« Tesnota. Une vie à l’étroit » : bienvenue en Kabardino-Balkarie
Il a vingt-quatre ans. Elle vit dans le sud de la Russie. Garçon manqué, elle travaille au garage de son père. Ses parents sont des Juifs pratiquants. Mais, en rupture avec la tradition, elle fréquente un musulman kabarde. Son frère David est moins audacieux. Il se fiance à une jeune fille de la communauté. Mais les deux fiancés sont kidnappés. Une rançon exorbitante est réclamée. Les parents de David et d’Ila n’ont pas les moyens de s’en acquitter.
★★★☆
Bienvenue à Naltchik, la capitale de la république de Kabardino-Balkarie en Russie. Ses sympathiques habitants passent le temps en regardant des snuff movies et en rançonnant des Juifs.
Une façon de filmer qui prend aux tripes
Décidément le cinéma russe nous prend aux tripes. Après Andreï Tarkovski, Lungin, Zviaguintsev, Loznitsa (qui certes est ukrainien, mais tourne ses films en Russie) et Bykov, il faudra peut-être compter sur Kantemir Balagov : ce jeune cinéaste de vingt-cinq ans seulement signe un premier film manifeste. Ce dernier, qui avait fait sensation à la sélection « Un certain regard » à Cannes l’an passé, a mis plus d’un an à se frayer une place sur nos écrans.
D’abord une façon de filmer qui prend aux tripes : des personnages cadrés en très gros plan, comme si la caméra était collée à eux, les empêchant de respirer, de se mouvoir dans des espaces confinés – justifiant le sous-titre « Une vie à l’étroit ».
Au risque parfois de perdre le spectateur, le montage est truffé d’ellipses, qui donnent au film un rythme haletant et font passer ses presque deux heures sans qu’on regarde sa montre.
Dilemme sacrificiel
Ensuite un sujet éprouvant. Mais de quel sujet s’agit-il ? À lire le résumé que je viens d’en faire, on pourrait croire qu’il s’agit d’un kidnapping façon Tout, tout de suite« , le film de Richard Berry inspiré de l’affaire du gang des barbares.
Bizarrement, le scénario se désintéresse de ce qui arrive aux jeunes kidnappés, des conditions de leur incarcération, des motivations de leurs geôliers. Il se concentre sur les effets que cet enlèvement suscite dans la famille d’Ila. Car, pour payer la rançon réclamée, une famille de la communauté propose son aide. À la condition qu’Ila épouse leur fils.
Ila (Darya Zhovner) est face au plus terrible des dilemmes : sacrifier son frère ou lui sacrifier sa propre liberté, en permettant la libération de David (Veniamin Kats) ? Accepter de rentrer dans le rang, de « vivre à l’étroit » ou oser le sacrilège ?
L’habileté du scénario est de rendre ce choix moins binaire qu’il n’y paraît et de faire d’Ila une figure de tragédie qu’on n’oublie pas de sitôt.
Kantemir Balagov, Tesnota. Une vie à l’étroit, Russie, 2017, 118mn
- Sortie française : 7 mars 2018
- Genre : drame
- Classification : -12 ans avec avertissement
- Avec Darya Zhovner, Veniamin Kats, Olga Dragunova, Atrem Tsypin, Nazir Zhukov.
- Distribution : ARP Selection
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