[Recension] Le son comme force créatrice pour le cinéma contemporain
Bernard Guiraud, professionnel reconnu du son, publie la troisième édition de son ouvrage Le Son au Cinéma et dans l’Audiovisuel, aux éditions Baie des Anges. Exhaustif, pédagogique et militant, ce manuel s’est imposé en quelques années comme l’une des meilleures introductions à l’univers du son et à son potentiel artistique, trop souvent négligé dans l’audiovisuel..
.
Bernard Guiraud est un homme aux oreilles attentives. Pas étonnant lorsque nous regardons sa biographie : diplômé de Louis Lumière, enseignant à l’ESRA et au CIRM, Centre International de Recherche Musicale, membre de la SACEM et ex-membre de la CST, Commission Supérieure Technique de l’image et du son. Son talent de pédagogue est d’abord sorti des salles de classe, à l’initiative de l’un de ses élèves, lorsqu’il écrit son premier livre : Le Film, Musique et Son.
Exhaustivité sans académisme
Si l’homme s’est depuis pris au jeu, en poussant le vice jusqu’à écrire un livre sur les mots de la cuisine – Histoires Gratinées aux éditions Au Pays Rêvé –, c’est de la dernière édition de son classique Le Son au Cinéma et dans l’Audiovisuel dont nous parlerons ici.
J’oserai ici parler à la première personne, puisque c’est en tant que jeune cinéaste que j’ai pu apprécier la profondeur, tout autant que la facilité de lecture, de l’ouvrage. Il s’agit bien ici de la force essentielle de ce pamphlet qui, en raison même de son côté succinct, condense l’informatif et la technique sans céder à la lourdeur académique que nous retrouvons dans bien des cours d’écoles de cinéma.
Le livre de Bernard Guiraud fait dans l’exhaustif – en tout cas pour qui n’a pas encore passé l’examen de Louis Lumière. Après que l’avant-propos a fixé l’intention teintée de « militantisme sonore », tout y passe, de l’écriture sonore initiale d’un projet aux multiples formes de diffusion sonores des supports audiovisuels. L’auteur nous guide dans un univers dont la nature et le fonctionnement restent souvent le mystère insondé des professionnels du son. Détaillant l’histoire du son à travers le cinéma depuis l’arrivée du parlant à la fin des années 20, Bernard Guiraud amène le lecteur à comprendre les enjeux de l’écriture sonore dans l’audiovisuel, avant de préciser point par point la nature du travail sonore actuel : son direct et post-synchronisation, doublage, mixage, spatialisation…
Un melon poignardé pour la scène de la douche dans Psychose !
Avoir un bref aperçu des techniques de bruiteurs, c’est déjà mettre un pied dans un monde émerveillant d’inventivité : saviez-vous que c’est un melon jaune qui a été poignardé pour produire les sons que l’on entend dans la célèbre scène de la douche de Psychose ? Ou bien que le cri du Balrog, dans Le Seigneur des anneaux, est produit par le frottement d’un bloc de ciment sur du parquet ?
Comprendre l’étendue des possibilités que donne le son à la mise en scène, à travers l’utilisation des « passages de frontières » par exemple, est exaltant. Il ne serait pas étonnant que des carrières de « sound-designers » voient le jour en lisant une ou deux anecdotes sur le travail de géants tels que Walter Murch ou Ben Burtt !
Si les professionnels ayant déjà intégré le milieu des plateaux de tournage y trouveront quelques rappels bien salutaires, ainsi qu’un « désir de son » qui fait cruellement défaut aujourd’hui, c’est sans doute aux futurs cinéastes et professionnels de l’audiovisuel que cet ouvrage sera le plus utile.
Plaidoyer pour la dimension créative du son
Alfred Hitchcock, Jean-Jacques Annaud, Orson Welles, Steven Spielberg, Stanley Kubrick et Akira Kurosawa… Les références et les citations sont nombreuses, tant des réalisateurs que des sound-designers et des chefs-opérateurs du son. À grand renfort d’exemples et d’anecdotes bien utiles au propos, Bernard Guiraud explique le son sans jamais s’arrêter à sa dimension exécutive des fantasmes visuels du réalisateur. Au contraire, il plaide pour sa dimension créative, suggérant l’idée – et la démontrant – que le son dans l’audiovisuel peut (doit) être une force artistique, depuis l’écriture scénaristique jusqu’au mixage et à la post-production. Une évidence qui est pourtant bien absente de l’esprit de beaucoup d’auteurs d’aujourd’hui.
C’est pourquoi cet ouvrage est important : la nouvelle génération de cinéastes y trouvera les conseils avisés d’un fin connaisseur du monde sonore, afin de donner – enfin – à celui-ci la portée dont il se languit aujourd’hui. Entre films d’auteurs souvent obnubilés par la dramaturgie et blockbusters gavés d’effets auditifs pyrotechniques, qui prendra le temps d’écouter Bernard Guiraud ?
Maël LUCAS
Bernard GUIRAUD, Le Son au Cinéma et dans l’Audiovisuel, 3e édition, Éd. Baie des Anges, 2016, 154 p., 14, 90€