Patricia Hostein, éditrice intégrale
Les éditions Dacres viennent de lancer une double collection consacrée au théâtre. Le maître d’œuvre est une femme : Patricia Hostein. L’initiative est audacieuse, en ces temps difficiles pour le livre – a fortiori pour l’édition théâtrale. Rendez-vous est pris sous le timide soleil printanier d’une terrasse parisienne. Nul besoin de la presser de questions : Patricia Hostein se montre généreuse et passionnée, à l’image de son engagement en faveur des artistes, et plus particulièrement des dramaturges. Rencontre.
Qui aurait pu penser que la native de Talence, formée aux langues et à la diplomatie, mènerait une telle carrière théâtrale ? Fille et petite-fille de résistants, dont le grand-père fut remercié personnellement par Eisenhower pour son action pendant la guerre, Patricia l’admet : « Avec de tels ancêtres, pas d’autre solution que de résister ! »
Des Affaires étrangères au faire théâtral
Après avoir passé le concours des Affaires étrangères et travaillé à l’ambassade de Chypre, la jeune diplomate décide de tout arrêter au début des années 80. Elle rencontre alors Jean-Claude Houdinière, qui l’engage à l’Atelier Théâtre Actuel. « Passionnée de jazz, je pensais initialement travailler pour la variété. » Faute de trouver les leviers, elle se tourne vers le théâtre.
Ce n’est pourtant pas son premier contact avec le spectacle vivant. En 1972, alors qu’elle passe une année comme étudiante à El Paso, au Texas, elle assiste à la première version théâtrale de Vol au-dessus d’un nid de coucou. « Personne ne savait ce qu’était cette pièce ; nous étions vingt-cinq dans la salle… ce fut formidable ! » Elle écrit même une pièce en espagnol dans le cadre de ses études, intitulée Vamos a ver – titre prémonitoire, lorsque nous découvrons sa carrière.
Chargée de diffusion, elle administre des tournées et entre en 1987 au théâtre des Mathurins, comme administratrice. « C’est là où la véritable aventure théâtrale a commencé pour moi, que j’ai commencé à bouffer des planches !, se souvient-elle avec un grand sourire. J’ai eu la chance d’être à la création des Palmes de M. Schultz. »
Administratrice experte et passionnée
Au rachat des Mathurins, elle est contactée par Jean-Pierre Fougea et les éditions Dixit pour écrire le making-off sur le théâtre privé et le théâtre public : Le guide du théâtre (1999). L’ouvrage est, aujourd’hui encore, une référence pour qui souhaite monter et produire une pièce. Cinq ans plus tard, elle récidive avec un guide sur les contrats.
Lors de la sortie du premier guide, elle travaille comme administratrice générale pour le théâtre de Poche, où elle reste pendant dix-huit ans, avant de rejoindre le théâtre Michel, dirigé par Jean-Christophe Camoletti. « Ce qui a été formidable pour moi, c’est qu’on m’a toujours impliquée dans les choix artistiques, en plus du travail administratif. » Son expertise et l’énergie débordante qu’elle met dans chacun des projets poussent le théâtre La Bruyère à faire appel à ses services, puis le théâtre Rive Gauche, lors de sa reprise par Éric-Emmanuel Schmitt.
Cette carrière d’administratrice générale de théâtre, loin de lui suffire, accentue sa soif de projets. Elle monte par exemple Refuge pour temps d’orage de Patrick de Carolis, dans ce qui s’appelait encore à l’époque le Petit-Hébertot, ou encore Opening Night à la Porte-Saint-Martin, avec Marie-Christine Barrault. « Plus qu’une production de projet, ce fut un accompagnement intégral ! Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir une connaissance de tous les ingrédients, afin de tester des associations qui, a priori, ne sont pas d’emblée évidentes. »
Mettre les dramaturges au centre
Lorsque Stéphane Deplus l’approche pour ouvrir une collection théâtrale au sein des éditions Dacres, non seulement Patricia Hostein n’hésite pas une seconde, mais elle décide d’en créer deux : Les Quinquets – qui réunit des pièces jouées – et L’Envers du décor, qui collige des pièces qui ne demandent qu’à être jouées. « Leur existence papier manifeste qu’elles sont importantes pour aujourd’hui, qu’elles ont une valeur littéraire. »
Avant son arrivée, Dacres n’avait publié qu’une seule pièce : La femme silencieuse, d’Esther Rotenberg. Dorénavant, Patricia Hostein envisage d’en éditer plus d’une dizaine par an : Le Meilleur Professeur de Daniel Besse, auteur qu’elle rencontra dans sa jeunesse, au lycée de Libourne, Un jeu de sept familles d’Isabelle Kauffmann, pompierS de Jean-Benoît Patricot…
Lorsque nous lui demandons pourquoi elle est passée de l’administration et de la production à l’édition, la voilà qui relève la tête, le verbe haut : « J’ai toujours défendu les auteurs, ayant eu la chance de travailler avec des directeurs de théâtre qui, comme Gérard Caillaud, mettaient au centre les dramaturges. »
Une vivante acharnée
Patricia Hostein l’affirme, « la générosité passe avant même le talent », car c’est ainsi que des projets ambitieux voient le jour. Il y a une adéquation intime entre son caractère et sa manière d’exercer son nouveau travail : les rares moments de temps libre sont dédiés à la convivialité, à brasser les personnalités, à susciter les rencontres… « J’aime être entourée, depuis toujours… Je suis pour l’éternité sur terre ! », explique-t-elle en riant. La mort lui faisant peur, elle en devient une vivante acharnée.
« Ce qui m’intéresse, c’est le côté vivant du danger, du surpassement. Rien n’est jamais acquis. » Son goût pour la prise de risque, pour les choix artistiques audacieux, pour les rencontres improbables, la conduit naturellement vers de nouveaux défis. « Ce que j’aime, c’est défendre, et en l’occurrence défendre les auteurs. »
Humanité intégrale
Inutile de chercher une ligne éditoriale objective : Patricia Hostein a librement décidé de publier la liste de ses envies. La rencontre humaine préside ses choix. « Je choisis des textes à déguster : je ne prédis pas que tous auront du succès, mais certifie que tous sont intéressants, intelligents. C’est pourquoi les auteurs que j’édite sont si différents les uns des autres. » Elle n’a qu’une exigence, que les auteurs soient des écrivains au travail, qui développent leur patte propre, sans prendre l’acte d’écrire pour un exutoire.
« Ce qui me plaît dans l’édition, c’est la communion entre l’auteur et ce qu’il écrit. » Cette recherche d’adéquation est quête d’authenticité. Patricia Hostein souhaite que l’écrivain mette le poids de son existence dans la parole qu’il prononce, qu’il scelle sur le papier.
Lorsque nous évoquons le côté intégral de son approche, un large sourire affleure aussitôt : « Intégralité est un mot que j’aime. Au fur et à mesure que nous grandissons, l’enjeu est d’entrer dans une intégralité de comportement. » Il y a quelque chose de spirituel dans cette quête d’unité intérieure qui habite sa manière d’être et habille son langage. « Ne jamais se perdre de vue », martèle-t-elle. Au-delà de la personnalité, il y a encore la fidélité entretenue.
Pierre GELIN-MONASTIER
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