“Sales gosses” : un plaidoyer ingénieux et fort contre le système éducatif
Basé sur une histoire vraie : une petite fille de 11 ans est ligotée par sa professeure et devient le bouc émissaire de la classe, jusqu’à être mutilée. La compagnie luxembourgeoise du Théâtre du Centaure propose, à partir du monologue écrit par la Roumaine Mihaela Michailov, un spectacle coup de poing à la scénographie inédite et à l’interprétation exceptionnelle. Fabio Godinho met en scène avec maestria ce spectacle terriblement original dans sa forme et d’une puissance inouïe.
Sales gosses est l’histoire d’une enfant qui ne rentre pas dans le moule, une enfant rêveuse et solitaire qui nourrit une passion pour les élastiques avec lesquels elle crée des animaux de toutes sortes. Ils lui permettent d’avoir une emprise sur sa propre vie et de la façonner à sa manière, coincée qu’elle est entre une petite sœur télévore avec qui elle n’arrive pas à communiquer, une mère célibataire maladroite, la pression scolaire à la fois des professeurs (sauf celle d’art plastique qui a décelé son sens artistique et lui fait faire de l’origami) et des élèves qui se moquent d’elle et de sa différence.
Au cours d’une leçon sur la démocratie, par manque d’attention et parce qu’elle manipule ses fameux élastiques, la jeune élève est attachée les mains dans le dos au fond de la classe. Commence alors pour elle un calvaire particulièrement insoutenable.
Une scénographie astucieuse, une ambiance sonore prenante
La comédienne Claire Cahen est seule sur la scène quadrillée de lignes verticales : une vingtaine de cordelettes élastiques lestées par des poids. Ce décor modulable pouvant faire office de rideau, de porte ou encore de chewing-gum représente la passion de la petite fille ascolaire pour les élastiques qu’elle transporte par poignées dans ses poches. La comédienne les déplace avec dextérité, s’y love ou les entortille. C’est d’une ingéniosité folle. Les trouvailles sont nombreuses : le son d’une craie au tableau est produit par un micro frotté sur le jean, des cymbales accrochées aux cordelettes créent le cataclysme final.
À gauche de la scène, Jorge De Moura accompagne la comédienne tout au long de la pièce. Il offre un contrepoint musical et burlesque (par ses rares apparitions sur scène) bienvenu pour digérer ce texte parfois terrible, avec une batterie tantôt enthousiaste, tantôt rageuse et rebelle suivant l’évolution du personnage, mais également un saxophone, une guitare ou des nappes sonores qui créent une ambiance captivante.
Un texte profondément actuel
Le texte d’une brûlante actualité décrit le mal-être de notre époque, l’éclatement de la cellule familiale, l’omniprésence des écrans, l’importance des réseaux sociaux et de la pression sociale dont l’enfant va être une des victimes. Il questionne aussi sur la démocratie.
Dans un langage qui peut être cru, parfois à la limite du supportable, Sales gosses interroge sur le formatage exercé par le système éducatif qui ne laisse aucune place au rêve ou à la créativité.
L’audition de tous les personnages secondaires à la suite du drame montre différents points de vue. Le texte, factuel et sans effets de style, écrit comme un journal intime, permet l’empathie totale pour la petite fille et donne aux adolescents l’occasion d’appréhender la mécanique de la violence et du harcèlement.
Claire Cahen, jouant tour à tour l’ensemble des protagonistes de ce drame dans une interprétation superbement maîtrisée, constellée de nuances, accomplit incontestablement sous la direction brillante de Fabio Godinho une performance de haut vol. Et laisse le spectateur abasourdi.
SPECTACLE : SALES GOSSES
Spectacle vu au théâtre La Caserne, Avignon, le 18 juillet 2021.
Création : 2018
Durée : 1h
Public : à partir de 12 ans
Texte : Mihaela Michailov
Mise en scène : Fabio Godinho
Interprétation : Claire Cahen, Jorge De Moura
Traduction : Alexandra Lazarescou
Création sonore : Jorge De Moura
Scénographie et costumes : Marco Godinho
Création lumières et assistanat : Antoine Colla
Contact Théâtre du Centaure : Alexandre Vitale – Chargé de production 06 52 65 10 32 et alexandre.vitale [@] yahoo.fr
Crédits photographiques : DR
OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
Du 7 au 26 juillet 2021 à 12h45 : théâtre La Caserne, Avignon (Festival Off)
9 et 10 juin 2022 : Espace Bernard-Marie Koltès, Metz (57)
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