Rénovation énergétique des bâtiments : pourquoi je n’y crois pas…
La rénovation énergétique des bâtiments, nouvelle mode étatique, souhaite apporter une baisse significative de la consommation finale d’énergie. Un raisonnement qui ne tient pas selon notre chroniqueur Philippe Kaminski. Et tant pis pour les illusions perdues.
Actualité de l’économie sociale
Je me garderais bien de porter ici un jugement global sur ce qu’on appelle la transition énergétique, ce concept politico-techno-journalistique qui entend rassembler et concilier de trop nombreux enjeux et objectifs qui n’ont rien en commun et qui sont parfois contradictoires. Je n’en veux traiter ici qu’un seul, l’un des plus massifs en termes d’économies attendues : la rénovation énergétique des bâtiments.
Chacun comprend aisément que mieux une construction est isolée, moindres seront les pertes de chaleur lors des périodes de chauffage en hiver, ou les entrées non désirées de chaleur lors des périodes de canicule. Mais une isolation trop parfaite présente aussi des inconvénients, notamment sanitaires. Il faut en permanence renouveler l’air et contrôler l’humidité ; il faut aussi que cela soit installé puis fonctionne à un coût raisonnable, et que l’ensemble ne soit pas trop compliqué à piloter. Et j’ajouterais, soit agréable à vivre. Auriez-vous envie d’habiter une cabine spatiale ?
C’est donc un équilibre assez subtil qu’il faudra trouver. Selon le type de construction, la région où l’on se trouve, l’exposition au soleil et aux vents, et quantité d’autres facteurs personnels qui peuvent intervenir, la solution optimale sera spécifique. On touche là une première faiblesse des mesures gouvernementales, trop jacobines, trop normatives. Leurs objectifs sont annoncés en termes de nombre total de logements à rénover chaque année, comme s’ils étaient tous équivalents. Les réglementations techniques, celle de 2012, puis celle de 2020, imposent des standards uniformes et contraignants. Les aides aux équipements, dont les fameuses chaudières et autres pompes à chaleur à un euro, sont distribuées en fonction des revenus des ménages, et non des caractéristiques du logement qu’ils occupent. Les professions concernées sont complices de cette approche qui leur garantit des marchés reproductibles sans trop d’efforts d’adaptation. Tout concourt à favoriser la répétition stérile, au détriment de l’intelligence, de l’astuce, de l’originalité… et de l’efficacité ! Des remarques analogues s’appliquent aux immeubles de bureaux, aux centres commerciaux, etc.
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Heureusement, si les technocrates ont leur façon de penser et leur volonté de nous dicter la nôtre, il existe assez d’entreprises, comme de particuliers, dotés d’un minimum de bon sens et de capacité à compter leurs sous pour faire les bons choix d’investissement et faire appel aux bons professionnels. Mais à côté de ceux-là, combien de pigeons se sont trouvés démunis face à la floraison des labels aguicheurs, aux démarcheurs insistants et au marteau-pilon de la propagande publique ! Pour un crédit d’impôt aux airs de lendemain qui chante, combien d’équipements inutiles, surdimensionnés, mal posés, inadaptés, auront été livrés sans scrupules à des acheteurs trop confiants ?
Une autre faiblesse insigne de nos politiques publiques d’économies d’énergie est de croire, ou de feindre de croire, que tout reste à faire et que d’immenses réserves de productivité sont toujours devant nous. Pour ma part, je pense le contraire. Les économies faciles ont été faites depuis longtemps. Les gens ne sont pas idiots et ne gaspillent pas pour le plaisir. Il ne faut pas se laisser prendre aux discours sur l’éradication des « passoires thermiques » qu’il suffirait d’isoler pour ne plus avoir à brûler des millions de barils de pétrole. Le premier choc pétrolier a eu lieu il y a 45 ans. Depuis cette date, on débite de la laine de verre et on en pose partout. Il ne faut pas faire comme si on était toujours au point de départ ; les progrès qui restent à faire sont de plus en plus rares et de plus en plus coûteux.
À preuve, la consommation finale d’énergie en France se maintient depuis plusieurs années à peu près au même niveau, un peu au-dessus de 150 millions de TEP (tonnes équivalent pétrole). La première PPE (loi de programmation pluri-annuelle de l’énergie) prévoyait une baisse de 7 % en 2018 par rapport à 2012. Comme on a bien vu qu’il n’y aurait pas de baisse, l’objectif de 7 % a été reporté dans la seconde PPE à 2023 (et 14 % en 2028, avec un terme à 50 % en 2050). Eh bien ! Prenons rendez-vous pour ces échéances. Je fais le pari qu’en 2023, comme en 2028, on se chauffera autant qu’aujourd’hui. À moins que nous ne soyons rentrés dans une économie de guerre, avec restrictions et rationnements, et des dizaines de milliers de morts de froid.
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Les chiffres concernant la consommation d’énergie sont le fruit d’hypothèses complexes. En effet, s’il est relativement aisé de dresser des « bilans matière » pour chaque source d’énergie, il est plus délicat de les répartir selon leur utilisation. Le chauffage des bâtiments, hors agriculture et industrie, se trouve dans les catégories « Résidentiel » et « Tertiaire » qui représentent 42 % de la consommation totale d’énergie en France. Mais quelle y est la part du chauffage, à côté de l’éclairage, des appareils ménagers, des ordinateurs ? C’est très variable, car on ne se chauffe pas de la même manière à Nice et à Pontarlier.
Je me risque à évaluer les quantités d’énergie directement liées à l’isolation du bâti (chauffage, ventilation, climatisation) à un bon 30 % de l’ensemble. C’est considérable, et on comprend que les autorités politiques y aient vu un gisement prioritaire d’économies à réaliser. Le problème, c’est que ce travail a déjà largement été accompli, qu’il n’y a plus grand chose à gratter, qu’on n’est plus très loin de l’incompressible, alors que nos dirigeants continuent de penser qu’en isolant toujours plus, on va pouvoir réduire de moitié ce bloc de 50 millions de TEP.
Je pense que c’est absurde, notamment en raison du vieillissement accéléré des matériels et du vieillissement continu de la population. J’ai déjà pointé, plus haut, la sous-optimalité d’une grande part des équipements qu’on a installés ; il faut aussi pointer leur obsolescence plus rapide que par le passé, à l’instar de bon nombre de nos appareils domestiques, plus économes en énergie, mais plus fragiles et moins durables. Chaque année le parc perd de ses performances, les fenêtres laissent passer plus de courants d’air, les chaudières s’encrassent, les isolants se décollent, les thermostats tombent en panne.
Aucune rénovation ne peut affronter l’éternité, sauf les matériels de très haut de gamme et de prix en conséquence, qui sont et demeureront l’exception. Les dépenses à venir resteront considérables, mais ce seront avant tout des dépenses d’entretien et de maintien à niveau, et non de nouveaux pas en avant dans l’efficacité énergétique globale.
La démographie sait, elle aussi, se montrer cruelle. En 2050, il y aura deux fois plus de personnes âgées qu’aujourd’hui. Elles ne seront pas toutes en EHPAD (mais les EHPAD aussi, il faudra les chauffer). Or plus on est âgé, et plus on est frileux, plus on est négligent, et moins on est enclin à faire de gros travaux en vue du long terme. Ils seront ainsi des millions, restés seuls dans leur logement, laissant tourner leurs compteurs et leurs radiateurs d’appoint, donnant enfin sa vérité au stupide adage l’énergie est notre avenir, économisons-la. Vérité par la réciproque : quand on n’a plus d’avenir, la seule hantise qui reste c’est d’avoir froid, et le seul plaisir qui reste c’est de voir le bois crépiter dans la cheminée. Flammes réelles ou virtuelles, elles auront le même effet, celui de laisser les calories se dissiper dans l’atmosphère.
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Enfin, je pense que nous allons payer cher la débauche de communication et d’incitations publiques que nous subissons depuis le début du siècle, avec leur corollaire de gaspillages, d’abus et de fraudes en tous genres. L’État commence à s’en émouvoir : il est bien bon !, alors qu’il est complice, sinon responsable, de ces dérives fâcheuses qui auraient pu être réprimées dès leur apparition. On commence à s’apercevoir que cela coûte diablement cher aux finances publiques, que bon nombre d’entreprises y trouvant de l’argent à bon compte se sont dispensées d’efforts de recherche et de formation de leur personnels, que tout le monde a pu s’offrir des labels Qualichose ou Enertruc qui n’abusent ni n’amusent plus personne, que même les départements se sont mis à submerger leurs administrés de messages téléphoniques harceleurs les enjoignant de remplir un dossier de demande d’aide à la rénovation, que même Engie (l’ancien Gaz de France, entreprise nationale qui fut un modèle de sérieux et de prudence dans sa gestion !) vient d’être lourdement condamnée pour démarchage abusif et manquement à ses obligations de transparence !
C’est bien tard pour en prendre la mesure, car le mal est fait et, en maints lieux, la confiance est rompue. Trop de gens qui se sont faits avoir y regarderont à deux fois avant de réinvestir. De leur côté, les unions professionnelles hurlent à la mort ; trop habituées à prospérer sous le cocon protecteur des aides d’État, elles sont terrifiées à l’idée de ne pouvoir continuer à vivre que de la qualité de leurs prestations. Il est des spectacles qui réjouissent le cœur et l’esprit !
On l’aura compris : je ne crois pas que la rénovation énergétique des bâtiments puisse apporter une baisse significative supplémentaire de la consommation finale d’énergie, car les progrès sont derrière nous, et les problèmes devant. Tant pis pour les illusions perdues.
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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.