« Renaissance », les contrastes du meilleur film portugais du Fantasporto 2015
Renaissance est un jeu de contrastes. Entre lumière et ombre (dans un clair-obscur qui renvoie aux tableaux de la… Renaissance), entre le silence et le son, entre la cacophonie et l’harmonie, entre le désespoir et l’espérance. Voici quelques-uns des éléments du court-métrage réalisé par Nuno Noivo et Joao Fanfas. La revue culturelle en ligne Charivari a rencontré les auteurs, afin de pouvoir mieux connaître cette production indépendante qui a remporté le prix du meilleur film portugais lors de la dernière édition du festival Fantasporto.
Article traduit du portugais par Lucia Joaquim.
Un couple qui vit aux marges de la société. Une ambiance chargée et ténébreuse, presque oppressive, qui souligne une certaine sensation d’isolement, mais également la tragédie qui sépare les deux protagonistes (Cristovao Campos et Anabela Moreira, qui ont également joué dans la série Les fils du Rock). Le réel se mêle à quelques éléments fantastiques (personnifiés par l’acteur José Neves) et à la propre psyché des personnages, à travers une gestion soignée de la photographie, de la direction artistique et du travail sur le son. Renaissance renvoie à l’esthétique des peintures classiques, mais aussi au parcours des personnages qui finissent par émerger de l’obscurité.
« Le film se déroule sur trois plans », explique Nuno Noivo, « le plan réel, le plan psychologique et le plan mythologique, ou surnaturel si vous préférez. La structure du film pourrait être considérée comme linéaire s’il n’y avait pas des éléments surnaturels qui surgissaient. » Le réalisateur insiste sur l’importance de l’atmosphère et de l’ambiance, qui ont été à la genèse du projet. « D’abord, des images et des ambiances nous sont venues en tête, et on a voulu explorer cette piste », rajoute Nuno Noivo. « La suite du travail a été de comprendre quelle histoire nous allions utiliser pour servir au mieux ces ambiances. »
Le silence qui entoure la relation entre les protagonistes est également marquant. Mais bizarrement, cela ne faisait pas partie de l’idée initiale, comme nous l’ont révélé les auteurs. « Les premières versions du scénario contenaient des dialogues. Ce n’est qu’après que nous avons décidé de faire un film sans dialogue, afin que le son puisse avoir une plus grande prépondérance et que le ton soit encore plus cru et réaliste », révèle Nuno Noivo. « Quand nous discutions ces trois plans de la narration, nous voulions quelque chose de très détaillé dans la partie réelle. Et nous avons pensé que la mise en son pourrait nous apporter cela. Le son est très présent et nous a aidés à créer les ambiances. Dans le film, tu es à l’intérieur d’une maison et, grâce aux bruitages et aux sons extérieurs, tu arrives à transmettre l’endroit où ces personnes vivent. Par exemple, tu réussis à entendre les trains passer, ce qui est le produit d’un travail sur les bruitages et non de la captation directe. »
Pour accompagner ce choix créatif, la musique, parfois inquiétante, est de Xavier Capellas – collaborateur fréquent du réalisateur espagnol Alejandro Amenabar, qui a travaillé sur des films comme Mar adentro et The Others. Le choix de Capellas ne doit pas tant à sa réputation qu’au fait qu’« on savait qu’il serait capable de donner une interprétation particulière au film », assure Joao Fanfas.
« C’est un compositeur avec qui nous avions déjà collaboré pour quelques projets professionnels », rajoute Nuno Noivo. « Xavier a parfaitement compris le concept des trois plans de la narration : sa musique aide à marquer cette différence. Du côté réel, la bande sonore est totalement absente ; sur les autres plans, la musique est plus manifeste et transmet complètement l’histoire ainsi que les sentiments des personnages. Dans la séquence où l’on voit le personnage de José Neves qui s’approche d’Anabela Moreira, on n’entend pas une symphonie mais une dysphonie. Les instruments paraissent désaccordés et semblent jouer chacun de leur côté, ce qui reflète exactement ce qui se passe dans la tête des deux protagonistes. Ce désaccord initial gagne progressivement en harmonie, à mesure que ce couple réussit à dépasser les problèmes qu’ils avaient à l’origine. »
En sa qualité de production indépendante, Renaissance a rencontré tous les obstacles propres à ceux qui ne peuvent que raconter par leurs propres moyens – sans parler de tous les imprévus qui se sont ajoutés. Le tournage s’est déroulé dans la Ribeira de Santarém, ville connue pour les fréquentes inondations dont elle souffre durant l’hiver. À cause de cela, l’équipe a perdu un décor à l’endroit où elle devait filmer certaines scènes essentielles du film. Mais à l’instar des propres contrastes du film, il y a toujours un côté positif. Les habitants de la petite ville ont aidé en assistant la production, notamment par la restauration. Avec les inondations, la bonne gastronomie fait également la renommée de cette zone du pays.
L’intégralité du processus créatif a également évolué, comme nous le décrit Joao Fanfas. « Il y a eu trois moments dans le tournage. Une première partie à l’issue de laquelle il nous manquait quelques scènes, en raison des conditions climatiques. Après 4 ou 5 mois, nous avons filmé ce qu’il nous manquait. Ensuite, du fait de raisons professionnelles, ce n’est qu’après un bon moment que nous sommes rentrés dans la phase d’édition, de montage et de finalisation du film. »
Nuno Noivo rajoute également : « À cause de nos occupations professionnelles, il n’a pas été possible de passer directement à la postproduction après le tournage. Mais cette distance que nous avons créée par rapport au matériel a fini par être bénéfique. Elle est devenue un processus créatif en tant que tel, ainsi qu’une phase de mûrissement. L’histoire a continué à se développer et à être travaillée au moment du montage. À l’origine, le film devait être raconté du seul point de vue du personnage de Cristovao Campos, mais durant le montage, nous avons constaté que cela fonctionnerait mieux si le film était également raconté du point de vue du personnage d’Anabela Moreira. »
Le duo de réalisateurs ne cesse de vanter les mérites de toute l’équipe qui, sans rien attendre en retour, a participé à la production de Renaissance. « Ils ont cru au projet, se sont investis et ont apporté leurs talents, ce qui a fait de ce travail d’auteur une œuvre collective », assure Nuno Noivo, qui tient à préciser que l’équipe technique et le casting « ont également fait partie du processus créatif ». Il ne faut ainsi pas s’étonner du fait que les deux réalisateurs aient tenu à partager les mérites du prix du meilleur film portugais du Fantasporto avec toute l’équipe. « C’est une récompense pour nous tous », dit Joao Fanfas, qui accorde une très grande importance. « Le Fantasporto est l’un des festivals de cinéma les plus réputés. Même si la presse n’est pas très prolixe ici, il n’en est pas de même à l’étranger. Il suffit de penser que de grands réalisateurs, qui font autorité aujourd’hui, ont gagné des prix au Fantasporto. Ce festival a 35 ans, c’est-à-dire mon âge. Même si on ne le dirait pas, quand j’ai commencé à travailler dans ce domaine, ce festival allait déjà sur ses vingt ans (rires). »
La conversation avec les auteurs de ce court-métrage primé dérive inévitablement vers l’état du cinéma portugais, notamment pour les jeunes créateurs. « Le fait que nous ayons gagné le prix du Fantasporto est un exemple pour les jeunes qui, comme nous, veulent faire de la fiction. Bien sûr que nous avons tenté par tous les moyens d’avoir accès à des fonds publics, mais ce n’est pas parce que nous ne les avons pas obtenus que nous avons abandonné. Nous avons toujours cru au projet, et ce qui était à l’origine un obstacle a fini par être une motivation supplémentaire », affirme Joao Fanfas. « L’essentiel, c’est que les gens comprennent que ce ne sont pas seulement les courts-métrages soutenus par une maison de production, ou par des subventions de l’État, qui réussissent à aller loin, voire même à être réalisés. Il suffit d’avoir de la volonté et du temps, ce qui a également de la valeur. Nous aussi nous avons notre vie professionnelle : nous ne pouvons pas nous arrêter de travailler et avons tous nos factures à payer. »
Le chemin paraît tout de même plus facile aujourd’hui que l’époque à laquelle le duo s’était lancé dans le projet Renaissance. L’accès aux subventions publiques est soumis à de nouvelles règles, comme l’explique Nuno Noivo : « Quand nous avons candidaté, la législation concernant les subventions de l’ICA (Institut du cinéma et de l’audiovisuel) était différente de celle qui existe aujourd’hui. Aujourd’hui, ils mettent à part le financement des premiers court-métrages, ce qui auparavant n’était le cas que pour les longs-métrages. Au moment de présenter notre candidature, une telle séparation n’existait pas. C’était un concours général. Que se passait-il alors ? Ils attribuaient annuellement des financements à 10 court-métrages et, en raison du coefficient qu’ils attribuaient à notre CV, il était impossible de pouvoir tenir la concurrence des réalisateurs consacrés. Par exemple, alors que notre coefficient de réalisation était de 4, nous étions en compétition avec des réalisateurs dont le coefficient était de 8,5 ou 9. Du coup, pour qui débutait, ça devenait impossible d’obtenir ces subventions. Mais heureusement, l’année dernière, cette législation a changé : au sein même de la catégorie des courts-métrages, il y a des financements exclusivement dédiés aux premières œuvres. »
Avec la démocratisation des caméras digitales, grâce à la diffusion et à la distribution facilitées sur les réseaux sociaux, il y a des espaces pour que toujours plus de créateurs puissent montrer leurs travaux. Pour autant, Joao Fanfas est péremptoire lorsqu’il affirme que « l’impact du film n’est pas le même selon qu’il est vu au cinéma ou sur un écran d’ordinateur. Nous tentons de faire des films spécifiquement pour le cinéma. » L’opinion est évidemment partagée par Nuno Noivo qui affirme que « l’objectif est que le film soit diffusé dans une salle de cinéma. Le parcours naturel des courts-métrages est de faire le circuit des festivals. »
Avec le prix du meilleur film portugais du Fantasporto, c’est précisément ce qui doit arriver à Renaissance dans un futur proche. Au cours de la conversation avec les réalisateurs, on a clairement la sensation que, si le voyage peut certes avoir mis du temps à commencer, il vient seulement de débuter. « Ça valait la peine de faire le pari d’attendre avant de le diffuser » affirme un Nuno Noivo, évidemment fier. « Le Fantas a toujours été l’endroit où nous voulions montrer notre court métrage. Pour que le film soit éligible, ils exigent que ce soit une première exclusivité. Cela implique que tu restes avec ton film fini, en main, avec l’envie de le montrer. Mais comme tu participes au Fantas, tu ne peux pas le faire. Après, tu attends encore pour savoir si tu es sélectionné. Après être sélectionné, tu attends encore trois mois jusqu’au festival… et nous sommes toujours là, avec notre film en main, sans pouvoir le montrer (rires). Après tant de temps, vient enfin la première diffusion. C’est à ce moment là que nous avons vu pour la première fois le film projeté. Finalement les choses se sont faites en grand, parce que nous avons diffusé notre film à l’endroit voulu et que nous avons gagné le prix du Meilleur Film Portugais. Avec un démarrage tel que celui-là, ça va être plus facile pour montrer notre film dans d’autres lieux. »
Ce sont ces mêmes lieux que les réalisateurs promettent de révéler prochainement sur le site officiel du film. Avec le prix du Fantasporto, Renaissance aura certainement droit à une présence assidue dans d’autres festivals de cinéma.
Traduit du portugais par Lucia JOAQUIM.