Pourquoi priver, éloigner les auteurs et les autrices des plateaux de théâtre ?

Pourquoi priver, éloigner les auteurs et les autrices des plateaux de théâtre ?
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Le 11 janvier dernier, Libération publiait un court dossier intitulé, non sans provocation, « A-t-on encore besoin des auteurs ? » Augustin Guillot, en charge de l’article introducteur, écrivait ces lignes en guise de préambule : « Entre engouement pour la performance, contexte économique et renouvellement esthétique, l’écriture dramatique traditionnelle semble avoir disparu du paysage. Laissant place, dans le théâtre public, aux reprises de classiques ou aux adaptations… »

Les voix convoquées dans ce dossier appartenaient à la scène, pas à la littérature dramatique. Il était dès lors évident que l’approche ne pouvait être que partielle. C’est la raison pour laquelle Philippe Touzet, président des Écrivains Associés du Théâtre a envoyé une réponse au journal, dès le 15 janvier. Face au silence de la rédaction de Libération, il a décidé de rendre publique sa tribune, à laquelle Profession Spectacle s’associe, dans un souci commun de débat.



Écrire du théâtre, aujourd’hui

Le théâtre est un espace de liberté. Depuis deux mille ans, il se nourrit de la multiplicité des écrits, des voix, des énergies que lui fournissent, générations après générations, les hommes et les femmes de théâtre. Il se nourrit également de la curiosité insatiable du public. Des êtres vivants qui vont voir des êtres vivants qui racontent une histoire. Et qu’importe la forme.

L’auteur ou l’autrice de théâtre ne se sent pas menacé(e) par les nouvelles formes de représentations scéniques qui traversent notre paysage théâtral. Le théâtre est en perpétuel mouvement lié à l’humeur du moment où les ambitions artistiques côtoient, le plus souvent à leurs dépens, les nécessités économiques. Actuellement, des spectacles et des pièces basés sur des adaptations de roman, de scénario, des performances sont montés sur les scènes de théâtre dont la notoriété semble accorder une sorte légitimité culturelle, tout du moins un intérêt bienveillant. Ces spectacles sont mis à l’honneur dans les festivals et amplement relayés par les médias. Idem pour les collectifs de comédiens et l’écriture de plateau. L’artiste cherche et propose, la structure accueille, permettant ainsi la rencontre entre les créateurs, les créatrices et le public. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… Un auteur, une autrice de théâtre ne peut pas se sentir agressé(e) ou adopter une position négative vis-à-vis de ces nouvelles propositions. Car elles nous interpellent, elles posent questions et sollicitent toute notre attention. L’auteur et l’autrice de théâtre sont des personnes en état de recherche constant, l’écriture n’est pas qu’au fond de nous-mêmes, elle est partout. Nous ne pouvons donc pas nous mettre en opposition avec d’autres créateurs, créatrices qui cherchent en empruntant d’autres chemins.

Maintenant, là où le bât blesse, c’est quand j’entends dire que l’éclosion de ces nouvelles formes est liée au manque d’auteurs et d’autrices de théâtre en France. Qu’un ou une artiste cherche de nouvelles voies théâtrales, c’est tout à fait normal et je dirais même rassurant sur l’état de vitalité du théâtre dans notre pays, mais que la justification de ces adaptations ou l’émergence des collectifs de comédiens soient subordonnées à la pénurie d’écrivains de théâtre, cela relève de la malhonnêteté intellectuelle. Qu’un metteur en scène puisse dire, j’ai adapté ce roman, ce scénario parce que je n’ai pas trouvé de pièce de théâtre qui traite de ce sujet, franchement, c’est du foutage de gueule ! Dans le meilleur des cas, je l’espère, parce que sinon, c’est de l’incompétence, de l’ignorance comblée par une grande satisfaction de soi-même. Pourquoi ces personnes ne disent-elles pas, tout simplement, qu’elles ressentent, au plus profond d’elles-mêmes, le besoin d’avoir la main sur leur création de A jusqu’à Z. Et qu’elles ne souhaitent pas s’embarrasser d’un auteur vivant. Parce que justement le problème, c’est que l’auteur(e) vivant(e) est en vie. Il peut téléphoner, venir à une répétition, émettre un avis, ne pas être d’accord…

Au théâtre, la création naît de la confrontation artistique entre le metteur en scène et l’auteur ou l’autrice. Et je pourrais même ajouter les comédien(nes), la lumière, le ou la scénographe, le décorateur ou la décoratrice, les technicien(nes)s plateau ou régie… Le théâtre est un art collectif. Malheureusement, pour certain(e)s d’entre nous, le théâtre est toujours un art mais il est, de moins en moins, collectif.

Les collectifs de comédiens proposent une passionnante aventure théâtrale. Certes, le principe n’est pas nouveau mais les spectacles de ces collectifs ont rarement atteint un tel degré de qualité. Et il rencontre une large adhésion du public. C’est pourquoi mon incompréhension est grande quand je lis ou quand j’entends les déclarations de certains collectifs indiquant que s’ils ont créé ces groupes basés sur l’écriture de plateau c’est parce qu’ils ne trouvaient pas de textes de théâtre suffisamment ceci ou suffisamment cela pour avoir envie de les monter. Vous cherchez des pièces de théâtre ? Il suffit de pousser la porte d’une librairie théâtrale. Vous rencontrerez des libraires qui en connaissent un rayon sur la littérature dramatique et qui pourront vous guider dans vos choix et répondre à vos interrogations. Vous pouvez aussi contacter Les Écrivains Associés du Théâtre (E.A.T), association professionnelle composée de 350 adhérent(e)s et dont le dernier catalogue à destination des metteurs en scène, professeurs d’art dramatique, directeurs de théâtre, comprend plus de 500 pièces… Il existe aussi d’autres collectifs d’auteurs et d’autrices dont les projets sont particulièrement innovants. Vous pouvez également demander des renseignements aux maisons d’éditions théâtrales, d’Actes-Sud Papiers à Théâtrales, en passant par les éditions Espaces 34, l’Arche et tant d’autres… Sans oublier l’aide à la création d’Artcéna, les bourses Beaumarchais-SACD, la commission Théâtre du Centre National du Livre, les Grand Prix de littérature dramatique et littérature dramatique Jeunesse, les journées de Lyon des auteurs de Théâtre et puisque vous êtes à Lyon allez faire un tour au département écriture dramatique de L’ENSATT, et ainsi de suite… Il est certain que je n’omets pas, non plus, tous ces metteurs en scène, théâtres, festivals qui œuvrent, au quotidien, pour la promotion et la diffusion des textes dramatiques d’auteurs et d’autrices contemporain(e)s vivant(e)s.

Que ce soit dans le milieu théâtral ou dans les médias, ceux qui déclarent que les auteurs et les autrices de théâtre sont invisibles, et qui semblent convaincus par leurs propres paroles, sont les mêmes qui, depuis tant d’années, ne veulent pas nous voir, ne peuvent pas nous voir…

En lieu et place de cette prétendue invisibilité, j’évoquerais plutôt la fragilité économique des auteurs et des autrices de théâtre. Un grand nombre d’entre eux et d’entre elles vivent dans la précarité. Ils ne peuvent plus vivre, même pas survivre, de leur métier. À cela, il faut ajouter le fait que beaucoup d’auteurs et d’autrices sont aussi intermittent(e)s du spectacle. Quand vous additionnez de la précarité à de la précarité, cela vous mène tout droit vers la pauvreté. Et quand un auteur, une autrice cesse d’écrire par manque d’aide, de soutien, c’est un monde qui s’écroule, une voix qui disparaît… Et ce ne sont pas que des mots. C’est une vérité.

Nous faisons face à un manque de volonté politique en direction des auteurs et des autrices de théâtre. Pourquoi ne sommes-nous  pas présents, ou très peu présents, en qualité d’auteurs associés dans les Scènes Nationales et les Centres Dramatiques Nationaux ? Pourquoi priver, éloigner les auteurs et les autrices des plateaux de théâtre ? Est-ce qu’il nous viendrait à l’idée de demander à un boulanger de faire son pain sur le trottoir, en dehors de la boulangerie ? Alors, bien sûr, quand ce type de discussion s’engage, on nous ressort toujours les mêmes auteurs, autrices qui dirigent des lieux prestigieux, de grands festivals… Mais il faut quand même avouer, l’écrire noir sur blanc, que ces quelques arbres majestueux cachent une forêt de misère. Les budgets culture des Régions étant ce qu’ils sont, les commandes d’écriture diminuent comme peau de chagrin, les sommes proposées aux auteurs et autrices sont souvent dérisoires. Pour quelques résidences de belle facture, la plupart du temps, les auteurs et les autrices sont confronté(e)s à des résidences où on leur demande d’intervenir dans des hôpitaux, dans des cafés, au club du troisième âge… Bref, de faire le boulot d’un animateur socio-culturel, à moindre coût. Des résidences d’auteur durant lesquelles l’auteur ou l’autrice n’écrivent pas une seule ligne. En revanche, il est bon de signaler que les rencontres, résidences d’auteur en milieu scolaire se  déroulent dans des conditions très correctes car il existe une vraie attente et un réel engagement des enseignants, conscients de l’intérêt de la venue d’un auteur ou d’une autrice dans leurs classes. Il est même assez troublant pour un auteur, une autrice dramatique d’être mieux accueilli dans un établissement scolaire que dans un théâtre.

Enfin, à la lecture de certains papiers, à l’évocation de certains témoignages, au détour d’une interview, on pourrait croire que les auteurs et les autrices de théâtre n’écrivent que pour le théâtre public, le bien nommé « subventionné »… Non. Beaucoup d’auteurs et d’autrices écrivent, avec brio, pour le théâtre privé. Le théâtre privé est un vrai révélateur de talent. Les compagnies amateur sont aussi des formidables diffuseurs des œuvres dramatiques contemporaines à travers tout le territoire. Beaucoup d’auteurs et d’autrices ont été découvert(e)s ou redécouvert(e)s grâce au travail inlassable des réseaux amateurs.

Comme je l’écrivais en introduction, le théâtre est multiple, varié, fort de ses richesses et de ses contradictions, en éternel mouvement, questionnement, vouloir privilégier un seul positionnement, une direction unique, nier des évidences, être tenté par une uniformisation de l’écriture dans le seul but de plaire aux décideurs et à une partie du public, c’est oublier l’universalité de notre art, l’aspect populaire du théâtre. L’auteur vient du peuple et écrit pour le peuple sinon pour qui écrirait-il ? Pour un microcosme désabusé et revenu de tout qui souhaite sa disparition. Pourquoi ? Pour avoir quelque chose à dire… Ou alors, pour les enfants cabossés des cités, pour les petits, les sans-grades, pour ceux qui ne vont jamais au théâtre parce que tu comprends le théâtre, c’est pas pour moi… C’est fait par des gens intelligents pour des gens intelligents… A quoi, je réponds, tu sais, je suis fils, petit-fils et arrière-petit-fils d’ouvrier, à dix-huit ans, je travaillais à l’usine en 3X8… Les hommes et les femmes qui écrivent du théâtre viennent de tous les horizons et ils s’adressent au genre humain, qu’importe si nous laissons une trace pour la postérité, ce qui compte c’est l’instant présent, écrire aujourd’hui pour les spectateurs et les spectatrices d’aujourd’hui. Parce que nous sommes vivants. Debout.

Philippe TOUZET

Président des Écrivains Associés du Théâtre (E.A.T)
Membre de la commission Théâtre du Centre National du Livre
Membre du jury des Grand Prix de littérature dramatique et littérature dramatique Jeunesse (Artcéna) 2016 – 2017.


Photographie de Une – Le théâtre Grand Splendid, vieux théâtre argentin, est devenue une librairie en 2000.



 

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1 commentaire

  1. Très bon texte. Explicite. Du point de vu des auteurs dramatiques je comprends très bien ce qui est écrit.
    Comme metteur en scène mon impression est qu’il y a au contraire de ce que dit l’article de LIBÉ beaucoup d’auteurs. Depuis une quarantaine d’années que je mets en scène, je suis même surpris par la permanence du nombre de manuscrits qui arrivent aux différentes instances régulatrices.
    Lors d’un débat à Théâtre ouvert il y a une trentaine d’années, l’orateur indiquait qu’il recevait jusqu’à 3000 propositions chaque année.
    De nombreux textes inédits de théâtre sont montés chaque année en France. Commandes, accompagnement suite à concours, auteur(e)/metteur(e) en scène, il serait intéressant d’en faire le recensement.
    Pour moi, la question de fond est: pourquoi écrire du théâtre aujourd’hui? Et pour qui? Ça m’est une énigme je dois dire. Et l’article comme la lettre réponse ne répondent pas à cette nécessité. Voilà. Je reste donc avec LA question. Peut être trouverai je des réponses ici.
    PS
    Pour être clair, Beckett écrivait pour le théâtre aussi. C’est à dire qu’il y avait des textes qui ne pouvaient être proposés QUE pour le théâtre. Je comprends sa démarche. Comme celle de Duras aussi. Je comprends Pommerat qui noue plateau, lumière, jeu et texte. Je ne comprends pas qu’on m’envoie un texte en espérant que je le mette en scène.

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