Rencontres Cinématographiques : cinéma et audiovisuel français dans le « gouffre de la concurrence »

Rencontres Cinématographiques : cinéma et audiovisuel français dans le « gouffre de la concurrence »
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Du jeudi 12 au samedi 14 octobre 2017, se sont tenues les Rencontres cinématographiques, organisées par l’ARP, la ville de Dijon et la région Bourgogne-Franche-Comté. Manifestation essentielle pour le milieu du cinéma et de l’audiovisuel, elle rassemble de nombreux professionnels et les pouvoirs publics. En débat, de nombreuses questions liées à la chronologie des médias, à la diffusion, aux coupes budgétaires, au piratage… Compte rendu.

Le milieu du cinéma et de l’audiovisuel français se trouve dans un « gouffre de la concurrence », selon l’expression d’Émilie Cariou, députée LEM. En effet, son industrie, dont Canal+ était auparavant l’un des piliers, entre aujourd’hui en concurrence avec de nouveaux acteurs aux moyens financiers considérables, souvent liés à des activités extérieures au cinéma, tels les télécom. Sans une réelle volonté politique, une telle concurrence conduirait peu à peu à l’asphyxie du cinéma français.

En question de fond, le rapport qui se joue entre deux économies : l’une de production de films, basée sur des projets artistiques ; l’autre sur l’investissement massif, dans lequel le film n’est qu’un moyen de rentabiliser des coûts fixes. Deux logiques qui cohabitent sur les mêmes canaux de diffusion, avec un risque d’extinction de la première. Dans ce contexte, comment garantir l’enrichissement culturel ?

Chronologie des médias : six mois pour trouver un accord

La chronologie des médias est l’un des trois chantiers prioritaires annoncés par la ministre Françoise Nyssen, lors de l’ouverture de ces rencontres – avec la lutte contre le piratage et la modernisation des réglementations audiovisuelles : « La révision de la chronologie des médias est la clef pour adapter notre modèle aux nouveaux usages ». En commission des affaires culturelles et de l’éducation, les discussions étaient jusqu’alors bloquées : « Pour sortir du blocage, il est important de changer la méthode. J’ai donc annoncé qu’un médiateur interviendra pour conduire les concertations avec l’appui du CNC ». L’énarque Dominique d’Hinnin, ancien co-gérant de Lagardère et actuel administrateur de la société Eutelsat, a six mois pour trouver accord. Faute de quoi, une proposition législative réglementaire s’ensuivra.

« On met le film au micro-onde pendant deux semaines et il finit au congélateur »

« Nous sommes obsédés par la salle de cinéma, parce que c’est la meilleure expérience possible pour voir un film. Or le problème, c’est qu’on met le film au micro-onde pendant deux semaines et qu’il finit au congélateur », confie Xavier Rigault, co-président de l’Union des producteurs du cinéma. Si les salles bénéficient de protections suffisantes, il n’en va pas de même, selon lui, pour les films, qui sont très vite oubliés après leur sortie en salles, sans garantie de diffusion à la télévision ou sur les plates-formes VOD. « La modernisation de la chronologie doit concerner deux choses : le préfinancement de la création et l’accès au public. » Pour Radu Mihaileanu, président de l’ARP, il faut effectivement pérenniser cette industrie. La directive sur les services de média audiovisuels (SMA) est certes protectrice, avec un pourcentage obligatoire d’œuvres préfinancées, mais certains acteurs non-vertueux à l’exception de Netflix, demeurent volatiles.

Allègement de la coupe budgétaire pour l’audiovisuel public

Concernant l’audiovisuel public, la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, a dit se sentir soutenue par la ministre et les députés : « On a beaucoup parlé des financements et du budget ces derniers temps : des coupes sont prévues un peu partout, en particulier dans le secteur de l’audiovisuel public. Je voudrais en profiter pour dire qu’un amendement a été voté en commission, permettant d’alléger cette coupe de 20 millions d’euros ». Elle n’a cependant pas caché que les mois à venir seraient difficiles, même avec une facture allégée.

Concours de vertu… ou bataille de coqs !

Pour un peu, le débat se serait transformé en concours de vertu, voire en bataille de coqs ! « Pour beaucoup de réalisateurs, le deuxième film est plus dur à monter, explique Maxime Saada, directeur général du groupe Canal. 50 % des films que l’on finance sont des premiers et deuxièmes films. Nous sommes par ailleurs les seuls en France à avoir un engagement avec OCS (Orange Cinéma Séries). Nous sommes de loin l’acteur qui finance le plus la diversité. » Delphine Ernotte conteste cette dernière affirmation et vente à son tour les mérites de France Télévisions : « Nous préfinançons 60 films par an, en étant attentifs à la diversité des genres, et en privilégiant les nouveaux talents. Il faut s’accorder sur le sens du mot vertueux, car comme dans Global Farmer, tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres ! »

Acteurs vertueux et non-vertueux : vers l’équité de traitement ?

Une égalité de traitement, en particulier pour les plateformes SVOD, est nécessaire. L’injustice d’une concurrence déloyale n’est contestée par personne, pas même par Alain Weill, directeur d’Altice France, nouvel acteur encore mal-aimé de la grande famille du cinéma. Parce que certains groupes s’exonèrent de mutualiser leurs bénéfices, il faut y mettre fin et redéfinir le terme « d’établissement stable » sur la taxation des non-résidents, qui apparaît dans la loi de 1928 – socle sur lequel nous payons nos impôts, et qui doit être révisé. Il semble juste de refuser qu’une petite librairie assume diverses taxes, sacrifiant un certain pourcentage de son chiffre d’affaires, quand un géant comme Amazon, basé au Luxembourg, ne paye rien. Tout comme un fonds de soutien avait été créé par Charles de Gaulle et André Malraux, réservant une partie de celui-ci à la création cinématographique, la taxe des Gafa ne devrait pas revenir exclusivement à l’État.

Les services linéaires et non-linéaires

La directive SMA et l’accord trouvé en mai dernier forcent les plates-formes de VOD et SVOD comme Netflix à proposer au moins 30 % d’œuvres européennes dans leurs catalogues, assouplissant la répartition de la durée maximale de publicité autorisée. Cette réforme, qui sera effective en 2018, demande à être améliorée, selon Frédérique Bredin, présidente du CNC, puisque, sur le plan financier, le traitement entre services linéaires et non-linéaires est inégal : « On a un petit trou dans la raquette, qu’il faudra rattraper durant ces six prochains mois pour arriver à un même traitement entre les services linéaires et non-linéaires ».

Projets en Commission européenne

« Au niveau européen, il y a l’urgence d’une fiscalité générale, explique la députée Emilie Cariou. Certains ne paient pas l’impôt sur les sociétés ; il y a les stratégies d’évitement de la TVA et des taxes locales. Cette concurrence déloyale a des conséquences directes sur la production et la diffusion. » Parmi les projets qui sont sur la table, on trouve l’International profit shifting, le projet d’assiette consolidé à l’impôt sur les sociétés (qui créerait une assiette globale dont les profits seraient partagés par tous les pays européens), et enfin le projet de taxation sur le chiffre d’affaires des Gafa.

Éduquer pour moins pirater

Si les amendes pour piratage sont un moyen d’action de le freiner, Françoise Nyssen a néanmoins rappelé l’importance de « l’éducation des jeunes publics et la promotion de l’offre légale […] Il faut expliquer aux jeunes que, s’ils piratent, ils ne pourront pas ensuite faire ces métiers dont ils rêvent tant ». La ministre veut éduquer à l’image et à l’art cinématographique par des ciné-clubs dans les écoles, grâce à l’engagement des jeunes en service civique, en tant que médiateurs du cinéma, dans les établissements scolaires et les cinémas. « Nous souhaitons aussi que les professionnels interviennent davantage dans les écoles, pour faire découvrir leur travail. »

La volonté politique de réforme, qui sera à l’œuvre ces six prochains mois, vise la protection du cinéma et de l’audiovisuel français, dans une perspective de « mondialité » (Édouard Glissant), c’est-à-dire une coexistence des cultures respectant la diversité, à l’inverse d’une mondialisation qui la laisserait s’éteindre.

Morgane MACÉ

Correspondante Bourgogne-Franche-Comté


Crédits des photographies : Morgane Macé / Profession Spectacle



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