Tollé au ministère – Éric Bultel, Cfdt-culture : « Ce qui se passe n’est pas normal »
Le 14 novembre dernier, Le Monde a révélé l’existence d’un document interne au ministère de la culture. En vue du programme « Action publique 2022 », cette synthèse présente des pistes de réformes concernant tant les musées nationaux, la politique des archives, la création artistique que l’audiovisuel public.
Proposant, entre autres, la prise en charge accentuée de certains établissements culturels par les collectivités territoriales, ou encore une augmentation du taux de sélectivité des aides accordées, la « contribution ministérielle aux travaux du CAP 2022 » est sous-tendue par une recherche drastique de réduction des coûts et de l’emploi.
Un projet qualifié par la Cfdt-culture de « dépeçage programmé du ministère de la Culture ». Le secrétaire général adjoint de la Cfdt-culture, Éric Bultel, qui a par ailleurs une expérience large des services déconcentrés des ministères de la culture et de l’agriculture, explique la position de son syndicat.
Comment la Cfdt-culture a-t-elle réagi lorsqu’elle a pris connaissance de ce document ?
D’abord, cela a appelé une réflexion, car lorsque vous diffusez un document qui ne doit pas l’être – ce que nous avons choisi de faire –, vous savez que cela va susciter de la colère et de la déception. Ce choix est politique : par ce geste, la Cfdt-culture a souhaité dire qu’il était anormal que le ministère de la culture entame une nouvelle revue de ses missions sans vouloir penser cette réflexion avec ses agents. À la Cfdt-culture – qui, je le rappelle, est un syndicat touchant l’ensemble des catégories du ministère –, nous avons du mal à croire que ce soient des collègues qui aient écrit cela. Si nous ne nous trompons pas sur l’état du militantisme au ministère de la culture, ce document n’a pas pu être réalisé par des agents du ministère. Alors, tout n’est pas à jeter : certains éléments enfoncent des portes ouvertes, mais il y a également des éléments intéressants. En revanche, le principe même de réfléchir sans la communauté de travail suscite du mécontentement. Ce document parle de l’échelon central comme déconcentré, des grands comme des petits opérateurs, et tous ces échelons de la réflexion et du fonctionnement sont en train d’être ignorés.
Sa publication a d’ailleurs suscité des réactions de tous côtés…
Le fait que, dans la profession comme dans la presse, tout le monde ait publié ce document, est bien le signe que ce qui se passe n’est pas normal. Le fait qu’il choque et déplaise prouve, également, qu’il existe encore le sentiment de la nécessité du partage d’une réflexion collective sur la mise en place des politiques culturelles. À la Cfdt-culture, nous croyons beaucoup à la démocratie culturelle, à cette idée que nous allons prendre le risque d’aller discuter avec d’autres que nous pour mettre en place des dispositifs. Nous sommes un syndicat fondé sur la liberté des individus, y compris dans la réflexion critique des individus sur les conditions d’exercice de leur métier. Nous ne craignons ni la prospective, ni l’évaluation. Simplement, nous considérons qu’il ne faut pas imposer n’importe quoi, n’importe comment.
Savez-vous où en est le dépôt de plainte contre X annoncé par la ministre de la culture Françoise Nyssen ?
Je ne sais pas. Il y a eu plusieurs déclarations se contredisant les unes après les autres. Ce que je peux espérer, c’est que personne ne porte plainte contre des agents qui diffusent un document qui existe. Je pense que la bonne réaction de la ministre Françoise Nyssen, ce n’est pas de porter plainte, mais de dire que ce document ne relève ni de sa méthode, ni de son fait. Et je crois que c’est ce qu’elle a essayé de nous dire. À la Cfdt-culture, nous sommes très heureux de la nomination de Françoise Nyssen, de ce que cela signifie de nommer une femme de culture, de ce que cela incarne également en termes de nouvelles perspectives. Et l’idée de co-construire une nouvelle politique culturelle nous intéresse. En revanche, ce document, non. Nous considérons qu’il faut retrouver le sens de l’engagement, en travaillant avec les équipes. Il existe encore une expertise au ministère, donc il faut discuter avec ceux qui font la culture, qui gèrent les politiques culturelles sur les territoires, qui créent sur le terrain, ceux qui gèrent et administrent les lieux, les labels.
Quels sont pour vous les éléments intéressants de ce document ?
Je ne vais pas distribuer des bons ou des mauvais points. La démarche est à requalifier, et il ne s’agit pas de penser à la place des agents. Je le redis, tout le monde doit participer à cette réflexion. Néanmoins, lorsque je lis le souhait de « plus de déconcentration », je considère que c’est déjà le cas : il y a des DRAC pour ça. Les DRAC mettent en œuvre à l’échelle d’un territoire une stratégie pensée en centrale. De même, je considère qu’il n’y a pas un « émiettement des subventions ». Il y a un ministère qui a réussi à construire une offre où l’on aide des grands lieux, des institutions, mais aussi des lieux de diffusion sur les territoires, d’autres qui permettent des résidences, des dispositifs qui accompagnent des projets ponctuels. Alors oui, il y a encore des lieux, par exemple des lieux d’art contemporain en milieu rural, qui ne sont pas assez aidés. Mais on ne peut pas dire qu’il y a aujourd’hui un « émiettement ».
Caroline CHÂTELET
Photographie de Une – Ministère de la culture (crédits : Falcon® Photography)