Panser le droit d’auteur
À l’occasion du lancement de Panser le droit d’auteur, Philippe Touzet a rencontré Denis Goulette qui est un des principaux initiateurs de ce site participatif.
Titulaire d’un master II en propriété intellectuelle, Denis Goulette a travaillé pendant près de 15 ans pour deux grands groupes audiovisuels, puis dirigé pendant 4 ans le syndicat La Guilde française des scénaristes. Il s’investit aujourd’hui auprès de diverses organisations professionnelles d’auteurs dont il partage les convictions.
Entretien.
Philippe Touzet – Bonjour Denis, vous avez annoncé la naissance d’un nouveau site participatif intitulé Panser le droit d’auteur. Panser avec un « a ». Cela veut-il dire que le droit d’auteur en France est malade ?
Denis Goulette – Tout à fait. Et on a besoin de le faire savoir aux docteurs en droit ! De nombreux rapports et expertises en font le constat. Dans tous les domaines de la création, les revenus des auteurs se sont effondrés entre 2001 et 2017, alors que les perceptions de droits par les organismes de gestion collective augmentaient. Malgré un droit considéré mondialement comme le plus protecteur des auteurs, une autrice ou un auteur qui refuserait aujourd’hui de céder ses droits à un exploitant pour le monde entier, la durée de protection légale des droits d’auteur (c’est-à-dire pour toute sa vie, plus 70 ans à compter de la mort du dernier des co-auteurs de son œuvre), et tout mode d’exploitation connu ou inconnu à ce jour, s’exposerait à devoir renoncer à son métier. Le rapport Racine parle ainsi de contrats d’adhésion. Avec le développement des plates-formes d’abonnement (audiovisuel, livre, musique), nous constatons l’apparition de clauses de “buyout”. C’est-à-dire des clauses de cession éternelle et interplanétaire, sans aucune rémunération proportionnelle au succès. Dans tous les domaines de la création, il y a donc un décalage incroyable entre le mythe du droit d’auteur à la française et son vécu par les principaux concernés.
P. T. – En quoi le site Panser le droit d’auteur est-il différent des autres sites proposés par les organisations professionnelles des artistes-auteurs ?
D. G. – Panser le droit d’auteur n’est pas une organisation professionnelle. C’est une initiative commune d’autrices, d’auteurs et de juristes qui font le constat que les débats qui animent les organisations professionnelles sont peu connus des avocats et autres praticiens du droit, et passent complètement sous les radars des universitaires. Ces derniers continuent de véhiculer une vision des intérêts des auteurs héritée du XIXe siècle, éloignée du quotidien de leurs préoccupations actuelles. Ils se focalisent uniquement sur l’intérêt de l’œuvre, en postulant qu’il assure à lui seul celui de son autrice ou auteur. Souvent les bénévoles des organisations existantes ne disposent pas du bagage juridique leur permettant de rendre leurs revendications en phase avec les éléments de langage attendus par les pouvoirs publics. L’idée de ce site est de créer un espace de dialogue privilégié entre des autrices ou auteurs et des professionnels du droit, qui ont une volonté de privilégier l’intérêt collectif, le temps de réflexions empiriques. Nous exigeons juste que les contributeurs à ce site partagent un certain nombre de convictions fondamentales, qui nous permettent de nous assurer de leur véritable motivation.
P. T. – Et quelles sont ces convictions fondamentales ?
D. G. – Elles sont au nombre de trois. Nous pensons en premier lieu que l’acte de création est un acte de sociabilisation. Les artistes-autrices et les artistes-auteurs contribuent à créer du lien et une unité sociale via leur création, garante d’une représentation de toutes les individualités qui la composent. De cette vocation commune résulte notre deuxième conviction. Toute artiste-autrice ou artiste-auteur va être traversé d’une « tension créatrice » tout au long de sa carrière. Concilier la radicalité de sa vision originale avec les contraintes des diffuseurs lui permettant de rencontrer un public, et son besoin de vivre de sa création. Cette conviction commande selon nous la solidarité qui doit exister entre tous les artistes-auteurs, indépendamment des branches professionnelles dans lesquelles est exercé leur art. Il est fréquent de rencontrer des artistes-autrices ou artistes-auteurs qui s’expriment à travers différents arts pour concilier cette tension (un scénariste audiovisuel qui écrit des romans par exemple, un plasticien qui fait de la réalisation vidéo, etc.). Enfin notre troisième conviction est que les artistes-autrices et les artistes-auteurs doivent être payés deux fois dès lors qu’il leur est demandé de réaliser une œuvre : une juste rémunération au titre de leur travail de création, et une rémunération proportionnelle au succès de leur œuvre.
P. T. – Quel peut être le contenu de ces contributions ? Des témoignages, des analyses, des coups de gueule ?
D. G. – Le site est prévu pour accueillir quatre types de contributions : des réactions à l’actualité, des témoignages, des éclairages et des ressources utiles pour les autrices, auteurs (simulateurs de calcul d’indemnités, etc.). Nous avons été sidérés par l’absence de débat entre auteurs à l’occasion de la négociation de la directive sur le droit d’auteur qui vient d’être transposée en France. La traduction française de la directive et certains choix du gouvernement ont trahi l’intention initiale du législateur européen dans une indifférence totale des organisations professionnelles et des organismes de gestion collective : les premières, parce qu’elles ne sont pas assez outillées pour comprendre les enjeux ; les secondes, par pur intérêt personnel. Nous constatons également des points de droit mal compris. Je ne compte plus les scénaristes persuadés d’avoir un droit moral sur ce qu’ils écrivent pendant leur écriture, alors que ce dernier est paralysé. Il est essentiel d’offrir, aux auteurs et aux autrices, un espace de compréhension clair des enjeux liés à leurs différents droits.
Propos recueillis par Philippe TOUZET
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En savoir plus : Panser le droit d’auteur
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Auteur de théâtre, scénariste de fictions radio, président des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) de 2014 à 2019, Philippe Touzet tient une chronique bimensuelle dans Profession Spectacle depuis janvier 2021, intitulée : « Arrêt Buffet ».