Quand Robert Louis Stevenson troque l’aventure pour la contemplation
Dans une nouvelle surprenante, Will, l’homme du moulin, le célèbre romancier écossais troque ses talents d’aventurier-conteur pour nous offrir un récit contemplatif sur un sédentaire qui privilégie le désir à sa réalisation.
Il ne me semble pas avoir lu de romans de Robert Louis Stevenson depuis mon enfance, quand les aventures du jeune Jim Hawkins me transportaient, à bord de l’Hispaniola, d’une mer à l’autre, d’un personnage épique à un autre, d’aventures en trahisons, quand je vibrais avec la Flèche noire, en quête de justice et d’honneur, quand je tremblais devant les métamorphoses toujours plus rapides et angoissantes du pauvre docteur Jekyll… Je me souviens, par ailleurs, vaguement d’une guerre fratricide sur fond de guerre entre l’Écosse et l’Angleterre, qu’une courte recherche sur l’internet me permet de préciser : Le Maître de Ballantrae.
Stevenson est ainsi, dans mon imaginaire, un romancier de l’épique populaire, du fantastique haletant, dont les œuvres rivalisent de péripéties et d’actions. Quelle n’est pas ma surprise de découvrir sa nouvelle intitulée Will, l’homme du moulin, édité dans la collection “Petite Bibliothèque” (qui regorge de petites pépites pour les amoureux de récits courts) chez Rivages, avec une traduction de Nicolas Waquet. Ce dernier, dans une préface simple et dense, anticipe notre surprise, montrant combien le héros de la nouvelle, ce Will, est précisément l’anti-héros par définition des romans de Stevenson.
Si l’on retrouve dans les aspirations du jeune garçon tout ce qui anime Jim Hawkins et consorts, Will ne quitte finalement jamais la pente, un moulin devenu auberge à mi-chemin entre la plaine et les étoiles, toutes deux fantasmées, qui l’accueille depuis sa naissance – ou plutôt, son adoption. Ce détail étonnant mais certainement pas anodin évite de fournir un ancrage trop psychologique (mais nous ne sommes qu’en 1877, quand Freud n’en est qu’à ses balbutiements psychologiques) pour asseoir une personnalité, donc un désir, à l’origine incertaine. Car c’est bien le désir qui est central dans ce texte, en tant qu’il se déploie sans être jamais assouvi, qu’il se nourrit de tout sans trouver de nourriture consistance, réelle. La plaine, les étoiles, l’amour… Tout n’est que projection d’un désir qui prend bien soin de ne pas se concrétiser.
« La rivière pouvait courir éternellement, les oiseaux voler toujours plus haut jusqu’à toucher les étoiles. Tout cela n’était après tout à ses yeux que vaine agitation ; car ici, sans bouger d’un pouce, en attendant patiemment dans son étroite vallée, il avait lui aussi atteint la lumière la plus belle. »
Il y a une sagesse apparente à cultiver ainsi le désir pour lui-même, à ancrer celui-ci dans une rêverie joyeuse et non une réalité nécessairement bornée, fût-elle pleine de charme ; il y a aussi, plus profondément, l’assèchement d’une existence qui ne trouve jamais sa pleine fécondité et qui porte en son sein atrophié son lot de larmes et de regrets.
« À travers ces mutations et ces découvertes, Stevenson nous montre qu’il est possible de cheminer humblement vers ce que nous sommes appelés à être, de savoir ce qui se trouve au fond de nous pour nous permettre de nous améliorer », écrit Nicolas Waquet dans sa préface, interprétant la nouvelle plus allègrement que je ne le fais, considérant l’impasse intime dans lequel s’enferme le héros, jusqu’à la délivrance mortelle. Mais je souscris à ce que le traducteur écrit aussitôt après : « Il [Will] peut donc vivre dans l’émerveillement renouvelé de l’enfant, rêvant dans ce cadre de montagnes à la frontière du ciel et de la terre. »
C’est tout cela que porte la jolie nouvelle de Robert Louis Stevenson, en une cinquantaine de pages d’une poésie imprégnée de fraîcheur et de simplicité.
.
Robert Louis Stevenson, Will, l’homme du moulin, traduit de l’anglais (Écosse) par Nicolas Waquet, Coll. « Petite Bibliothèque », Payot & Rivages, 2022, 80 p., 6,50 €
.
Soutenez-nous gratuitement.
Abonnez-vous à notre chaîne YouTube.
Merci !