Sortie CD – Lina Tur Bonet et Dani Espasa enregistrent Haendel et Bach en miroir
Le disque Bach – Handel, An imaginary meeting, avec Lina Tur Bonet au violon et Dani Espasa au clavecin paraît ce 15 novembre chez Aparté. Enregistré par Little Tribeca à L’Auditori Josep-Carrerras à Vila-seca (Espagne) au printemps dernier, il offre en miroir les sonates pour violon de Bach et celles de Händel
Dossier de presse
Présentation
Ce disque est l’histoire d’une réparation. Celle d’un temps qui n’a pas laissé se faire la rencontre de deux êtres exceptionnels. En 1785 naissent Georg Friedrich Haendel et Johann Sebastian Bach. Par deux fois, ils se manquèrent. Jamais les chemins de leurs vies respectives ne parviendront à se croiser, celles-ci restant obstinément parallèles, malgré ces occasions. Lina Tur Bonet et Dani Espasa proposent un enregistrement pensé en miroir, et qui noue ici un dialogue essentiel, aux questions et réponses multiples.
Les sonates pour violon de Bach font face à celles de Händel. Mais ce sont surtout, à travers celles-ci, les voix de leurs compositeurs qui s’expriment. Ainsi, en sélectionnant ces œuvres, Lina Tur Bonet et Dani Espasa recréent, le temps d’un disque, la rencontre musicale de deux compositeurs dont les existences, dès lors, convergent. Tout l’art du musicien repose en cette science de l’illusion qui suspend le cours de la réalité et fait, finalement, naître ce qui aurait pu être.
Lina Tur Bonet et Dani Espasa se révèlent dans cet enregistrement de véritables magiciens, et dévoilent, par cette incroyable réinterprétation des œuvres de Bach et de Haendel, toute la profondeur et la proximité de leur pensée musicale.
Chemins de vie
À chaque tournant, le monde ouvre de nouveaux chemins, forge de nouvelles destinées. Voilà l’une de ses missions : créer des aspirations, provoquer de nouvelles quêtes, légitimer des intentions. La condition humaine est le fruit de ce devenir soumis au hasard. Nous naissons toujours à la recherche de quelque chose. Voilà ce qui nous définit et ce qui nous rend tragiques. L’époque, ses événements et ses accidents gouvernent et imposent les destinées. Ce qui pourrait être linéaire est souvent vaincu par le sinueux. Il ne s’agit pas là d’un simple effet de style mais également d’une façon de reconnaître que nous sommes une métaphore de notre propre volonté, une marche sur un escalier que nous ignorons. Le fait que Johann Sebastian Bach et Georg Friedrich Haendel ne se soient jamais connus personnellement fait partie de ces bifurcations imprévisibles qui définissent le cours de la vie. Ils n’ont jamais partagé une même table, ne se sont jamais assis face à face dans un salon pour converser, n’ont jamais entremêlé la fumée de leurs pipes. Toutes les circonstances indiquaient pourtant la possibilité d’une rencontre entre ces deux maîtres, une rencontre que Stefan Zweig n’aurait sans doute pas hésité à ranger parmi ses très riches heures de l’humanité. Mais cette heure étoilée n’a pas été donnée à l’humanité, et ne se donnera jamais plus. Nos deux compositeurs sont nés à un peu plus de trois jours de distance, à Eisenach pour Bach, à Halle pour Haendel. À peine deux cents kilomètres. Ils vinrent au monde en 1685 et ce jour ne fut séparé que d’un mois. Georg Friedrich est né un 23 février ; Johann Sebastian, un 21 mars. Ils n’étaient pas seulement unis par la proximité géographique et historique, mais également, de manière autrement plus décisive, par leur appartenance à une fin de siècle qui aspirera rapidement aux idéaux des Lumières et à la consolidation de ce que Kant appellera l’« usage public de la raison ». Si les fins de siècle ont tendance à créer des rendez-vous manqués, c’est précisément parce qu’elles impriment dans les générations un profond sentiment d’affirmation, une plus grande individualité, la nécessité de croire que le chemin choisi est la voie juste et sûre.
Même si la guerre de Trente Ans avait pris fin depuis plusieurs décennies déjà, en 1685, les États allemands souffraient, et souffriraient encore longtemps, d’une grande précarité, résultat d’un conflit qui avait tout détruit. Les territoires germaniques n’avaient plus aucune capacité de réaction, la paysannerie était plongée dans une famine tristement célèbre et les corporations d’artisans et de fonctionnaires étaient tout aussi paupérisés. Le cours des années n’améliorera guère l’état d’un monde qui semblait en voie de disparition – et qui finira bel et bien par disparaître – et cette situation alimentera un ressentiment dont les conséquences se manifesteraient bien plus tard, au XXe siècle.
En termes de subsistance matérielle, deux voies s’offraient pour atténuer les effets de cette évolution : tenter sa fortune à l’étranger, ce que fit Haendel en s’installant d’abord en Italie, puis en Angleterre ; ou mener une vie de modeste fonctionnaire, comme Bach. Certes, ce n’est pas la même chose de naître enfant unique d’un chirurgien de renom, dans le cas du musicien de Halle, que cadet d’une famille nombreuse, éprouvée par l’adversité et la mort – une ombre qui planera sans cesse sur l’existence de Bach. Il ne s’agit pas de dresser des vies parallèles mais lorsque Haendel arriva en Italie en 1706, avec des voyages assidus entre Rome et Naples, habitué des salons prestigieux décorés de tapisseries, côtoyant des personnalités aussi illustres qu’Arcangelo Corelli ou les Scarlatti, Bach n’avait pas encore confirmé sa position d’organiste à la Blasiuskirche de Mühlhausen, dont la population atteignait à peine six mille habitants. Le futur auteur de l’Offrande Musicale s’affairait alors à formaliser son mariage avec Maria Barbara et à devenir père de famille. Il est vrai qu’en 1708, il fut nommé musicien de chambre et organiste des ducs Wilhelm Ernst et Ernst August à Weimar mais à la même époque, Haendel se tournait déjà vers l’opéra et rêvait de s’établir en Angleterre, projet qu’il réalisa, quoique provisoirement, en 1710.
Tandis que l’existence de Bach se partageait entre la copie silencieuse, les registres d’orgue et une vie domestique de plus en plus absorbante, dans un cadre digne des peintures de Johann Christian Vollerdt, le nom de son contemporain commençait à être célébré dans tous les cercles musicaux d’Europe. Wilhelm Dilthey a reporté dans son Von deutscher Dichtung und Musik que Haendel faisait partie de cette pléthore d’Allemands avec assez d’énergie pour « subjuguer le monde » et que, selon ses mots, il n’eut pas assez « des souffrances et des joies de la vie personnelle ». Et il en fut ainsi.
Ramón Andrés
Titres
Johann Sebastian Bach
Sonata no.4 in C minor, BWV 1017
Georg Friedrich Händel
Sonata in D major, HWV 371
Johann Sebastian Bach
Sonata no.5 in F minor, BWV 1018
Georg Friedrich Händel
Sonata in D minor, HWV 359a
Johann Sebastian Bach
Sonata no.6 in G major, BWV 1019
Renseignements
Lina Tur Bonet, violon Dom Nicolo Amati (Bologna, ca.1740), archet René Groppe
Dani Espasa, clavecin franco-flamand Marc Ducornet (Paris, 2003), d’après Ruckers (Anvers, 1646) refait à 2 claviers par Pascal Taskin.
Direction artistique, prise de son, montage et mastering : Florent Ollivier
Enregistré par Little Tribeca du 29 avril au 1 mai 2019 à L’Auditori Josep Carreras (Vila-seca, Espagne)
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