“Noir et humide” de Jon Fosse : un conte à dormir debout
Noir et humide, de l’écrivain norvégien Jon Fosse, raconte l’histoire d’une petite fille qui voudrait descendre à la cave car le lieu la fascine et l’attire. Mais en fait d’odyssée domestique, c’est un invraisemblable conte sans chair que livrent le récit et sa mise en scène.
Où t’a mis la lampe de poche ?
La petite Lene, nous dit Jon Fosse, désire depuis toujours descendre à la cave, là où il fait noir et humide, là où il y a « des choses noires et humides », où « il y a sûrement un animal noir avec de grosses moustaches ».
Franchement, même le spectateur le plus candide ne parvient pas à écarter les interprétations scabreuses qui peuvent être faites d’un tel récit : des psychanalystes ou des épigones de Serge Gainsbourg en feraient leurs délices. Jon Fosse voudrait nous faire croire que la cave, c’est au fond (bien sûr) ce dont parlent Baudelaire et Rimbaud, lorsqu’ils enjoignent au poète et à l’aventurier d’aller « Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau » et de se faire « voleur de feu ».
Mais à supposer même qu’on puisse le suivre jusque-là, son texte est bien trop faible pour donner corps à l’exploration qu’il suggère et, en fait d’une odyssée domestique qui aurait pu entraîner le lecteur et le spectateur dans un voyage qui leur auraient fait vraiment partager le désir et les peurs de Lene, l’on subit un texte pauvre et redondant qui, pendant vingt-cinq minutes, nous parle de la lampe de poche jaune de son petit frère.
Et là, la mise en scène a beau la projeter, cette lampe de poche, pâle et grise sur fond noir, comme en rêve, on peine à être fasciné et surtout on peine à accorder quelque crédit à un conte qui accumule les répétitions sans jamais créer un univers et donner quelque chair à cette petite fille. La lampe de poche, c’est celle de son petit frère qu’elle lui subtilise, on comprend qu’elle serait bien utile à sa sœur pour descendre à la cave. Et l’on finit par se dire que l’histoire qu’essaie de nous conter Jon Fosse n’est pas celle d’une cave érigée en citée interdite, celle du tabou que l’on brise, de l’exploration inouïe, mais celle moins ambitieuse d’une lampe de poche jaune que chérit l’enfant.
Ce n’est pas inintéressant après tout, mais cela cadre moins avec la mise en scène proposée par Frédéric Garbe.
Introuvable petite fille
Celui-ci a choisi un dispositif statique et sensoriel, archaïque : Camille Carraz, la récitante, qui tente de nous faire partager les craintes et fascinations de Lene partie vers la cave (mais arrêtée sur son chemin par la lampe de poche que nous avons dite), est entourée d’objets familiers (chaise, canapé, lampe de poche bien sûr, escalier, fenêtre, bottes…) qui s’éclairent tour à tour et qui, juchés sur de sombres promontoires, font comme de petites stèles. Cet éclairage est relayé par les animations en noir et blanc qui projettent au fond de la salle, derrière la comédienne, les images tremblantes de ces mêmes lieux et objets. Tout cela, que l’on doit à Pauline Léonet, est certes, esthétiquement, intéressant et plutôt réussi. Mais ne suffit pas à faire exister l’histoire.
Car sur scène et dans le récit, il fait noir comme dans un crâne et l’on ressent que l’artifice esthétique tente sans succès de reconstituer la vie : contribue largement à cela la diction douce mais professorale, démesurément articulée et détachée, de la comédienne qui, parlant de Lene à la troisième personne, ne parvient guère à la faire exister. Cette petite fille en effet, on la fait parler sans la faire exister, on évoque ses idées et ses désirs mais à aucun moment on ne la rend présente. Le spectateur ne la rencontre pas : elle reste, désincarnée, une idée dans la nuit.
Épiderme et profondeur
Contribue à cela aussi, finalement, le parti pris onirique et sensoriel de la mise en scène : les animations et projections, les apparitions puis disparitions d’objet, la musique analogique et répétitive faite de nappes de synthétiseurs et de rythmes électroniques, créent un univers épidermique de stimulations émotionnelles qui parfois envoûte mais souvent déçoit. Car en se cantonnant à l’épiderme, la mise en scène ne parvient pas à attirer le spectateur dans la profondeur des désirs et des peurs de Lene, nous voulons dire, dans leur profondeur anthropologique et universelle, saisissable par tous ceux qui n’ont pas oublié leur enfance.
Au fond, l’enfant qui sommeille dans le spectateur n’est pas assez convoqué par ce dispositif, peut-être parce que la petite fille qui pourrait l’attirer manque de chair et de subjectivité. Peut-être aussi parce qu’à force de dispositifs synthétiques ingénieux, l’on finit par rendre irréel et en tout cas invraisemblable quelque chose d’universel et de quotidien.
SPECTACLE : Noir et humide
Création : Nuit de la Lecture à Toulon, le 19 janvier 2019
Durée : 1h
Public : à partir de 9 ans
Texte : Jon Fosse, traduction Terje Sinding publié chez L’Arche éditeur
Mise en scène : Frédéric Garbe
Jeu : Camille Carraz
Univers sonore : Vincent Hours
Sculptures papier et création vidéo : Pauline Léonet
Proposition graphique : Julien Chiclet
Crédits photographiques : GF Lautrecie
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OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
Spectacle vu le 10 juillet 2019 au théâtre Transversal (Avignon Off).
Du 5 au 28 juillet à 10h50 : théâtre Transversal, Avignon Off (relâche les 9, 16 et 23).
Toutes les dates : tournée
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