René de Obaldia
La première fois que j’ai vu René de Obaldia, c’était au théâtre. Quoi de plus normal, allez-vous me dire… Ce qui l’était moins, c’est qu’il était sur scène. À 90 ans !
René de Obaldia… J’ai eu l’occasion de rencontrer, à maintes reprises, cet immense auteur de théâtre pendant la période durant laquelle nous tournions un documentaire de 52 minutes consacré à son œuvre. Pour le magazine en ligne BAT-Le Billet des Auteurs de Théâtre dont j’étais le cofondateur. Sur ce documentaire, j’officiais en qualité de producteur. Constamment l’œil sur les comptes. Sous une avalanche de notes de frais, de factures diverses et variées. À gérer une multitude de petits problèmes et de grosses contrariétés. À l’époque, je m’étais juré qu’on ne m’y reprendrait plus. Et j’ai tenu parole.
La première fois que j’ai vu René de Obaldia, c’était au théâtre. Quoi de plus normal, allez-vous me dire… Ce qui l’était moins, c’est qu’il était sur scène. À 90 ans ! Cela se passait au Petit Hébertot, Paris, en 2009. Quand on y pense, c’est quand même incroyable. 90 piges et tenir une heure et demie, tout seul, sur un plateau de théâtre. À part une ou deux pièces, je ne connaissais pas l’écriture de René de Obaldia. Ce spectacle fut un magnifique tremplin pour plonger dans l’univers obaldien. Je me souviens, il avait lu certains passages des Innocentines, d’Exobiographie… Des extraits de quelques-unes de ces pièces étaient projetés… Michel Simon dans Du vent dans les branches de sassafras. À l’issue du spectacle, j’avais discuté avec lui. La première chose qui m’avait étonné, c’était son état physique. Il était frais comme un gardon. Ensuite, au fur et à mesure de la discussion, ce qui m’avait frappé, c’était son humilité, son écoute et sa gentillesse.
Pour moi, le parallèle est évident avec Stéphane Hessel que j’ai eu la grande chance de rencontrer également à plusieurs reprises. Des hommes exceptionnels pour un destin exceptionnel. Stéphane Hessel qui récitait, de tête, des sonnets de Shakespeare, des poèmes de Rimbaud… Des moments de vie suspendus au-dessus du vide. Stéphane Hessel qui, au moment de se quitter, en se serrant la main, m’avait dit…
– Dans quelques jours, j’ai un petit livre qui va être publié…
– Et quel est son titre ?
– Indignez-vous !
Un whisky. Quand nous allions chez René de Obaldia, nous nous retrouvions immanquablement devant un verre de whisky. C’était pendant la préparation du documentaire. Nous faisions régulièrement le point avec lui pour l’informer du bon déroulement du projet en cours. Ensuite, nous l’écoutions nous raconter mille et une anecdotes… Je me souviens d’une en particulier. René de Obaldia ne nous racontait pas que des souvenirs liés au monde théâtral. Comme dans toute discussion à plusieurs, les sujets dépendaient souvent de l’humeur du jour. Une fois, il nous avait parlé longuement de sa captivité dans un stalag en Silésie durant la Seconde Guerre mondiale. Il était évident que cette période l’avait profondément marqué. Je crois me souvenir qu’il avait été prisonnier pendant quatre ans… Il nous avait raconté qu’il récupérait, à l’insu des gardiens, des sacs usagés de plâtre pour écrire dessus. D’une écriture très serrée. Une écriture de mouche lilliputienne. L’écriture comme une bouée. L’écriture, rempart mental, littéraire et intellectuel contre la cruauté au quotidien.
En septembre 2014, il me fit le grand plaisir de venir assister et participer à ma première plénière en qualité de président des Écrivains Associés du Théâtre (E.A.T). Durant presque trois heures, debout, il répondit, avec bienveillance, à toutes les questions de l’assemblée. Il avait 95 ans. Après, nous sommes allés déjeuner à la cafétéria de la SACD. En toute décontraction. Monsieur l’Académicien en train de faire la queue, avec son plateau, devant les hors-d’œuvre…
Un homme charmant. D’une grande simplicité et toujours accessible…
Un jour où la discussion tournait autour du théâtre de l’absurde, il me confia… Je sais que beaucoup me considèrent comme un auteur du théâtre de l’absurde ou tout du moins très influencé par ce style de théâtre, je ne suis pas d’accord avec cela… Je ne suis pas un auteur du théâtre de l’absurde, je suis un auteur du théâtre du mystère…
En Gascogne, il existe un mot : Adishatz… On peut employer ce mot pour dire bonjour, au revoir et adieu. Étonnant, non ? Un simple mot qui incite à une certaine réflexion. Le reflet d’une vie. Bonjour, au revoir, adieu.
Adishatz, René de Obaldia… Et à très bientôt, sur les plateaux de théâtre de France et de Navarre !
René de Obaldia, né le 22 octobre 1918 à Hong Kong et mort le 27 janvier 2022 à Paris est un auteur de théâtre, romancier et poète français. Membre de l’Académie française.
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Auteur de théâtre, scénariste de fictions radio, président des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) de 2014 à 2019, Philippe Touzet tient une chronique bimensuelle dans Profession Spectacle depuis janvier 2021, intitulée : « Arrêt Buffet ».