Un autre modèle de création en Avignon : le festival IF
Et si les modèles de présentation de spectacles en Avignon étaient dépassés ? Et s’il existait d’autres façons, plus légères, plus généreuses d’échanger autour d’une création artistique ? Clin d’œil non prétentieux à ses grands frères le In et le Off, le « If » est une nouvelle proposition d’accès aux productions musicales, chorégraphiques et théâtrales contemporaines, sous les ifs justement, cet arbre millénaire du Sud, dans un jardin. Un autre modèle.
La porte en bois bleu de la rue s’ouvre sur un grand hall de pierre et le hall, sur un jardin. Surprise rafraîchissante en cette fin de journée par 34° C à l’ombre des remparts ! En surplomb de la terrasse où commencent à arriver des invités, il y a dans le soleil déclinant un laurier rose, un figuier, un palmier, un banc de jardin et, dans le fond, un petit cabanon. On est bien dans le Sud-Est !
Tous invités : un luxe ?
Un jeune Africain est allongé dans l’herbe sèche, dos au public, jean troué, la tête sous un parapluie.
Pas le Dormeur du Val, quoique… L’acteur Assane Timbo défend une courte pièce de l’Australien Daniel Keene, sur les enfants soldats. Une lecture. Ce n’est ni le In ni le Off mais le If, nouvelle proposition d’accès aux créations artistiques, un « interstice » défendent ses fondateurs.
Sous les arbres, cinquante spectateurs assistent au voyage halluciné de Ringo, protagoniste du Dernier Rivage*. « Un matin, je me suis réveillé et mon père n’était plus là. Un matin je me suis réveillé et tout ce que je connaissais avait disparu. Je me suis réveillé et je n’avais plus de nom. Je me suis réveillé et j’étais dans un autre pays. »
Il y a des amis, des journalistes, des directeurs de théâtres, des comédiens, des représentants de régions et des amis d’amis, un public d’invités. Personne n’a payé sa place. Les artistes non plus. Eux aussi sont invités. Un luxe !
Pour les compagnies, pas de salle ni de théâtre à trouver, pas de créneau horaire à réserver au prix fort, pas de flyers à distribuer dans la foule ni d’affiches à coller, pas de journalistes à courtiser ni d’hébergement à partager…
« Il n’est pas normal que des compagnies qui touchent 1 000 euros de subvention les dépensent pour se présenter, défend Frédéric Tort, l’un des deux fondateurs du If. Les seuls qui donnent de l’argent chez nous sont les mécènes ».
Un modèle économique particulier
Trois entreprises mettent la main au porte-monnaie : un cabinet de géomètres sur le chantier du tramway à Avignon, une plate-forme en ligne de propositions artistiques et une filiale d’Engie. Deux autres font un apport « en industrie », avec du matériel de scène et des vins d’appellation contrôlée.
Mais sans le jardin à la bonne franquette du restaurateur Kader, sans le jardin boutique du bar à vin de Lionel, sans les habitants de la Cité des papes qui ouvrent trois soirs durant leurs jardins privés à la création, il n’y aurait pas de If. Ils sont les principaux donateurs.
Des projets en devenir, des ébauches, des esquisses sont ainsi sélectionnés depuis 5 ans.
Sylvie Ollivier, danseuse et chorégraphe, y était l’an dernier avec sa compagnie Tjukurpa. Elle se souvient de la triple représentation de Spectacle 26 au Delirium, une salle de billard : « Le If, c’était le coup de pouce nécessaire. Professionnellement, j’ai gagné quatre ans ».
Séverine Magois, traductrice de Daniel Keene, raconte : « En 2017, j’avais proposé d’inviter la comédienne Kelly Rivière qui m’avait parlé d’un projet qu’elle portait en elle depuis plusieurs années. Le If a été l’occasion de le mener à bien. Et cette année, son spectacle, An Irish Story, est programmé dans le Off ».
Aux détracteurs qui allèguent que les artistes ne sont pas payés et que cela précarise la profession, Frédéric Tort oppose que les artistes sont payés lorsque les compagnies invitées les payent. Dès que possible, le If prendra en charge leurs déplacements.
Ajouter au paysage…
Avec un parcours commun par le Festival In cuvée 80/90, cet avocat en propriété intellectuelle et son ami d’enfance Stéphane Pellet, inspecteur général au ministère de l’enseignement supérieur, ne se rémunèrent pas.
Amoureux du spectacle vivant, version Jean Vilar, ils travaillent cinq mois par an sur le If, partageant la facture lorsque l’argent vient à manquer. Ils bénéficient de la complicité de six bénévoles. Il reste, disent-ils, 370 jardins à découvrir en Avignon !
« Ils m’ont emmené. Ils m’ont fait endosser un uniforme », raconte Ringo le personnage qui se souvient du jour où il a entendu les Beatles. Un village venait de brûler. Il y avait une radio à piles…
Au-dessus du jardin, une femme à sa fenêtre assiste aux déambulations d’Assane Timbo. Dans un silence de l’acteur, monte le chant des cigales. Et au loin, le bruit d’une barque à moteur sur le Rhône. « Vous trouvez que je gâche le paysage ?, dit son personnage. Moi, je pense que j’ajoute au paysage ».
* Daniel Keene, Dernier Rivage dans Pièces courtes 3, Éditions Théâtrales
Photographie de Une – Assane Timbo dans Dernier Rivage (Crédits : Benjamin Chauvet)
Fabuleuse idée alternat’IFve en effet ! Saviez-vous que son prédécesseur (IF sous-titré ni In ni ofF) est né en juillet 2012 dans la cour de la Maison Jean Vilar dans une fulgurance prospective initiée par Laurent Schuh et Nathalie Saïdi ; que Les Arts Et Mouvants ont mise en oeuvre dès 2013 ?
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Fabuleuse idée alternat’IFve en effet ! Saviez-vous que son prédécesseur (IF sous-titré ni In ni ofF) est né en juillet 2012 dans la cour de la Maison Jean Vilar à Avignon dans une fulgurance prospective initiée par Laurent Schuh et Nathalie Saïdi ; que Les Arts et Mouvants ont mis en oeuvre dès 2013 ? (Tous les justificat’IFs à disposition !)
Erratum: Séverine Magois n’est pas metteuse en scène de Dernier Rivage de Daniel Keene mais traductrice et dramaturge. La mise en scène et l’interprétation sont de Assane Timbo pour la Compagnie La Surface de Réparation.