, de la solitude, de la maladie et de la mort. Il n’est pas de maison ou de quantité d’argent qui puisse nous protéger de cela. Je parle certes de personnes déterminées dans un endroit déterminé, mais finalement je parle de nous tous. Ce que j’essaie de dire, c’est que nous sommes tous dans le même bateau, et peut-être qu’il fuit, et peut-être qu’il est plein de trous et qu’on finira tous par mourir, mais le rire, l’ironie et une bonne compréhension du ridicule de notre condition peuvent vraiment aider. Tchékhov disait que la condition fondamentale de l’être humain est d’être ridicule. Il est bon de s’en souvenir.
[…] Mon film est une adaptation de la vie, mais après, il faut savoir s’en départir. J’ai parlé à ma famille et découvert que leurs limites ne sont pas toujours les mêmes que les miennes. Donc oui, il y a des conflits, mais je viens d’une famille d’artistes et ma mère, quand on lui donne l’occasion de jouer un beau personnage, sera toujours d’accord pour le faire. Nous n’avons pas peur de l’art, il a toujours été très présent chez nous. Je joue avec la vérité, mais quand ma fille, ma mère et mes amis apparaissent dans le film, ils jouent des personnages fictionnels. Le seule vraie différence, c’est que j’ai déjà un passé avec eux, donc je n’ai pas besoin de tout construire de toutes pièces.
[…] Il a fallu 50 ans pour que je me décide à parler de harcèlement sexuel, c’est long. J’ai une fille maintenant et quand on a des enfants, on se rend compte qu’ils sont conscients du problème. Ils sont très sensibles, et ils en entendent tellement parler que tout autour d’eux leur paraît menaçant. C’est la même chose pour les adultes. […] Chaque relation que nous construisons, que ce soit au travail ou dans notre vie sociale, porte un peu de défiance. Nous sommes en train de devenir un peu paranoïaques. C’est pareil pour ce qui est de la représentation, ici au festival : je ne voudrais pas montrer mon film en compétition principale juste parce que je suis une femme, mais parce que quelqu’un a pensé qu’il était suffisamment bon. Je pense que c’est important de se battre pour la parité, mais pas dans le domaine de l’art.
Propos recueillis par Marta BAŁAGA
Synthèse réalisée par Vanessa LUDIER