Potence pour l’ennemi public : l’huile de palme !

Potence pour l’ennemi public : l’huile de palme !
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Le palmier est un arbre aux mille ressources. Alors pourquoi s’en prendre à son huile, plutôt qu’à la cupidité de l’homme, ainsi qu’à la perversité des mécanismes financiers et des procédés chimiques qui président à l’agriculture intensive industrielle. N’est-ce pas ajouter de la bêtise à la bêtise ?

Tribune libre et hebdomadaire de Philippe Kaminski

Nos sociétés maternantes et inclusives savent aussi se montrer cruelles et sans pitié. Lorsqu’elles se sont désigné un ennemi public, tout sera bon pour l’abattre. Aucun moyen ne sera interdit par aucune convention de Genève, de La Haye ou d’autre ville de paix. La haine s’inventera autant de justifications que nécessaire. Nul scrupule, nulle retenue ne viendront entraver son déferlement.

L’huile de palme figure en bonne place dans la liste des produits qu’il est bien vu de vilipender. Elle n’aurait que des défauts, tous rédhibitoires. Elle contient du carbone, qui fait grossir, et de l’hydrogène, qui fait chuter les cheveux. Elle provoque cancers, hémorragies et ballonnements. Les études les plus sérieuses la mettent en cause dans la propagation de la gale et de l’illettrisme.

Calme, calme, reste calme,
Connais le poids d’une palme
Portant sa profusion…

Je ne connais ni la Malaisie, ni l’île de Sumatra. On m’assure que là-bas, la forêt est anéantie pour faire sans cesse place à de nouvelles plantations de palmiers à huile, et que cela détruit l’habitat naturel de nos amis les orangs-outangs. Tout cela est sans doute vrai, et réellement fâcheux. Mais que l’homme soit cupide, que les mécanismes financiers et les procédés chimiques qui président à l’agriculture intensive industrielle soient profondément pervers, il n’est nul besoin d’aller jusqu’aux antipodes pour s’en apercevoir. Ici comme partout ailleurs, les abus de ce système désordonné sont visibles de tous, et les dégâts qu’il occasionne sont perceptibles par tous. Mais de là à s’en prendre à l’arbre, et à l’huile qu’on en tire, c’est ajouter de la bêtise humaine à la bêtise humaine, et de la méchanceté gratuite à la méchanceté gratuite !

Je ne connais ni Bornéo, ni la Nouvelle Guinée. Mais j’ai vu des centaines, des milliers, peut-être davantage, de palmiers à huile en Afrique. L’huile que l’on y produit n’est pas exportée, elle sert à la consommation locale. Sérieusement, voudrait-on priver les Africains de leurs vivriers, et les forcer à importer de l’huile de colza d’Europe ? Bonjour le bilan carbone ! Quant aux forêts, hélas, elles ont disparu depuis déjà longtemps, et l’on commence à faire des efforts notables de reboisement. Le palmier à huile ne mord donc pas sur une forêt primaire qui n’existe plus. D’ailleurs, cette forêt primaire tant évoquée était neutre en CO2 ; elle n’est plus qu’un fantasme, analogue au bon sauvage de Rousseau. En revanche il suffit de voir pousser puis fructifier un palmier à huile pour comprendre qu’il absorbe et fixe des quantités considérables de CO2. Pour ce valeureux travail d’éponge à carbone, il devrait être remercié et vénéré comme un Dieu !

Il est vrai que son rendement exceptionnel a un revers, qui est l’épuisement rapide des sols. Et que le déversement d’engrais chimiques n’est pas la solution. Mais là aussi, on travaille, on progresse. Les plantations en alternance, notamment avec du bananier, ont donné de bons résultats. Il faut trouver les complémentarités, en termes de couvert végétal, mais aussi de calendrier de récolte, afin d’optimiser l’emploi de la main d’œuvre. Il n’y a aucune raison d’être pessimiste. Le palmier est un arbre aux mille ressources et son mariage avec d’autres essences ouvre la voie à la création de biotopes diversifiés et prometteurs. Je ne sais si l’orang-outang pourra y trouver un habitat à son goût. Il faudra essayer ! En tous cas, le palmier à huile n’est pas désagréable à regarder. Il a même inspiré quelques jolis vers, qui valent bien ceux que le colza ou le tournesol de nos campagnes pourraient nous valoir, si d’aventure nous cherchions à jouer au sous-préfet aux champs :

Patience, patience,
Patience dans l’azur !
Chaque atome de silence
Est la chance d’un fruit mûr !
Viendra l’heureuse surprise,
Une colombe, la brise,
L’ébranlement le plus doux,
Une femme qui s’appuie,
Feront tomber cette pluie
Où l’on se jette à genoux…

Philippe KAMINSKI

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, notamment en lien avec l’ESS.



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