Quand Pôle emploi s’attaque aux intermittents
C’est un bras de fer dont ils ont perdu la première manche : un groupe d’intermittents du Calvados a assigné Pôle emploi, qui leur réclame le remboursement de trop-perçus. Si la justice a donné raison à l’établissement public le 8 septembre dernier, ils ne baissent pas les bras pour autant et ont décidé de faire appel. Un bel exemple de mobilisation des intermittents pour défendre des droits qui sont et seront de plus en plus souvent menacés. Profession Spectacle revient sur une bataille judiciaire qui pourrait bien se reproduire fréquemment.
Qui sont ces intermittents ?
Ils s’appellent Wenceslas, François, Nicolas, Ahmed, Ronan, Emmanuel, Jérôme, Didier, Arnaud et Christophe. Tous sont artistes, danseurs, musiciens ou comédiens, comme ils l’expliquent dans cette lettre ouverte, publiée sur le compte Facebook de l’association KIC (Koordination Intermittent Calvados). Et, depuis 17 mois pour certains, ils ne touchent plus d’indemnités de Pôle emploi. Pire, l’agence leur réclame de l’argent au nom d’un trop-perçu d’indemnités.
Que leur reproche Pôle emploi ?
L’agence leur réclame 160 000 euros au total ! Ce qui représente des sommes allant de 8 000 à 25 000 euros par personne. On comprend dès lors facilement leur désarroi. Leurs torts selon Pôle-emploi ? Avoir réalisé des prestations liées à la création de spectacles avec des amateurs (adultes, enfants ou lycéens), ou à l’accompagnement de pratiques artistiques : elles sont jugées hors-cadre par la structure. Selon les notifications reçues par ces intermittents, “l’embauche d’un artiste afin d’assurer l’animation de cours, stages ou ateliers” n’entrerait pas dans le cadre du spectacle vivant et ne justifie donc pas une indemnisation.
Sûr de son droit, Pôle emploi opère des retenues sur les allocations pour se rembourser. C’est ce procédé que les dix intermittents mettent en cause devant la justice.
Que répondent ces artistes ?
Ces activités, mises en cause par Pôle emploi, font pourtant partie intégrante du métier, rappellent-ils par la voix de la KIC. Si l’on suit l’étonnant raisonnement de l’organisme, il n’y aurait donc pas de spectacle vivant… même quand il y a un spectacle vivant à l’issue de ces prestations ! La requalification non seulement est abusive, mais se heurte également au droit du travail. Ce dernier précise que toute période d’emploi d’un artiste, en vue de la production d’un spectacle, et encadré par un contrat de travail, doit être couverte par l’annexe 10 concernant les artistes du spectacle.
Mais au-delà de l’injustice dont ils s’estiment victimes, ils dénoncent la méthode honteuse utilisée pour leur reprendre ce qui leur a été versé. Ils reçoivent régulièrement des coups de téléphone et des courriers ; ces derniers manquent cruellement d’explications sur les méthodes de calcul des trop-perçus.
Pour faire entendre leur voix, ils se sont unis et rapprochés d’une association (KIC) pour les aider juridiquement. Ils ont également mené une action coup de poing en sortant sur le trottoir une partie du mobilier de l’agence régionale pour l’emploi de Caen (Calvados). Une pétition en ligne a été adressée à Fleur Pellerin, au ministre du Travail, ainsi qu’à celle de l’Éducation nationale. Elle a déjà été signée par plus de 5 500 personnes.
Pourquoi cette affaire doit nous faire réagir ?
Parce que ces situations risquent de se multiplier. Eh oui, Pôle emploi a lancé fin septembre son fameux “contrôle des chômeurs”. Objectif : lutter contre les fraudeurs qui ne s’impliqueraient pas assez dans leur recherche d’emploi… Certains en ont déjà fait l’expérience comme Stéphane, 43 ans, interrogé par La Dépêche du midi, et qui raconte le calvaire administratif qu’il a vécu lorsqu’on lui a demandé de justifier (sous dix jours !) l’ensemble de ses heures de travail… depuis deux ans !
Les intermittents sont depuis plusieurs années des cibles privilégiées, surtout lorsque l’on connaît les difficultés actuelles pour rassembler les 507 heures nécessaires au déblocage des allocations de retour à l’emploi. En Midi-Pyrénées, région qui a servi de test pour Pôle emploi, les intermittents dénoncent déjà un climat de suspicion généralisé et une politique de répression. Ils multiplient les actions pour essayer de négocier, comme lors de l’occupation des locaux de Pôle emploi à Toulouse.
Autant de bras de fer que Profession spectacle ne manquera pas de suivre : nous dénonçons fermement tous les abus de cette surpuissante administration.
Jacques GILLOUX
Première action : signer la pétition en ligne.