EXCLUSIF – De grands bouleversements à venir pour les métiers d’art et le design
EXCLUSIF – Lundi 25 novembre aura lieu la présentation d’une nouvelle convention collective à destination des créateurs et des entreprises de gestion d’œuvres d’art, de métiers d’art (dont la facture instrumentale) et de design. Cette convention est autant un bouleversement économique majeur pour les professionnels en même temps que la reconnaissance de métiers spécifiques.
Explications.
UNE CONVENTION, DEUX ACCORDS, TROIS FILIÈRES
Une nouvelle convention collective sera présentée lundi prochain, 25 novembre, et signée au cours des semaines qui suivront. Véritable bouleversement pour les professions qui sont concernées, elle couvre trois filières.
1) la filière de la gestion d’œuvres d’art, marchande et non marchande, qui comprend notamment les Fonds régionaux d’art contemporain, les centres d’art ou encore les galeries ;
2) la filière des métiers d’art – 281 métiers ont été recensés par la loi Création architecture patrimoine –, et plus spécifiquement les entreprises de métiers d’art, à savoir les TPE, et non pas les filières industrielles ;
3) la filière du design enfin. Ce rapprochement du design avec les métiers d’art a été fortement induit par Françoise Nyssen, alors ministre de la culture.
Au sein même de la convention collective ont été construits deux accords, à la fois autonomes et constitutifs de la convention collective : le premier pour les artistes-auteurs, le second pour les travailleurs indépendants.
UN EXEMPLE : LA FACTURE INSTRUMENTALE
C’est à la fin des années 1980 que la réflexion sur les métiers d’art a commencé, se souvient Nicolas-Guy Florenne, actuel secrétaire fédéral de la fédération CFDT ‘‘Communication conseil culture’’. « Il y a une vingtaine d’années maintenant, nous réfléchissions également à une couverture conventionnelle pour le quatuor, c’est-à-dire pour tous ces artisans qui fabriquent et restaurent des instruments à cordes. J’ai moi-même interviewé un nombre considérable de parties prenantes, tant lié à la facture instrumentale qu’à de très nombreux métiers d’art, de la serrurerie au travail du cuir. Ce qui m’a finalement le plus marqué, c’est la grande solitude de tous ces professionnels, dans leurs ateliers. »
Au début des années 2000, de plus en plus d’instruments arrivent en France, provenant de pays asiatiques et à des coûts très bas, fragilisant encore davantage la profession. Les luthiers n’ayant par exemple pas de branche professionnelle à cette époque, ils n’ont pas d’interlocuteurs pour évoquer leur savoir-faire, expliquer leur métier, faire comprendre leur réalité économique… La seule école professionnelle à l’époque était celle fondée par Étienne Vatelot à Mirecourt.
« Selon les familles d’instruments, nous avons des entreprises qui ont des tailles et des réalités très différentes », précise Coraline Baroux-Desvignes, déléguée générale à la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI) qui regroupe, depuis 1890, les sociétés et les artisans qui fabriquent, distribuent et exportent les instruments de musique, soit près de 2 000 artisans au total (sur les 3 000 à 3 500 que compterait environ la facture instrumentale).
Les instruments à vent, secteur avec de grosses entreprises telles que Buffet-Crampon ou Selmer, dépendent traditionnellement de la métallurgie, tandis que les orgues relèvent depuis quelques années de l’ameublement. Mais il n’existe aucune convention collective pour tous autres artisans fabriquant quatuor, guitare, piano ou encore des instruments traditionnels tels que la viole de gambe. Ces artisans appartiennent en grande majorité à des TPE, voire sont travailleurs indépendants.
« Le fait que nous ne soyons pas une branche professionnelle à part entière ne nous permettait pas de rassembler tout le monde, confirme Coraline Baroux-Desvignes. Nous allons ainsi commencer à rassembler, au sein d’une convention collective, les instruments à cordes. » En ligne de mire : un rassemblant plus large, pouvant regrouper également les orgues, les vents ou encore les percussions.
ÉTAPES DANS LA RÉDACTION D’UNE CONVENTION COLLECTIVE
« Il y a un double enjeu, poursuit Nicolas-Guy Florenne, à savoir créer une filière économique viable, qui respecte leur temps de production, et penser une transmission sereine. »
L’idée d’une convention collective commence alors à faire son chemin, d’autant que divers professionnels du monde de l’art souhaitent mieux encadrer la gestion des œuvres d’arts, en fixant notamment plus explicitement les relations entre employeurs et salariés.
L’enjeu de la réflexion devient alors l’agence de différentes logiques, distinctes et complémentaires : la consolidation économique de chaque filière, les relations employeurs-salariés et la transmission du savoir-faire. « Nous avons passé quinze ans à interviewer tous les acteurs possibles, explique le responsable de la CFDT. Ce fut un travail colossal ! »
En septembre 2018 a lieu une première étape d’écriture définissant le périmètre d’application de la convention collective, sur la base de la réponse apportée par Françoise Nyssen, alors ministre de la culture, à la question écrite que pose le député Sébastien Nadot le 13 février 2018 concernant le « regroupement au sein d’une convention collective spécifique aux métiers d’art ». La ministre répond alors qu’elle ne voit aucun inconvénient à ce regroupement, y ajoutant même la filière du design.
Par ailleurs, en janvier 2019, le député Philippe Huppé remet au Premier ministre un rapport intitulé France, métiers d’excellence (voir l’audition à la Commission des affaires économiques), dans lequel il insiste sur la formation et invite, selon ses propres mots à « confier la gestion de la formation des métiers d’art à un seul opérateur de compétences » (OPCO).
L’ENJEU DE LA FORMATION : POINT CENTRAL POUR LA FACTURE INSTRUMENTALE
L’opérateur de compétences désigné est l’AFDAS, dans le cadre de la restructuration des OPCO, au lendemain de la réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage au printemps dernier (l’AFDAS prend alors en charge les secteurs de la culture, des industries créatives, des médias, de la communication, des télécommunications, du sport, du tourisme, des loisirs et du divertissement).
« Mais qui dit OPCO, dit branche professionnelle, relève aussitôt Nicolas-Guy Florenne. Cela nous confortait donc pleinement dans notre travail. Nous avons pris acte de cette volonté du gouvernement de nous laisser construire concrètement une convention collective et avons poursuivi notre travail en ce sens. »
Les réformes pour la formation sont l’élément concret qui permet à la CFSI de passer du constat d’un manque au travail pour trouver une solution concrète. « Le fait que tout passera bientôt par des branches professionnelles pose inévitablement pour nous la question de l’avenir de l’ITEMM [Institut technologique européen des métiers de la musique au Mans, NDLR], seul lieu de formation en France pour la guitare, le piano, les instruments à vent et l’accordéon, explique Coraline Baroux-Desvignes. Pour envisager l’avenir d’une telle formation, nous devions devenir une branche professionnelle. La convention collective nous permettra de discuter plus sereinement avec les différents ministères, car la formation est notre point essentiel aujourd’hui. »
UNE CONVENTION COLLECTIVE CONTRE L’UBERISATION
Toutes les organisations syndicales ont été invitées aux discussions. À ce jour, selon Nicolas-Guy Florenne, la CFTC, FO et – évidemment – la CFDT ont pleinement participé à l’élaboration des clauses communes qui seront signées dans quelques semaines ; seules la CGT et la CGC, qui ont déjà assisté à l’une ou l’autre rencontre, manquent encore à l’appel. Du côté des organisations professionnelles, outre la CSFI déjà mentionnée, il faut citer la Chambre syndicale des métiers de la musique (CSMM), l’Union nationale de la facture instrumentale (UNFI), l’Association professionnelle des luthiers artisans en guitare et autres cordes pincées (APLG), EuroPiano ou encore le Conseil national des employeurs d’avenir (CNEA), qui a dans son champ les FRAC et dont fait partie le musée des Arts décoratifs.
Après quelque douze mois de réflexion commune, les clauses communes ont été définies et écrites. « Ces fondamentaux constituent notre socle vital, à partir duquel nous discuterons par la suite les accords autonomes relatifs aux artistes-auteurs et aux travailleurs indépendants », insiste le délégué de la CFDT. Ce sont ces clauses qui seront présentées officiellement, pour la première fois, le 25 novembre prochain au musée des Arts décoratifs, dans le cadre d’une présentation de l’apport d’une convention collective pour des professions qui relèvent du modèle « slow-made » (compréhension et respect de la nécessité d’un temps long pour la conception, l’innovation, la création, la fabrication et la transmission).
Trois temps découperont la présentation de la convention collective, le premier consacré à la formation professionnelle, le deuxième dédié aux actions menées par Audiens en faveur des travailleurs indépendants, le troisième sur les liens entre la nouvelle convention collective et diverses problématiques telles que les codes de la propriété ou les indépendants, sujet majeur pour la facture instrumentale. « Les travailleurs non-salariés constituent une grande partie des artisans concernés par la convention collective, appuie Coraline Baroux-Desvignes. L’accord autonome sera donc crucial pour nos professions. Ce sont les prochaines étapes de travail… »
« Nous terminerons précisément cette présentation avec l’évocation des travaux qui seront menés ces six prochains mois, confirme Nicolas-Guy Florenne. Car rien n’est fini ! » Et le délégué syndical de conclure « La convention collective vise notamment la mutualisation et la sécurisation, contre le danger très clairement identifié de l’uberisation de nos métiers. C’est notre combat à la CFDT. »
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