Tour de France des théâtres en difficulté : une crise nationale
Coupes budgétaires, travaux de rénovation onéreux, changement de politique des municipalités, perte de l’intérêt pour l’activité culturelle : nombreuses sont les contraintes qui viennent menacer les salles et les compagnies de théâtre en France. Si certains lieux culturels parviennent à survivre, d’autres doivent endosser une nouvelle existence… ou disparaître. Profession Spectacle a mené pour vous une vaste enquête nationale.
À Paris, l’incertitude plane lourdement
Alors que le ministère de la culture annonce une hausse de son budget de 2,7% pour l’année 2016, plusieurs espaces culturels doivent affronter des obstacles financiers mettant en cause leur avenir. À Paris, le théâtre de la Cité Internationale, réputé pour ses productions de spectacles vivants et créations artistiques, a échappé de peu à une réduction drastique de son activité. Après une difficile période sans directeur à sa tête, et malgré la volonté clairement affichée de la part de la « Cité U » de diminuer sa dotation (de 880 000 à 400 000 euros), l’utilité du théâtre ne semble plus remise en cause. « Un appel à candidature pour la direction du théâtre a été lancé, avec comme objectif une prise de fonction début septembre », confie Stéphane Grouard, délégué du personnel du TCI. Sauvé donc, mais à quel prix ? Tandis que la Cité privilégie l’agrandissement du campus, son théâtre devra désormais s’organiser différemment, avec un risque de perte d’emploi pour une partie de ses salariés. « On se demande comment fonctionner avec moins d’argent et moins de personnes », explique Stéphane Grouard. L’incertitude sur l’avenir du théâtre continue de planer lourdement, mais l’espoir réside dans ce qu’entreprendra la nouvelle direction, une fois celle-ci établie.
Pour le Vingtième Théâtre, à Paris toujours, un avenir peu réjouissant mais inéluctable se profile. La mairie souhaite en effet le transformer en « OVNI culturel », calqué sur le modèle du 104, dans l’optique de… « fabriquer de la culture » ! Un appel à projet a été lancé par la municipalité en vue d’une réouverture du lieu après des travaux de réaménagement, soit en janvier 2017. Difficile de savoir ce que veux la mairie derrière ce changement. Quelle que soit l’issue de l’appel à projet, l’activité du Vingtième Théâtre telle qu’elle existait jusqu’alors – près de 50 000 spectateurs par an – est vouée à disparaître au profit d’une expérience culturelle aux résultats incertains. Si la mairie annonce l’objectif de cette manœuvre comme profitable à un quartier regroupant de nombreux artistes, son projet, aux contours peu définis, présente un risque lié à l’incertitude qu’il génère quant à sa réalisation concrète. En effet, ce processus initié sans qu’une véritable communication ait eu lieu donne l’impression que l’on va « repartir à zéro » et du Vingtième théâtre faire table rase… Une pétition de soutien a été lancée, mais face à la détermination politique en place, il semble difficile de faire machine arrière.
À Toulouse, on lutte pour sauver les théâtres
Entre le théâtre associatif le Fil à Plomb, menacé de fermeture s’il n’obtient pas les fonds nécessaires à sa rénovation, et le Groupe Merci, menacé d’expulsion du pavillon Mazar où il se produit depuis 20 ans, l’avenir du théâtre toulousain contrairement à la réputation de sa ville, n’est pas rose.
Contraint à des travaux coûteux répondant aux normes d’accessibilité, le Fil à Plomb fait appel au soutien et aux dons pour éviter d’avoir à fermer définitivement fin février. « La mairie est prête à nous aider, mais on sait que ça ne suffira pas et qu’on a besoin aussi des donateurs privés », explique Reguieg Badradine, gérant du théâtre. La situation est paradoxale : « On a d’un côté les services municipaux qui nous disent qu’il faut être dans les normes et d’un autre côté le service culture qui nous soutient. On n’a certes pas eu de baisse de subventions, contrairement à d’autres structures, mais on a cette procédure qui nous coupe les jambes. » Le Fil à Plomb a pourtant un beau rôle à jouer dans la réhabilitation du quartier Arnaud-Bernard, qu’il anime depuis près de 16 ans. Outre les soutiens individuels, c’est là aussi une source d’espoir, lorsque les intérêts culturels et politiques convergent : l’activité culturelle transforme le quartier. « On fait venir un public qui ne viendrait pas forcément dans ce quartier s’il n’y avait pas ce théâtre, ce que la mairie a très bien compris, poursuit Reguieg Badradine. Tout est question de volonté politique ; à partir du moment où il y a cette volonté, il y a les moyens de faire avancer le projet ».
Le Groupe Merci est quant à lui aux prises avec les propriétaires du pavillon Mazar qui ne souhaitent pas renouveler leur bail. Ces derniers annoncent une mise en vente, alors même que cet espace de création artistique est protégé par un décret de 1945 interdisant de le détourner de sa fonction théâtrale. La difficulté ici réside dans le bon droit des propriétaires, mais avec quelles intentions ? « On craint que le lieu soit laissé à l’abandon, jusqu’à ce qu’il puisse être transformé. Qui voudrait investir dans un théâtre de 50 places au prix qu’ils indiquent ? Nous souhaitons une table ronde pour trouver des solutions, nous explique un des membres de la compagnie. C’est le lieu de vie d’une compagnie situé au cœur de la ville, il est fragile et rare. Le quitter remettrait en question l’existence du Groupe. » Un comité de soutien, créé le 18 janvier dernier, affiche la volonté de se mobiliser. Incertaine sur son avenir, susceptible de recevoir un chèque d’éviction dans les prochains mois, la compagnie bataille pour sa survie et celle du théâtre.
À Calais, assiste-t-on à une disparition des opérettes ?
« Moins on en fait, moins les gens viennent, constate Danièle Beaugrand, secrétaire des Amis du théâtre lyrique de Calais. Au fil des ans, le nombre d’opérettes par saison n’a cessé de diminuer, et cette année nous n’en avons qu’une seule ! » Plusieurs raisons à cela : pas de relève chez les acteurs, perte de l’intérêt du public pour l’opérette, baisse du soutien des pouvoirs publics. La transmission aux jeunes générations ne s’est pas faite. Aujourd’hui, lorsqu’on entend « opérette » on pense « ringard ou que pour les vieux », l’éducation culturelle est absente. « Au bout de deux actes, les gens croient que c’est fini. J’ai dû plusieurs fois leur dire de ne pas partir à la fin de l’acte II. Est-ce qu’ils ne comprennent pas l’histoire, ou ne la suivent pas ? » Ainsi, même le mot entracte perd son sens.
Que vont voir les jeunes aujourd’hui ? « Les comédies musicales qui, au fond, ne sont pas si différentes de l’opérette, même si la musique est plus moderne. Mais c’est dommage que l’opérette se perde », regrette Danièle Beaugrand, qui déplore aussi un manque de curiosité : « Les gens ne vont voir que ce qu’ils connaissent ». Du côté des instances dirigeantes de Calais, il en est de même : « Le changement de municipalité a eu un impact, ça ne les intéresse tout simplement pas ». Reste-t-il un espoir pour l’opérette ? Certaines troupes de théâtre amateur continuent de faire vivre ce genre théâtral. Mais les professionnels se font malheureusement rares.
À Grenoble, Moulins, Gap, Pau… peu sont épargnés !
« Changement de municipalité », « volonté politique », il semble bien que ce soit là les facteurs principaux du bien-être ou non de nos lieux culturels. Que la mairie soit tenue par la droite ou par la gauche, le résultat pour les théâtres est bien souvent équivalent.
À Grenoble, l’administration écologiste en place décide de « tout mettre à plat » et prend des mesures aux conséquences lourdes pour la création artistique en général. Dans l’Allier, M. Gérard Dériot, membre des Républicains et président du département, vient d’annoncer la suppression des aides directes aux compagnies ainsi que d’une partie des subventions destinées aux résidences et à la diffusion. À Gap, le théâtre de La passerelle voit la subvention de la ville, dirigée par le maire Roger Didier (UDI), réduite de 10 %, soit une perte de 60 000 euros : il n’a eu d’autre choix que de recourir à une plateforme d’appel aux dons privés pour maintenir le festival des arts de la rue.
À Pau, sous l’administration du centriste François Bayrou, le théâtre du Monte-Charge a dû fermer précipitamment : « Les responsables de la culture nous ont dit qu’ils voulaient contrôler les activités théâtrales et qu’ils ne voulaient pas de concurrence. Ils nous ont supprimé les subventions et le théâtre a dû fermer. Ils font ça avec d’autres associations, explique Betina Schneeberger, bénévole de la compagnie. Nous avons pu préserver le théâtre, mais il ne servira plus. Nous sommes une compagnie apatride puisque la ville ne veut plus de nous et nous ne voulons plus avoir à faire aux institutions municipales. Nous sommes libres. »
Privée de son théâtre et de sa ville, la compagnie du Monte-Charge représente désormais la France à l’étranger au cours d’événements culturels en Asie, en Afrique ou en Amérique latine. Mais à Pau, il n’y a plus rien pour l’instant. Le monde à l’envers.
À Stains, on se bat pour conserver la convention
À Stains, ville tenue par les communistes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le combat dure depuis près de cinq ans. « Contre certains représentants institutionnels, il faut être pugnace, ne rien lâcher. Il faut que la colère ou le dégoût se transforme en force », affirme Kamel Ouarti en son nom et en celui de Marjorie Nakache. Tous deux sont chargés de la direction du Studio théâtre de Stains, l’un pour l’administration, l’autre pour la création artistique. Ce lieu, où ont débuté des acteurs tels que Léa Drucker et Kheiron, s’est vu menacé d’être déconventionné une première fois fin 2011. Grâce à la mobilisation de plusieurs artistes et des habitants de Stains, ainsi qu’à la détermination de Marjorie Nakache et Kamel Ouarti, ce théâtre a obtenu gain de cause : une nouvelle convention lui a été octroyée pour trois ans. Mais aujourd’hui les choses sont à nouveau remises en question : avec des interlocuteurs de la DRAC silencieux depuis 2012, l’équipe du studio théâtre voit sa convention s’achever à nouveau, et finit par s’entendre dire que « les conventions triennales n’existent pas », avec toutefois – en contrepartie – une « aide à la résidence ». Mme Fleur Pellerin, sollicitée par l’équipe du Studio théâtre, semble pourtant ouverte à un nouvel accord de convention. « Ces mêmes services nous disent que ce n’est pas possible, et la ministre dit que ça l’est ! » constate le tandem dirigeant le théâtre.
Pourtant, leur détermination ne faiblit pas, parce qu’ils ont le soutien des habitants : « Nous sommes fiers de nos concitoyens, et nous savons que si un jour nous avons à nouveau le bec dans l’eau, ils seront là. » Optimistes, Marjorie Nakache et Kamel Ouarti sont bien résolus à « continuer le dialogue » : « À défaut de nous soutenir beaucoup, on demande au ministère de nous permettre de travailler, de ne pas mettre d’embûches, et de faire confiance. »
Confiance, optimisme, dialogue, détermination, soutien : tels sont les termes récurrents au sein des compagnies de théâtre confrontées à des obstacles souvent générés par des instances politiques sinon hostiles, du moins indifférentes. Dans un contexte où la logique économique semble primer sur à peu près tout le reste, et où les institutions concernées semblent parfois bien impuissantes, ce sont encore les ressources premières de la culture qui lui permettent de lutter : les artistes, les acteurs et leurs spectateurs.
Joseph RIXÈRE
Bonsoir, et merci de publier saietta des lieux de nos théâtres… La misère dans laquelle on nous étouffe, la dénégation de nos engagements culturels pour le théâtre vivant, l’amour de notre art…tout ceci nous est interdit dorénavant. Mais nous luttons, nous lutterons encore et toujours pour sauver notre art.
Je suis un homme de théâtre depuis plusieurs décennies, et je poursuis…
Battons-nous une fois de plus, et nous gagnerons encore.
Courage !