Musiques de films : la belle diversité créatrice d’une profession très appréciée et mal connue
Christophe Julien vient de recevoir le prix UCMF pour la musique d’Au Revoir là-haut, film réalisé par Albert Dupontel. Il succède ainsi à Philippe Rombi, qui l’avait emporté l’an dernier avec la bande originale de Frantz, de François Ozon. Howard Shore a quant à lui succédé à Ennio Morricone pour le « prix hommage » (retrouvez tous les lauréats à l’issue de cet entretien).
L’UCMF ? C’est l’Union des compositeurs de musique de films, une organisation professionnelle qui tente de faire connaître la spécificité d’un métier à la fois apprécié du grand public et victime de coupes budgétaires croissantes.
Entretien avec le secrétaire général de l’UCMF, Patrick Sigwalt.
Comment est née l’Union des compositeurs de musiques de films (UCMF) ?
L’UCMF est née de la volonté de quelques compositeurs de musique pour le cinéma et l’audiovisuel de se fédérer, voyant que la profession n’était absolument pas défendue. Il existait à l’époque assez peu d’organisations professionnelles capables de nous représenter. Il existait le Syndicat national des auteurs compositeurs (SNAC), qui reste très actif, ainsi que l’Union national des auteurs compositeurs (UNAC), mais il n’y avait aucune organisation spécifique sur la musique à l’image. C’est ainsi que l’idée nous est venue, pour pouvoir défendre spécifiquement nos métiers.
Quels sont les enjeux spécifiques auxquels vous êtes confrontés, qui nécessitent l’existence de l’UCMF ?
Nous assistons à quelque chose de particulier, presque d’antagoniste. D’un côté, nous avons un engouement toujours plus grand du public pour les bandes originales, pour les ciné-concerts, pour la musique de films en général. J’en veux pour preuve les concerts que nous organisons, ainsi que d’autres, autour de la musique à l’image, et qui font salle comble. La France est à l’origine de la musique de film au cinéma, puisque la première musique date de 1908, avec L’Assassinat du duc de Guise. Nous avons une lignée de grands compositeurs, qui ont jalonné l’histoire de la musique de films en France, avec beaucoup d’Oscar : Maurice Jarre, Francis Lai, Ludovic Bource pour The Artist, Alexandre Desplat dernièrement…
D’un autre côté, nous avons tout un pan du métier qui est une reconnaissance de moins en moins grande du métier de compositeur à l’image : des budgets qui s’amenuisent, des facilités d’enregistrement qui fondent comme peau de chagrin… Nous avons le sentiment, partagé par bien des compositeurs, de ne pas être considérés à la hauteur de notre métier. Je rappelle que, au titre du code de la propriété intellectuelle, nous sommes le troisième auteur du film après le scénariste et le réalisateur. Or le plus grand festival de cinéma, celui de Cannes, continue à récompenser les deux premiers, et pas le compositeur. C’est comme si nous ne faisions pas partie entièrement de la famille du cinéma ! C’est cet enjeu qu’il fallait porter haut et revendiquer.
Quelles sont les actions que vous menez à cet effet ?
Nos actions sont professionnelles, pédagogiques, institutionnelles… Nous avons organisé des concerts, comme le « BO concert » en 2014, où nous avons mis sur la scène du Grand Rex la fine fleur de la composition de musique de film française avec des jeunes talents, le tout accompagné d’un orchestre symphonique. Nous avons été à l’origine de la création d’une classe de compositeur de musique de film au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. C’est une classe que j’avais initiée du temps où j’étais professeur là-bas, et que l’UCMF a mise en route il y a quatre ans : Laurent Petitgirard l’a lancée, Bruno Coulais s’en occupe aujourd’hui. Nous avons également des actions professionnelles en direction des politiques ; je déjeunais encore récemment avec un député en charge des questions autour du Centre national de la musique, projet gouvernemental sur lequel nous sommes très actifs. Nous travaillons également avec le SNAC et l’UNAC sur les négociations du code de bonne conduite de l’édition musicale (CDUBP) pour lutter contre les éditions coercitives, c’est-à-dire contre les diffuseurs qui ne font pas un vrai travail d’éditeur et qui pourtant prennent une partie de nos droits : nous sommes en train de transposer ça dans la loi, avec le ministère de la culture. Nous avons par ailleurs créé un forum itinérant de la musique à l’image, qui se promène de festival en festival, pour donner la parole aux compositeurs, aux producteurs et aux éditeurs. Nous avons mis en route la première étude française sur la musique à l’image, qui verra le jour cet été, afin de faire un point sur notre écosystème français… Voilà autant d’actions concrètes qui font que nous sommes actifs sur tous les plans.
Pourquoi parlez-vous de « musique à l’image » plutôt que de « musique de films », comme l’exprime le nom de votre organisation ? Quelle nuance souhaitez-vous apporter avec une telle appellation ?
Ce n’est pas une nuance. Si vous regardez bien notre sigle, le mot « films » est au pluriel. Nous travaillons évidemment sur les films de cinéma, mais également sur ceux destinés à la télévision, sur les séries, le documentaire, la publicité, les nouveaux médias, la réalité virtuelle, le jeu vidéo… Le cinéma est évidemment la partie visible, mais c’est vraiment l’image qui est au centre de notre travail. Ce que rapporte par exemple le cinéma dans un organisme de gestion collective tel que la SACEM, c’est 7 % des droits. Ce n’est donc pas le plus important de la musique à l’image.
Êtes-vous intervenus, avec Julie Bertuccelli et son équipe, sur la réforme européenne du droit d’auteur ?
Oui, bien sûr. Nous sommes à l’origine d’ECSA, qui est l’ONG la plus importante en Europe dans notre domaine, regroupant près d’une cinquantaine d’organisations telles que la nôtre dans vingt-sept ou vingt-huit pays. ECSA fait un lobbying important à Bruxelles sur la directive du droit d’auteur et sur l’ensemble des questions liées à nos métiers d’auteur et de créateur. Nous travaillons en symbiose avec le GESAC, la SACEM et tous nos partenaires pour défendre nos droits, notamment face aux géants de l’internet qui aimeraient bien en découdre sur la question du droit d’auteur.
Hier a eu la troisième édition des prix UCMF. Ce qui frappe, c’est que la plupart des nominés sont inconnus du grand public (cf. palmarès complet ci-dessous). Comment l’expliquez-vous ? Pensez-vous qu’un tel événement est susceptible de remédier à cette méconnaissance ?
Si vous posez la question à des personnes dans la rue : « donnez-moi cinq auteurs ou compositeurs de Johnny Hallyday ? », elles vont être dans l’incapacité de les citer, alors même qu’ils sont les créateurs de ses plus grands tubes. Ce problème est donc faussé. Nous essayons de mettre en valeur de jeunes compositeurs, avec chacun des prix que l’on remet. Nous évitons donc de remettre un prix à Alexandre Desplat, même si nous apprécions beaucoup son travail ! Nous essayons de mettre en lumière des talents émergents ou en marge du système : ce sont des compositeurs qui ont un travail particulier avec un réalisateur, qui ont pris certains risques musicaux… Nous essayons d’avoir une approche originale afin de valoriser la diversité de la création. Car ce que nous proposent les géants d’internet pour demain, c’est une uniformité, avec des codes qui permettent de fabriquer des BO qui fonctionneront. Ce n’est évidemment pas ce qui nous intéresse ! Nous souhaitons rester des créateurs, des compositeurs capables d’aller là où on ne nous attend pas, des artistes qui prennent des risques sur des chemins qui ne sont pas tracés d’avance.
Le choix d’un jury exclusivement constitué de journalistes répond-il à un souhait d’ouverture en dehors de la seule communauté des compositeurs ?
Exactement. Nous ne voulons pas nous auto-récompenser et désirons que le jury soit des personnes en dehors de la profession. Mais ce sont tous de grands connaisseurs de la musique à l’image : Vincent Perrot de RTL, Thierry Jousse de France Inter, Alex Jaffray de France Télévisions, Olivier Desbrosses d’Underscore… Ils font la sélection et se réunissent ensuite pour choisir le lauréat. Nous les laissons complètement libres ! Même moi qui préside le conseil d’administration, je n’ai pas de voix à donner. Le seul compositeur qui a une voix, c’est le président de l’UCMF, c’est-à-dire Éric Demarsan cette année et Vladimir Cosma l’année prochaine.
Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER
Palmarès des prix UCMF 2018
Catégorie Cinéma
Cyril Aufort, pour Knock de Lorraine Lévy
Grégoire Hetzel, pour Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin
Lauréat : Christophe Julien, pour Au Revoir là-haut d’Albert Dupontel
Guillaume Roussel, pour HHhH de Cédric Jimenez
Catégorie Audiovisuel
Alexandre Lessertisseur, pour Glacé de Laurent Herbier et Jean-Xavier de Lestrade
Stéphane Moucha, pour Les Petits Meurtres d’Agatha Christie de Nicolas Picard-Dreyfuss
David Reyes, pour America’s Great War de Stéphane Bergoin et Thomas Marlier
Lauréat : Rob, pour Un Ciel radieux de Nicolas Boukhrief
Catégorie Jeune Espoir
Gaspar Claus, pour Makala d’Emmanuel Gras
Lauréat : Olivier Cussac, pour Les As de la Jungle de David Alaux
Alexandre Lessertisseur, pour Manon 20 ans de Jean-Xavier de Lestrade
Myd, pour Petit Paysan d’Hubert Charuel
Catégorie Court-Métrage
(en partenariat avec la Maison du Film Court)
Lauréat : Mathieu Alvado, pour A song for the whales de Lorenzo Fresta
Nathan Blais, pour Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh
Pierre Caillet, pour L’Ogre de Laurène Braibant
Stéphane Clor et Marie-Anne Bacquet, pour Mon Homme poulpe de Stéphanie Cadoret
Catégorie Nouveaux Media
Mathieu Alvado, pour Retour dans la lune (doodle réalité virtuelle)
Stéphane Damiano, pour Atmosphère (webdoc interactif)
Olivier Derivière, pour Get Even (jeu vidéo)
Lauréate : Selma Mutal, pour Block’Hood (jeu vidéo)
Prix Hommage
Howard Shore (Canada)
Prix Tandem : Compositeur/réalisateur
Philippe Rombi (compositeur) / François Ozon (réalisateur).
Photographie de Une – Patrick Sigwalt
(crédits photographiques : François Vila)
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