Radiophonie et technologie, un tournant pour la diffusion
Les technologies numériques ont bouleversé la diffusion musicale radiophonique et posent ainsi un nouveau défi pour la régulation. Plate-forme de streaming et radio traditionnelle : concurrence ou complémentarité ? Deuxième partie de la recherche menée par Sarah Jacqueline Lang.
Sarah Jacqueline Lang a achevé une thèse professionnelle, dirigée par Elena Borin à la Burgundy School of Business (BSB), sur l’impact des politiques d’exception culturelle française, dans un contexte d’évolution technologique. À travers l’exemple de la diffusion de la musique par la radio, elle s’interroge non seulement sur la pertinence d’une politique des quotas à l’heure où les plates-formes de streaming se multiplient, mais également sur différents impacts tels que la diversité culturelle, la diffusion-consommation ou encore la rémunération des artistes.
Elle propose, pour la première fois, une synthèse de ses recherches dans une série de trois articles publiés en exclusivité dans Profession Spectacle.
Exception culturelle et diffusion musicale (2/3)
Comme tous les domaines, la radio doit suivre l’évolution du marché, afin de correspondre aux nouveaux modes de vie et de consommation. Le développement des nouvelles technologies, plus précisément d’internet, est un critère déterminant. Si les radios ont tenté d’accrocher ce tournant du numérique avec le lancement de webradios, les plates-formes de diffusion musicale, appelées communément streaming, semblent désormais avancer comme un mode de premier plan. Le streaming est-il la radio 2.0 ?
L’émergence du streaming, un bouleversement du marché de la diffusion musicale…
Alors que 12,2 % des Français écoutant la radio (soit 6,6 millions de personnes) le font à travers un support digital (télévision, ordinateur, smartphone…), les webradios sont le résultat d’une stratégie d’adaptation des radios aux nouvelles méthodes d’écoute. En se connectant à une webradio, l’auditeur se voit proposer en plus de la diffusion musicale, vidéos, informations musicales, calendrier d’événements, applications, présence sur les réseaux sociaux… Il y a ainsi une volonté de se moderniser en diversifiant ses activités, passer d’un outil d’écoute passive à une image de marque connectée et interactive.
Le résultat est, pour le moment, plus que mitigé, puisque le domaine de la diffusion musicale a été bouleversé par l’apparition des plates-formes en ligne : ces sites fonctionnent selon le principe du streaming, l’écoute d’un flux musical à partir d’un catalogue musical. Et pour cause, désormais environ 13 millions de Français utilisent mensuellement le streaming pour écouter de la musique ; le leader Spotify possède à lui seul un tiers du marché mondial, avant Apple Music ou la plate-forme française Deezer.
Quasiment illimités, ces catalogues apportent une notion d’individualisation forte. Si, à l’instar de la radio, l’écoute peut être passive (en se reportant au flux proposé par les algorithmes du site), la rupture dans le domaine est due à une utilisation active : le streaming offre un sentiment de contrôle grâce à deux arguments, manipulation et choix.
À la technique du « fuis-moi je te suis », les radios et les plates-formes s’inspirent. D’un côté, les radios cherchent à s’adapter aux goûts des auditeurs, grâce aux études marketing d’évaluation de la notoriété fondées sur des panels ciblés (appelées call-online ou auditoriums) – une technique incitant à diffuser des playlists standardisées comme présentées dans l’article précédent. D’un autre côté, le service dématérialisé du streaming intègre peu à peu podcasts, présentateurs… tout en collectant les données des auditeurs pour améliorer son service personnalisé.
… et un nouveau défi pour la régulation
Les radios se sentent menacées par le streaming, et pour cause, la régulation des quotas ne s’applique pas à ce mode de diffusion. S’il représente une nouvelle habitude d’écoute surtout pour les jeunes générations, dont près de 900 000 de 13 à 24 ans auraient abandonné la radio au profit du streaming les quatre dernières années, une question est régulièrement levée : la régulation devrait-elle être reconsidérée, au nom de la diversité et d’une forme de concurrence déloyale ?
La recherche montre que la diversité est plutôt protégée sur les plates-formes, à travers un catalogue quasi illimité et complet, offrant un accès théoriquement égal à la musique française. De plus, elle démontre que ce système de recommandations tend à orienter les écoutes de chansons stars vers des contenus moins connus ou écoutés (appartenant à la notion marketing de « la longue traîne »), pour ainsi exposer la richesse de leur catalogue, en ajoutant le système de playlists qui permet de mixer les genres et les notoriétés.
Afin de corriger l’asymétrie de la régulation que dénoncent les radios, la politique réglementaire ne devrait donc s’appliquer aux plates-formes de streaming qu’à partir du moment où la diversité musicale est alertée. De plus, la notion de concurrence déloyale est effective dès lors qu’elles menacent l’existence même des radios, en captant une audience réelle. Aucun chiffre officiel n’affirme pour l’instant ce propos. En allant plus loin, nous devrions alors envisager que la radio et le streaming occupent le même marché, en proposant le même service.
Vers une extension du marché de la diffusion musicale
Plutôt que de les considérer comme des concurrents, il s’agirait d’une évolution naturelle de la stratégie du marché : d’un modèle « one-to-many » à « one-to-one »1. Le produit est identique, la diffusion musicale, mais le service est distinct : alors que la radio est un service à l’offre (un contenu audio identique à tous les auditeurs), le streaming est un service à la demande (une diffusion individuelle).
Ils répondent ainsi à différents besoins et permettent aux auditeurs d’apprécier la diversité de manière individuelle. D’un côté, l’individualisation, la flexibilité, un rôle actif dans l’écoute proposé par le système des plates-formes offrent une diversité de choix sans frontière. De l’autre côté, face à trop de choix et de diversité, l’auditeur peut ressentir une confusion qui impacte le confort et l’utilité d’une écoute guidée par la radio.
En conclusion, le marché de la diffusion musicale est scindé en deux services complémentaires, résultat de son évolution, et répondant à différents besoins fondés sur les goûts individuels des auditeurs pour la diversité.
Sarah Jacqueline LANG
Notes
1 Newstank Culture (2017), « La concurrence a l’avantage de faire progresser l’industrie »
Lire aussi
– La politique d’exception culturelle appliquée aux radios musicales (1/3)