“Pavillon noir” : présent augmenté, texte mitigé
Pavillon noir, c’est un spectacle né de la rencontre entre deux collectifs, d’auteurs et d’acteurs : le Collectif Traverse et le Collectif OS’O. Résultat ? Une pièce sur la piraterie des temps modernes : celle de l’activisme militant qui vient questionner la démocratie à l’ère numérique et sécuritaire. Carton plein sur l’inventivité scénique. Bémol sur un texte qui manque de profondeur. À voir en ce moment au 104 à Paris puis en tournée.
Est-ce qu’un algorithme peut être bon acteur ? Peut-on mettre en scène le monde virtuel ? Comment jouer un code informatique ? Steven Spielberg, lui, répond d’un revers de main à ces questions, ou plutôt d’un revers de réalité virtuelle… Il n’est qu’à voir son dernier film, Ready Player One. Mais au théâtre, Monsieur Spielberg, vous feriez moins votre malin… Surtout si on vous demandait de n’utiliser aucune technologie. Les fondamentaux, Monsieur Spielberg, les fondamentaux ! C’est ce pari simple et basique qu’a fait le Collectif OS’O et le Collectif Traverse dans leur création Pavillon noir.
Proscrire la vidéo et autres artifices technologiques pour mieux démontrer qu’un plateau réel peut représenter le monde virtuel. Simple. Surjouer la tyrannie du “tout sympa” des réseaux sociaux par le mime d’emoji régressifs et cruels. Basique. Utiliser une scénographie sobre avec des néons pétulants qui nous projettent dans un univers 7.0. Simple. Dessiner des personnages ultramodernes à partir de grandes figures dissidentes modernes comme Edward Snowden. Basique. Faire réfléchir à ce qu’est la démocratie confrontée à l’état d’urgence et aux occupations zadistes. Simple. Faire œuvre de pédagogie pour ne pas larguer ceux qui n’ont jamais entendu parler de bitcoin ou de deep web. Basique.
« Langage internet scénique »
Derrière cette basique simplicité, seize artistes ont coopéré via des duos auteurs-acteurs afin d’enrichir l’écriture par le travail d’interprétation. Le résultat ? La fine combinaison de la réalité virtuelle du net avec le présent augmenté que permet le théâtre. Les fameux tutos YouTube sont ainsi mis en scène, en chair et en os. Des métadonnées sont jouées par des acteurs aux mimiques sournoises et avides, reflet des microbes numériques qui tracent nos faits et gestes pour nous emprisonner à ciel ouvert.
Mais la réussite de cette écriture scénique, follement inventive et drôle, ne trouve pas son pendant dans le texte. C’est LE bémol du spectacle. Les codes de l’univers numériques sont habilement repris mais la profondeur du verbe n’est pas au rendez-vous. La piraterie ne supporte pas les chefs ; ou temporairement ; et on se demande si le procédé participatif de la création n’a pas été un obstacle pour lever l’encre. Alors que les plumes réunies comptent parmi les sabres les mieux aiguisés de l’écriture contemporaine, il manque des dialogues qui crépitent et des monologues qui fendent l’air. Des réussites sont à relever, comme la mise en scène de tchats entre hackers militants dont la langue, fonctionnel et sans relief, donne à voir un lien social diminué par le pulsionnel.
Arborescence de pensées
On reconnaît l’humour du collectif OS’O, toujours en embuscade, véritable invite à philosopher, l’air de rien. Une de leur précédente création, Timon/Titus, signait ce style au point de leur permettre en 2015 de faire l’abordage d’un navire très convoité dans le théâtre contemporain : le festival Impatience.
Les corsaires sur le plateau naviguent entre des rôles très différents qui dessinent une cartographie des dissidences d’aujourd’hui. Du zadiste au militant du web indépendant en passant par le virus informatique bienveillant, la galerie de portraits proposée est de plain-pied dans notre époque qui cherche de nouvelles figures de résistance. L’agilité énergique de ce collectif est à tempérer : comme la plupart des collectifs actuels, la diversité d’âge n’est pas présente. Il n’est pas question d’en faire un reproche mais cela interroge plus largement sur la capacité des nouvelles tendances d’organisation théâtrale à représenter la diversité.
Les nombreux codes du jeune théâtre contemporain – néon, beat électro, micro – auraient pu être des épines moins désirables. Il n’en est rien. Probablement parce que nous restons libres de penser, malgré quelques tableaux dessinés à gros traits comme une scène de procès caricaturale. À chacun de choisir si la rébellion (numérique) est souhaitable et jusqu’où. Lorsqu’une pièce se rejoue après coup en nous ouvrant une arborescence de pensées, il faut saluer le pari sur l’intelligence du public. On pense alors aux mots de ce grand homme de théâtre, Laurent Terzieff, dans son ouvrage Seul avec tous paru en 2010 : « Il y a la pièce que le public voit jouer sur scène et une autre qui commence après la représentation. »
Spectacle : Pavillon noir
- Création : 2018
- Durée : 2h15
- Langue : française
- Public : à partir de douze ans
- Texte : Adrien Cornaggia, Riad Gahmi, Kevin Keiss, Julie Ménard, Pauline Peyrade, Pauline Ribat, Yann Verburgh.
- Mise en scène : Collectif OS’O
- Avec Jérémy Barbier d’Hiver et Logan De Carvalho (en alternance), Moustafa Benaïbout, Roxane Brumachon, Bess Davies, Mathieu Ehrhard, Marion Lambert, Tom Linton.
- Scénographie : Ingrid Pettigrew
- Vigie/ coordination artistique : Cyrielle Bloy et Baptiste Girard
- Lumières : Jérémie Papin
- Musique : Martin Hennart
- Régie générale : Emmanuel Bassibé
- Costumes : Aude Désigaux
- Maquillage : Carole Anquetil
- Construction : Jean-Luc Petit
- Production : Fabienne Signat
- Diffusion : Emmanuelle Paoletti
Crédits photographiques : Frédéric Desmesure
En téléchargement
OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
Spectacle vu le 9 janvier 2019 au CENTQUATRE (Paris)
- 9-19 janvier 2019 : 104 à Paris
- 25 janvier : théâtre Roger Barat à Herblay (95)
- 8 février : théâtre de Châtillon (92)
- 14 février : théâtre du Cloître à Bellac (87)
.
Découvrir toutes nos critiques de spectacles