Trente ans de Théâtre en Mai : un festival unique à Dijon où se fabrique le théâtre
Porté depuis sept ans par le directeur du théâtre Dijon-Bourgogne (TDB), Benoît Lambert, et par sa directrice artistique Sophie Chesne, Théâtre en Mai fut l’un des premiers espaces français consacré aux jeunes compagnies depuis sa création en 1990 par François Le Pillouër, ancien directeur du Centre dramatique de Rennes.
Le festival, qui fêtera ses trente ans du 23 mai au 2 juin prochains à Dijon, valorisera le travail des femmes metteures en scène, sous la figure bienveillante de Stéphane Braunschweig, directeur du théâtre de l’Odéon et parrain de cette édition anniversaire.
Un festival bouillonnant, intense et serein…
Aimé et réputé comme temps de partage, ce festival est réellement soucieux de l’artisanat théâtral. Réflexion et concertation sont cultivées lors de ce rendez-vous à Dijon, offrant une expérience enrichissante aux artistes qui débutent et présentent leurs travaux devant un public d’amateurs, d’artistes et de professionnels du théâtre.
« C’est comme ça que le temps a été conçu à l’origine, pour que des artistes puissent échanger entre eux et qu’ils aient un espace pour se réunir au printemps à Dijon, dans de bonnes conditions, explique Benoît Lambert. Tel est l’esprit de fond du festival ; on a essayé de le maintenir, même si l’air du temps est à la compétition et au concours généralisé. »
Bouillonnant, intense et heureux… Le public et les artistes en apprécient l’ambiance sereine car, comme en témoigne le directeur du théâtre Dijon-Bourgogne (TDB), « c’est un moment de bienveillance et de douceur ; tout est organisé dans les meilleures conditions pour que les artistes n’aient qu’à s’occuper du travail de plateau et qu’ils aient aussi du temps pour aller voir les spectacles ».
… hors de toute monumentalité
L’un des atouts de Théâtre en Mai est qu’un spectateur a la possibilité de voir toutes les pièces s’il le souhaite. Si la capacité d’accueil des théâtres de la ville n’est pas très importante à l’exception du Cèdre, centre culturel de 700 places à Chenôve, la programmation se prête bien à ces dimensions à échelle humaine.
Pendant une dizaine de jours, la totalité de l’équipe du Centre dramatique national se mobilise sur la manifestation : « C’est presque une seconde saison dans la saison », remarque Benoît Lambert. En effet, si une saison entière représente une vingtaine de spectacles et une centaine de levers de rideaux, le festival à lui seul équivaut à quinze spectacles pour presque cinquante représentations.
Financé par la DRAC, la ville de Dijon et la région Bourgogne-Franche-Comté, le budget du festival varie d’une édition à l’autre, entre 400 000 et 500 000 euros en fonction du nombre d’acteurs qu’il faut héberger et du coût des spectacles.
Les metteures en scène à l’honneur
L’une des missions de Sophie Chesne, conseillère artistique, directrice des productions du TDB et en charge de la programmation, consiste à sillonner la France pour aller voir les créations, dans un dialogue perpétuel avec les artistes. Si une majorité d’artistes féminines seront présentes cette année, ce choix n’est pas thématique.
« Cette édition n’est pas sur les femmes artistes, explique-t-elle. On s’est simplement rendu compte, en sept ans de collaboration, que nous avions rencontré des metteures en scène qui nous ont beaucoup intéressés, couvrant un très large champ d’esthétiques. Il n’y a pas de théâtre féminin au sens d’une essence féminine, et cette variété permet d’avoir un festival de très haute tenue ».
Deux créations des artistes associées du TDB seront donc présentées : Origine (titre provisoire) de Maëlle Poésy, qui revisite L’Énéide de Virgile et qui sera ensuite jouée à Avignon, ainsi que Dernière ascension avant la plaine, signée Pauline Laidet et Myriam Marzouki, de la compagnie du Dernier Soir.
La question politique en jeu
« Les axes politiques ont davantage été trouvés que prémédités, et la présence des femmes n’y est sans doute pas pour rien », remarque Benoît Lambert, constatant que ces questionnements ont toujours plané en filigrane sur les éditions successives.
En tant qu’ancien élève de l’École normale supérieure en sociologie, il est intéressant pour lui d’observer des récurrences d’une édition à l’autre. Loin de s’opposer au renouvellement théâtral, celles-ci offrent différents éclairages sur la domination sociale, sexuelle, coloniale et culturelle.
L’an passé, Théâtre en Mai accueillait notamment Étienne Minoungou, comédien, metteur en scène et auteur burkinabé, figure importante du théâtre africain, qui a encore peu joué en France. Cette année les textes de l’auteur-rappeur guinéen Ousmane Doumbouya ou encore de l’iranien Farzaneh Haschemi seront lus dans Dire l’exil.
Théâtre en Mai n’est donc pas un incubateur, selon le jargon néolibéral d’un certain management culturel, ni même un lieu de révélation exclusivement destiné à faire tourner un spectacle. Il s’agit avant tout d’une fabrique, où une vigilance sur la pointe la plus aiguë du théâtre est entretenue. En trente ans, les artistes majeurs d’une génération sont passés ici tels que Stéphane Braunschweig, l’un des premiers artistes programmés dans le festival, ou encore Olivier Py dramaturge et directeur du festival d’Avignon.
Photographies : Morgane Macé / Profession Spectacle (sauf mention contraire)