Podcast killed the Radio Star ?
Le podcast formidable révélateur de nouveaux talents… ou redoutable prédateur des droits des artistes, à commencer par le droit des auteurs ?
J’ai eu la chance, au début des années 1980, de participer à la folle aventure des radios libres. Et libres, nous l’étions vraiment. Avec le studio dans le salon et la régie dans la salle de bains. Et des taux d’audience à faire pâlir d’envie les stations actuelles. Participer activement à la libération de la parole peut marquer, à jamais, une existence. Surtout quand on n’a même pas vingt ans… Voir des gens, de toutes conditions, s’emparer de ce média pour pouvoir enfin s’exprimer confirme le fait que la radio a été conçue pour le plus grand nombre et surtout qu’elle appartient à tout le monde. Face à la tentation de la parole confisquée, face à la complaisance des propos formatés, la radio peut être un formidable rempart contre la pensée unique qui justifie trop souvent des mesures iniques. Si la radio oublie le son pour privilégier les sous, elle perdra de vue sa mission essentielle qui est d’aller vers les autres, d’ouvrir les portes et de fracasser les idées reçues.
Brimer la radio, c’est la brider. Brider la radio, c’est la briser.
L’éclosion des radios libres me fait penser à l’essor actuel des podcasts/fictions. Dynamisme, créativité. L’impression de découvrir des nouveaux espaces d’expression et de création. Une nouvelle frontière s’offre à nous… Avec tout ce qui va avec. En ce qui concerne les droits d’auteur nous sommes plus proches de l’ambiance saloon que des salons feutrés de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD). Il est plus que souhaitable que le ministère de la Culture, en lien avec les organismes de gestion collective, régule ce secteur. Législation, régulation ne sont pas des gros mots et, en aucun cas, des ennemis de la création. Bien au contraire, ce sont des alliés qui permettent une juste rémunération des scénaristes et qui assurent ainsi une relative, quoique précieuse, pérennité/sérénité dans le travail de création. J’ai vécu la dégringolade des radios libres achetées, les unes après les autres, et remplacées par des radios commerciales qui étouffèrent, vite fait bien fait, les voix des citoyens et des citoyennes pour mettre à la place de la musique en boîte et de la pub au kilomètre…
C’est pourquoi j’espère qu’il n’en sera pas de même pour les podcasts, même si nous sommes en droit d’être raisonnablement pessimistes. La mariée est trop belle. Certains groupes commencent à montrer le bout du museau. Il se pourrait que nous ayons droit au même scénario… À l’origine, des créateurs et des créatrices qui cherchent, bidouillent, inventent, se cassent les dents, recommencent, innovent… La plupart du temps, sans moyen et sans argent. Et puis, à force de persévérance, le modèle prend forme, devient visible, audible, remporte un succès croissant, c’est le moment pour le Capital d’apparaître afin de rafler la mise. Ce qui serait infiniment regrettable car nous assistons, actuellement, à une telle effervescence dans l’univers du podcast/fiction, à une telle explosion de talents… Tiens, une idée me traverse la tête. Et si la radio publique, au lieu de lorgner sur les podcasts pour des raisons purement économiques, permettait à ces jeunes talents très prometteurs de créer, de tracer une nouvelle voie sur les ondes de Radio France… De tendre la main vers la nouvelle génération qui vient. Ça fait du bien, parfois, de se laisser guider uniquement par des raisons purement artistiques.
La qualité scénaristique ainsi que les dialogues ne sont pas toujours au rendez-vous de certaines fictions sonores. La richesse d’un univers sonore doit trouver un point d’équilibre avec la qualité d’écriture. Ces deux points essentiels ne se contredisent pas, ne sont pas en concurrence, ils doivent se révéler complémentaires. Au service de la fiction. Le dialogue crée une passerelle entre les auditeurs, auditrices et l’histoire en train de se dérouler. Le scénario et l’univers sonore ne sont pas des adversaires, loin de là, mais des partenaires. Qui font équipe. Qui ne se conçoivent pas l’un sans l’autre. Un tandem indissociable, sans cesse à la recherche de l’alchimie parfaite qui permet de transformer un univers littéraire et sonore en tableau visuel.
Le cadre précis dans lequel évolue le scénariste est également lié aux contraintes techniques. Car la fiction radio est un art collectif. L’auteur n’est pas seul sur sa planète, il doit inscrire l’exercice de sa création au sein d’une communauté de talents. Quand vous savez que pour une fiction de vingt-sept minutes, vous ne disposerez que de quatre heures d’enregistrement, cela influe forcément sur votre écriture, sur la conduite de votre histoire. Pour ma part, je conçois l’écriture d’une fiction radio comme une commande d’écriture. Avec parfois des contraintes qui sont des vrais casse-têtes mais, au final, on apprend à les contourner, à les maîtriser pour obtenir le meilleur de son travail d’auteur.
Assister à un enregistrement de fictions radio, c’est assister à un ballet sonore. Tout le monde danse, même dans le silence. Un pas de deux avec le son. Les voix s’entremêlent, les termes techniques s’enchaînent, les pages tournent, les mots s’envolent… L’enregistrement d’une fiction, c’est une invitation au voyage à la vitesse du son. Un très agréable retour vers l’enfance. Avec ce caddie plein d’objets hétéroclites, ces chaises bancales, cette contrebasse, ce vieux piano, ces valises qui ont trop voyagé, on se croirait revenu dans le grenier des grands-parents… Et puis, cette portion de pavés, de terre battue, ces fausses fenêtres avec vue sur la passion, ces fausses portes qui donnent accès à l’univers du son. C’est magique et technique. En un seul mot, magnifique.
La fiction radio ne doit pas quitter la Maison Ronde. Elle ne doit pas disparaître des ondes de la radio publique. Ce serait une erreur artistique et historique. Quand la radio a été inventée, dans l’instant la création s’est penchée au-dessus de son berceau…
Le podcast n’est pas le petit frère de la radio. Le considérer ainsi est une erreur artistique et économique. Penser qu’on va pouvoir faire des économies grâce au podcast, cela équivaut à nourrir, à outrance, une entité inconnue qui, au final, va nous dévorer tout cru.
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Auteur de théâtre, scénariste de fictions radio, président des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) de 2014 à 2019, Philippe Touzet tient une chronique bimensuelle dans Profession Spectacle depuis janvier 2021, intitulée : « Arrêt Buffet ».
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