Une neuvième assemblée européenne… pour du neuf ? (1ère partie)
Même rituel électoral, même recettes électoralistes. On parle d’Europe, d’avenir crucial, etc., etc., et puis plus rien pendant cinq ans ! Petite remise en perspective et enseignements des dernières élections européennes.
Tribune libre et hebdomadaire de Philippe Kaminski
Nous venons d’élire une neuvième assemblée européenne, pour un neuvième lustre qui nous conduira jusqu’en 2024. Depuis 1979, le même rituel électoral se reproduit presque à l’identique. Comme à chaque fois, et dans chaque pays, une campagne officielle et subliminale se superpose à celles des partis en présence. Elle nous conjure de participer au scrutin, parce que « le destin de l’Europe se joue en ce moment, il est entre nos mains, entre vos mains ». Elle fustige l’abstention, surévalue les enjeux, évoque des échéances cruciales. Puis le soufflé retombe ; une fois le Parlement élu, on n’en entend pratiquement plus parler pendant cinq ans. En sera-t-il de même cette fois-ci encore ? Le numéro neuf apportera-t-il du neuf ?
Il est instructif de se replonger dans les documents de 1979. Le suffrage universel allait apporter à l’assemblée des communautés européennes (c’était le nom du Parlement à l’époque) la légitimité démocratique qui lui faisait défaut jusqu’alors. Les peuples prendront alors pleinement conscience de ce qui les unit et il s’ensuivra un nouvel élan, irrésistible, pour l’unification européenne. En face, les opposants sonnaient le tocsin. Michel Debré annonçait la catastrophe, la revanche d’un nouveau Saint-Empire parvenant enfin à vassaliser la France. Tous étaient au moins d’accord sur un point : le nouveau Parlement allait jouer un rôle de premier plan.
Depuis, le grand rendez-vous de ce Parlement avec l’Histoire a été sans cesse repoussé à des jours meilleurs. Cette année, on craignait tellement de nouveaux progrès de l’abstentionnite que le regain de participation, cette divine surprise que personne n’avait vu venir, a provoqué une vague de sur-interprétation des résultats du vote. Formidable ! Les citoyens ont montré leur indéfectible adhésion à la construction européenne ! L’antienne a été d’autant mieux reprise en chœur que tous les pays ont été peu ou prou touchés par le même mouvement. Pourtant, il n’y a pas vraiment de quoi pavoiser. Les votants en France n’ont représenté que 50,12 % des inscrits, et les exprimés 47,85 % seulement ; on est loin du triomphe.
Je ne sais quelle influence a pu avoir la multiplication surprenante des micro-listes. En revanche, on a omis de souligner l’effet positif du retour aux listes nationales. Comparer l’abstention en 2019 et en 2014 n’a guère de sens, dans la mesure où l’électeur était alors face à des listes régionales dont la composition pouvait en désarçonner plus d’un. D’autre part, il est certain que la multiplication des annonces alarmistes sur le climat et sur la biodiversité n’a pu qu’inciter au vote vert – bien qu’il n’ait pas été évoqué de les décompter du temps de propagande électorale des partis qui en ont profité.
Pour le reste, les principaux candidats ont tous joué leur partition habituelle sur l’Europe, nécessaire alibi posé au milieu de leur programme franco-français, les mêmes proclamations qu’il y a cinq, dix ou quinze ans. On ne change pas une recette qui ne sert qu’une fois tous les cinq ans.
À suivre…
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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, notamment en lien avec l’ESS.