“The Generosity of Dorcas” : Jan Fabre s’enlise dans une esthétique loin de toute générosité
Jan Fabre présente The Generosity of Dorcas au théâtre de la Bastille à Paris jusqu’au 31 janvier. Solo interprété par Matteo Sedda, le danseur est en prise avec des démons à la fois intérieurs et extérieurs, constamment menacé par des aiguilles accrochées au-dessus de lui par des cordes de laine colorées. Les images et l’esthétique prennent le dessus, révélant un spectacle exécuté et manquant de générosité.
En préambule, il est difficile de ne pas décrire l’atmosphère avant le spectacle. Aux portes du théâtre de la Bastille, outre les habituelles distributions de prospectus, un collectif propose une tribune titrée : « Pas de sexe, pas de solo ». Nous y apprenons qu’avant d’être renommée The Generosity of Dorcas, la pièce s’intitulait The Generosity of Tabitha. Sur le programme annuel figure d’ailleurs l’ancien titre, vérifiant ainsi cette information. À l’origine, ce solo devait donc être interprété par Tabitha Cholet avant d’être repris par un danseur, Matteo Sedda. La tribune détaille les diverses raisons de ce changement. Je laisse le choix aux lectrices et lecteurs de se renseigner plus amplement sur cette controverse dénonçant certains abus de pouvoir de la part de Jan Fabre.
Le but ici n’est pas d’alimenter ces soupçons mais de relever cette information puisqu’elle a certainement eu un impact sur la création et sur ma propre réception de la pièce. Avant le début du spectacle, je découvre aussi sur le programme les mots du directeur Jean-Marie Hordé expliquant son choix de maintenir la présentation de la pièce : « Il ne me revient pas de me substituer au juge, ni même en l’absence de toute procédure officielle, d’entretenir un soupçon qui vaudrait, sans preuve, condamnation ».
Un solo sans générosité
Seconde pièce présentée dans le cadre du festival Faits d’Hiver, The Generosity of Dorcas est la dernière création de Jan Fabre. Dans ce solo interprété par Matteo Sedda, nous voyons un danseur en prise avec des démons à la fois intérieurs et extérieurs, constamment menacé par des aiguilles accrochées au-dessus de lui par des cordes de laine colorées. En les détachant, ces aiguilles deviennent les jouets de l’imaginaire du danseur. Cette création semble vouloir toucher l’esprit joueur du spectateur et tenter de le provoquer. Cet exercice, difficile peut-être, est loin d’être réussi. Les images et l’esthétique prennent le dessus, révélant alors un spectacle exécuté et manquant de générosité.
Sur la scène du théâtre de la Bastille se dévoile l’interprète de ce solo, recouvert d’une couche de vêtements noirs. Un chapeau, noir également, complète ce costume. Nous pensons alors à un prestidigitateur. Un tel artiste produit des illusions et crée ainsi de la « magie » à partir des possibles du réel. Un ensemble de gestes mimés s’inspire de cette pratique mais, en les reproduisant précisément sans se les approprier, le danseur ne parvient pas à créer sa propre « magie ».
Les mouvements de ce solo suivent la musique, son rythme et son intensité, ce qui, selon la note aux spectateurs, « permet au danseur d’atteindre un état d’extase mentale et physique ». L’interprète tente bien de nous entraîner dans une certaine folie, un certain tourbillon, mais toujours dans un contrôle de son corps et de ses actions. Il ne semble jamais réellement épuisé ou à bout de souffle. Après un long enchainement, une pause musicale est le prétexte pour un essoufflement sonore. Une image, une certaine forme commune du soulagement après l’effort paraît plaquée sur le corps du danseur sans qu’elle soit vécue.
Trop de clichés, pas assez de vie
Et l’ensemble du spectacle n’est qu’une succession d’images et de mise en forme qui pourraient être justifiée si la chorégraphie ne tentait pas de mobiliser le spectateur. Un ‘‘fuck you’’ est esquissé, une langue est tirée, et le danseur finit par ôter les derniers vêtements dévoilant son sexe. Ces images se veulent bien provocantes ; aucune réaction ne parvient pourtant du public.
Par le passé, ces gestes ont été maintes fois éprouvés et semblent maintenant convenus. Ils demandent alors un véritable engagement et jeu de l’interprète pour dépasser la simple représentation. D’autres images frôlent le cliché, telle la figure du boxeur qui serait forcément encapuchonnée. Le « faire image » et l’esthétique ne peuvent être le seul ciment d’une pièce se rêvant dans l’extase et la transgression.
Finalement, en face de cet enchaînement d’images, les aiguilles suspendues apporte une certaine vie, cruellement absente de la scène. Par de subtils mouvements dus aux courants d’air, elles se révèlent plus sensibles à leur environnement que le spectacle qui se déroule en dessous.
SPECTACLE : THE GENEROSITY OF DORCAS
- Création : Janvier 2018 dans le cadre du festival Faits d’Hiver
- Durée : 50 min
- Public : à partir de 14 ans
- Conception, chorégraphie & mise en scène : Jan Fabre
- Interprète : Matteo Sedda
- Musique : Dag Taeldeman
- Scénographie et costume : Jan Fabre
- Dramaturgie : Miet Martens
- Technique : Geert Vanderauwera
- Production : Sebastiaan Peeters
Crédits photographiques : Marcel Lennartz
.
OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
Spectacle vu le 16 janvier au théâtre de la Bastille, Paris.
- Du 16 au 31 janvier 2019 > Théâtre de la Bastille, Paris.
- 2 février > Le Chanel, Scène Nationale de Calais
- 12 février > Le parvis, Scène Nationale Tarbes-Pyrénées
- 6 et 7 avril > Théatre Central, Séville
- 27 avril > Cultuurcentrum, Brugge
- Du 16 au 19 mais > Teatro Kamikaze, Madrid
.
Découvrir toutes nos critiques de spectacles