Samuel Valensi : “Si on veut changer de régime, il faut changer la culture”
À constat dramatique, solutions urgentes et radicales : la fragilité énergétique implique une nécessaire révolution pour la culture. Telle est la conviction de Samuel Valensi, responsable culturel au sein du Shift Project et co-auteur du récent rapport intitulé Décarbonons la Culture !.
Créé en 2010, The Shift Project œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone. Samuel Valensi, auteur, metteur en scène et enseignant en production du spectacle vivant à l’ICART, est responsable culturel au sein de l’association. Son groupe de travail publie le rapport Décarbonons la Culture ! qui vient d’être finalisé et rendu accessible à tous.
Soumis à une consultation publique en mai dernier, il s’agit d’un outil de transition pour près de 670 000 actifs des secteurs de la culture et de la communication (d’après le rapport Les Chiffres clés de la culture et de la communication 2020). Du point de vue des enjeux climatiques et énergétiques, quelles stratégies de résilience propose-t-il ? Rencontre avec Samuel Valensi, qui intervenait lors du 7e forum Entreprendre dans la Culture, en Bourgogne-Franche-Comté, pour sensibiliser sur ces questions.
Changer de modèle…
L’objectif du Shift Project est d’informer et d’alerter. « Il faut qu’on change nos activités qui sont soumises à la double contrainte carbone, explique-t-il, justifiant la démarche de l’association. D’un côté, il y a de moins en moins d’énergies fossiles, puisqu’elles mettent un temps très long à se renouveler et que l’on tape dans les stocks ; de l’autre, nous en subissons les conséquences climatiques et environnementales. »
À l’objection minimisant l’impact de la culture dans la consommation énergétique, Samuel Valensi oppose un argument de taille, lié aux déplacements des populations : « La culture est la troisième cause de mobilité des Français, avec les loisirs. Si on veut changer de régime, il faut changer la culture. »
… et d’échelle ?
Pour le démontrer, il s’appuie sur l’exemple paradigmatique du festival des Vieilles Charrues, qu’il apprécie mais dont l’attractivité, comme d’autres événements et lieux, ne saurait être encouragée selon lui sans revoir certains modes de fonctionnements. « La jauge de cet événement relativement mal desservi par les transports est passée de quelques milliers de personnes en 1996, à 300 000 personnes en 2019. Cela pose le problème du transport des artistes, du public et de l’alimentation. »
Avançant que dix événements avec 30 000 personnes émettent moins de carbone qu’un événement à 300 000 personnes en moyenne, il alerte sur les risques de telles échelles. « Si les acteurs de grande taille ne s’occupent pas des problèmes, ce sont les problèmes qui s’occupent d’eux, car on est dans un monde à risque énergétique et sanitaire, prévient Samuel Valensi. En disant “je vais continuer à faire mon métier et rassembler 40 000 à 50 000 personnes”, je mets en danger mes salariés, mais aussi mon public… C’est là-dessus qu’on veut sensibiliser. »
Des préconisations spécifiques par domaines artistiques
Que ce soit pour l’audiovisuel, le livre, le spectacle vivant ou le numérique, le rapport pointe plusieurs leviers d’actions, tels les modes de transport, l’alimentation et l’éco-conception des œuvres. « Pour les productions du spectacle vivant, l’enjeu important est l’éco-conception des œuvres et leur poids ; dans le cinéma, c’est le nombre de semi-remorques utilisés sur les tournages. »
Déplorant que seuls 7 % des professionnels de la culture sont pour l’heure formés à ces questions, une stratégie d’urgence – qui passe par la formation – doit être selon lui déployée, en plus de la mise en place d’autres alternatives pour le transport du public, des compagnies en tournée ou encore des décors vers leurs lieux de stockage.
La consommation énergétique des bâtiments est prépondérante également. « Quand on regarde le bilan carbone d’une scène nationale, on voit que l’énergie dédiée au bâtiment est à peu près 40 à 50 % de ses émissions à l’année, constate Samuel Valensi. Il y a aussi leurs ayants droit, les enfants des architectes, qui ne veulent rien céder en matière de rénovations thermiques. Le législateur aurait sur ce point quelque chose à faire. »
Des synergies à l’œuvre
Ce rapport constitue un guide précieux en matière de développement durable dans la culture, où un esprit de synergie s’instaure peu à peu parmi les professionnels, parmi lesquels l’association Artviva, le Syndicat des musiques actuelles, la FEDELIMA, le Centre national de la musique et récemment Music Declares Energency France.
Avec sa compagnie, Samuel Valensi a mis en place un système de ticket de spectacles, qui encourage les publics à consommer de manière éco-responsable : « Avec la billetterie du Théâtre 13 [à Paris, NDLR], on s’est mis d’accord pour créer de la valeur localement, avec des billets de spectacles qui valent de l’argent dans des commerces partenaires qui vendent du bio et du local. » Il s’agit du principe du ticket gagnant, par tirage au sort, qui offre traditionnellement des cadeaux à la clé ; mais, cette fois, le billet à conserver est utilisable dans un réseau de partenaires solidaires, permettant de bénéficier d’avantages et de réductions sur une liste de produits.
Un tournant structurel et durable dans la culture passerait donc en priorité par la formation des professionnels, la mise en place d’autres habitudes et modes de fonctionnement pour l’alimentation et les transports, l’éco-conception des œuvres et une démarche générale d’économie de moyens, pour gagner en exemplarité et sauvegarder un secteur vulnérable.
Correspondante Bourgogne-Franche-Comté
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En savoir plus : Décarbonons la Culture !
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