Sortie cinéma : “Tu mérites un amour” – Entretien avec la réalisatrice Hafsia Herzi
Le premier long-métrage de la comédienne Hafsia Herzi, révélée par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le Mulet, sort aujourd’hui dans les salles françaises. Tu mérites un amour, projeté à la 58e semaine de la critique lors du dernier festival de Cannes, se veut une réflexion poétique autour du fait d’être jeune, belle et célibataire.
Synopsis – Suite à l’infidélité de Rémi, Lila qui l’aimait plus que tout vit difficilement la rupture. Un jour, il lui annonce qu’il part seul en Bolivie pour se retrouver face à lui-même et essayer de comprendre ses erreurs. Là-bas, il lui laisse entendre que leur histoire n’est pas finie… Entre discussions, réconforts et encouragement à la folie amoureuse, Lila s’égare…
Entretien avec Hafsia Herzi.
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Pouvez-vous décrire pour nous la genèse de Tu mérites un amour ?
Mon premier long-métrage devait en réalité être un film intitulé Bonne mère, qui est écrit, mais j’étais en attente de réponses pour les financements et j’avais, depuis un moment, envie de me lancer dans la production avec un film autoproduit sans moyens. Ainsi, je me suis réveillée un matin de juillet avec une pulsion artistique. Je me suis dit : « Il faut que tu tournes tout de suite ; c’est maintenant qu’il faut que tu fasses ce projet que tu as envie de faire depuis des années sans argent », et je suis allée chercher celui qui conviendrait le mieux dans mes archives de scénario.
Dans quelle mesure le scénario est-il écrit – parce pour un dispositif simple, le film acquiert au fur et à mesure une belle épaisseur ?
C’est très écrit, parce qu’on ne peut pas improviser un film – enfin peut-être que certains y arrivent, mais c’était important pour moi que l’ensemble soit bien cadré – donc quand j’ai décidé de tourner du jour au lendemain, cinq jours après, on était en tournage, mais on a commencé par les scènes où je suis toute seule. Il y a eu cinq jours de tournage en juillet, cinq en août et cinq en septembre et, entre ces périodes, j’ai pu préparer la suite et retravailler mon scénario en fonction des gens que j’ai choisis. J’adore les dialogues bien faits – je suis, par exemple, fan de Marcel Pagnol, où parfois, ça parle pendant un quart d’heure du pain, de n’importe quoi, de la vie en fait…
Votre film rappelle notamment en cela le cinéma de Kechiche : il a une manière toute spéciale de s’immerger dans la vie qui fait qu’on est bien dedans, avec les personnages, qu’on se met à les aimer.
Je n’ai pas cherché à imiter Abdellatif Kechiche ; il est d’ailleurs inimitable, mais c’est vrai que c’est un peu mon modèle. C’est un réalisateur et un homme passionné pour qui j’ai beaucoup d’admiration, et c’est lui qui m’a donné envie de réaliser. J’ai en effet filmé mes personnages avec beaucoup d’amour. Je pense que ça se ressent dans le film, parce que j’ai choisi des gens avec un grand cœur et pour moi, l’âme se voit à l’image – je précise que Jérémie Laheurte, s’il joue ici le « méchant », est quelqu’un qui est très généreux, très gentil. Anthony Bajon également, qui a été un coup de cœur artistique : je l’ai découvert dans La Prière de Cédric Kahn [qui lui a valu l’Ours d’argent du meilleur acteur à Berlin en 2018, NDLR], et bien qu’il ait dans ce film un rôle à l’opposé de celui, tout doux, qu’il a dans le mien, j’ai senti tout de suite son grand cœur. Il a un regard incroyable, une présence incroyable, il a ce côté « homme », très rassurant, mais il est aussi très touchant. Pour les comédiens dont c’était la première fois l’écran, ça a été le fruit de rencontres – car j’aime bien échanger avec les jeunes qui veulent faire du cinéma et viennent me demander conseil. En somme, je me suis entourée de gens qui m’inspiraient ; ça se ressent dans le regard.
Comment avez-vous géré le fait d’être des deux côtés de la caméra, d’autant que vous vous mettez très à nu, physiquement et psychologiquement.
Comme la décision de tourner a été prise sur le champ, je n’ai pas vraiment eu le temps de réfléchir. Je ne me suis pas posé de questions, j’ai foncé en me disant que, de toute façon, quand on réalise, tout repose sur vos épaules. L’énergie d’un film, c’est le réalisateur, je n’avais pas le droit à l’erreur, il fallait que je fonce, alors je me suis laissée aller sans trop réfléchir.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le projet Bonne mère, qui devait être votre premier long-métrage ?
Ma société de production s’appelle “Les films de la bonne mère” en référence à Notre-Dame de la Garde à Marseille, un monument superbe qui veille sur la ville. Le film raconte l’histoire d’une mère de famille d’une cinquantaine d’années qui vit à Marseille dans les quartiers nord, qui est femme de ménage, s’occupe d’une dame âgée, et qui a trois enfants dont un fils en prison. Le film suit son parcours jusqu’au procès de son fils. Ce sera le portrait d’une femme forte, digne honnête, qui essaie de s’en sortir et de rester forte pour ses enfants. J’espère que Tu mérites un amour va m’aider à trouver l’argent qui manque pour faire ce film que j’espère tourner très vite, peut-être à la rentrée.
Propos recueillis par Bénédicte PROT / Cineuropa
Distribution : Rezo films.