Une question à… Célie Pauthe : quel pont artistique entre l’Irak et la France ?
Établir un pont artistique reliant Bagdad à Besançon – tel est le pari de Célie Pauthe, directrice du Centre dramatique national Besançon Franche-Comté. Celle-ci a programmé, tout au long de l’année, une « saison irakienne », dont l’ambition est de faire découvrir au public français les nouvelles voix de la scène de la création bagdadie. Ce « projet au long cours » a débuté le 20 septembre avec la présentation du spectacle Looking for Oresteia, une relecture contemporaine de l’Orestie d’Eschyle.
Le ministère de la culture a publié un entretien avec Célie Pauthe. Nous reproduisons une synthèse de ses réponses autour du pont artistique entre l’Irak et la France.
Quel pont artistique entre l’Irak et la France ?
A l’origine de ce projet, il y a une rencontre, avec le metteur en scène irakien Haythem Abderrazak. […] La rencontre avec Haythem Abderrazak a eu lieu à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, où il était invité à présenter un spectacle que nous programmons à l’occasion de « Bagdad/Besançon ». Il s’agit de La Maladie du Machrek, une adaptation d’une pièce d’Heiner Müller sur la guerre civile dans la Rome antique transposée dans les années 2008 à Bagdad, dans le contexte de violence intercommunautaire qui a suivi l’intervention américaine. J’ai été très impressionnée par ce que j’ai vu. C’est à mon retour en France, en pensant à ce projet commun que la directrice artistique de Siwa, Yagoutha Belgacem, appelait de ses vœux, que m’est venue l’idée de travailler sur L’Orestie.
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Haythem Abderrazak est venu à Besançon et le rêve a pris forme. Il connaît très bien ce théâtre, il enseigne l’art dramatique à l’Institut des Beaux-Arts de Badgad et a souvent travaillé la tragédie grecque avec ses élèves. Il a tout de suite vu les liens qu’il pouvait y avoir avec ce que traversait l’Irak contemporain. De fil en aiguille, nous avons décidé de mettre en scène ensemble la troisième partie. Ce n’est pas toujours facile, car nous avons tous les deux des méthodes d’approche théâtrales très différentes. Je suis quelqu’un qui vient profondément du texte alors qu’Haythem Abderrazak est un acteur avant d’être un metteur en scène. Son travail est toujours empreint d’une dimension physique impressionnante. L’image raconte autant, voire plus, que le mot. Ce que l’on met en commun et en dialogue, ce sont non seulement des horizons géographiques et culturels différents, mais aussi des approches concrètes du plateau. C’est dans cet intervalle que du sens apparaît.
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Le plus important, le ciment de cette aventure, c’est la troupe mixte qui s’est construite au fil du temps. On peut vraiment parler de famille. Quant à la scène bagdadie, il était primordial pour nous de découvrir l’état du théâtre irakien dans toutes ses dimensions : comment fait-on encore du théâtre à Bagdad aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’il en reste ? Qu’est-ce qu’il en naît ? Il y a un an et demi, nous avons organisé un premier voyage où des jeunes gens nous ont présenté leur travail. Nous avons découvert un théâtre impressionnant. Un théâtre qui se passe souvent de mots, où le corps a une importance considérable, où quelque chose de la violence vécue et rentrée se décharge et se pense. C’est un théâtre qui a beaucoup à voir avec quelque chose de l’ordre de la catharsis.
Nous avons aussi découvert un lieu extraordinaire, un théâtre magnifique au bord du Tigre, dans un état hélas déplorable aujourd’hui, que se partagent, sous forme d’autogestion, de jeunes compagnies sans le sou. A chaque fois que l’on est à Bagdad, on découvre un foyer d’art qui, en dépit de conditions difficiles, s’invente en permanence. La scène art graphique et performances est notamment également très engagée. Avec La Fonderie au Mans et le Théâtre national de Strasbourg, nous sommes en train de mettre en place des résidences pour accueillir des artistes irakiens en France sur des temps de stage et d’observation. Nous démarrons avec des plasticiens, des scénographes et des régisseurs. C’est un travail qui se pense sur le long terme, dans un échange que l’on veut pérenniser et enrichir.
Propos recueillis par un inconnu au ministère de la culture
Synthèse réalisée par Vanessa LUDIER