Soyez sincères, ça sert toujours
Où notre sérieux chroniqueur commence par dire du mal de la sincérité, avant, par calcul, de se raviser.
Ils sont sincères, c’est bien navrant ; cela leur semble valoir excuse, dans le cas qu’ils se fourvoieraient ; mais jamais ils ne présentent d’excuses : car ils ne se fourvoient pas vraiment, ils évoluent, ils progressent, et c’est donc avec logique, par progrès, en évoluant, puisqu’ils affectent toujours à propos d’eux-mêmes une valeur positive au passage du temps, qu’ils épousent en énièmes noces telle nouvelle idée à la mode, laquelle ils engrossent de ce qu’ils appellent des œuvres d’art, des livres, des films, pire encore : des spectacles dits vivants ; et si quelque peu lassés, ils deviennent infidèles à cette nouvelle épousée, en lutinant la suivante conservent inentamée leur belle sincérité. Je dis sincère comme je dirais engagé, ou pire. Je parle des imposteurs.
Je ne veux pas de mal, vraiment, à la sincérité, qui est une belle qualité. La voie de la sincérité est une voie difficile et je suis ravi de me connaître quelques amis sincères, que je fréquente d’ailleurs le moins possible. Mais la sincérité n’entretient pas, je crois, de rapport à l’art. La sincérité ne devrait rendre une œuvre d’art ni meilleure ni pire ; je vois pourtant qu’elle en pourrit beaucoup. Mais elle leur donne au moins cet air de dire avec conviction ce qu’il faut dire au moment qu’il faut le dire ; elle est le gage d’une servilité certaine, qui est, on s’en doute, fort bien faite pour plaire aux puissants, surtout s’ils ne le sont pas tant qu’ils voudraient. Et c’est très bien ainsi.
Oh, bien sûr, je ne me leurre pas : la sincérité ne suffit pas. Un imposteur se doit d’avoir plusieurs cordes à son arc. Personne n’est tant sincère qu’un tartufe. Quand j’emploie le mot d’imposteur, en effet, je n’oublie pas que c’est le sous-titre du Tartuffe. Mais je renonce à poursuivre, n’étant pas capable de distinguer convenablement, c’est-à-dire simplement, ce soir, la sincérité de la franchise. Voyez-vous, je me suis perdu dans mon petit discours.
J’étais bien sincère, pourtant. Je tenais quelque chose, je voulais aller au bout. Et lier encore cette valeur positive qu’on affecte au passage du temps, à l’intérêt que ces imposteurs, donc, trouvent à confondre histoire et progrès. L’histoire des formes leur semble celle, exclusive, du progrès ; et c’est à vrai dire fort pratique, puisque cela rend l’histoire inutile : autant se conformer d’emblée à ce qui se fait là, aujourd’hui ; puisque, quelle que soit l’histoire, finalement, elle devait aboutir à ce provisoire parachèvement merveilleux que nous sommes. L’imposteur dit toujours qu’aujourd’hui, on ne peut plus faire ainsi, et que telle forme est dépassée, ringarde, etc. Il sait, lui, que ce qui se fait aujourd’hui est la pointe du progrès, il n’a pas besoin de tout le reste et il ira, libre comme une feuille morte, où soufflera le vent. Mais avec sincérité. Ouais.
J’arrête là. Je n’aurais pas dû évoquer Molière, ce n’est pas tout à fait à la pointe ; et mes phrases sont trop longues, sans compter que les points-virgules, ça ne se fait plus tellement. Cette chronique improvisée, par ailleurs, est née de conversations passionnantes que je ne rapporterais pas aujourd’hui, ni peut-être jamais. Il y était question que, quoi qu’on n’ait jamais formé tant d’acteurs, on n’a jamais vu si peu de théâtre dans les théâtres ; et que le spectacle vivant, quoi que ces deux mots veuillent dire, a remplacé presque tout. Et c’est très bien. Sincèrement. Vivement les élections.
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