Ne vous informez pas
Où notre chroniqueur prend le parti de rire des médias, lors même qu’ils passent leur temps, tout leur temps, à relater la guerre.
Si je dis que la guerre en Ukraine a succédé au COVID et à ses sympathiques privations de liberté, il est évident que je parle là uniquement de ce dont parlent les médias, qui, manifestement, ont trouvé que jouer sur la peur, avec un sujet unique, était une chose merveilleuse, féérique.
Notre époque est extraordinaire pour comprendre comment fonctionne la propagande. Les gens, d’ailleurs, un peu partout, ont immédiatement épousé ce nouveau sujet et ne parlent plus que de cela.
Un ami, que de très anciennes conversations sont venues soudain troubler, m’a d’ailleurs sommé, dans un message privé légèrement abrasif, de me positionner sur le sujet de cette guerre en Ukraine. Peut-être en allait-il de notre amitié, je ne sais. Je suppose qu’à cette heure, comme la plupart des artistes français courageux, il prépare son paquetage pour se rendre sur le théâtre des opérations et combattre l’hydre totalitaire.
Pour ma part, je me prépare à regarder une fois de plus le formidable Docteur Folamour de Stanley Kubrick, le seul film à ma connaissance dont on peut comprendre la fin comme représentant une destruction totale de la planète, laquelle destruction chaque fois me soulage de toute la bêtise humaine l’ayant rendue possible.
Depuis des années, je ne lis pas la presse, n’écoute pas la radio, ne regarde pas la télé, dès qu’il y est question de nous « informer » ; je laisse le brouhaha médiatique me parvenir par ce qu’en retiennent les gens, qui simplifient encore les messages. Je comprends aussitôt, sans qu’il soit besoin d’aucune explication, quels sont les propos à tenir et ceux à ne surtout pas tenir, si l’on veut se tenir dans la norme.
Avec la peur, qui vient non seulement de la manière de présenter des événements, mais aussi du fait de ne parler à longueur de temps que de ces événements, les gens sont relativement à cran : ils exigent quasiment que vous répétiez avec eux leur discours. On se tient chaud, on se serre les uns et les autres dans un discours affolant, certes, mais qu’il est rassurant de tenir en commun.
Avec la propagande de la peur, il faut absolument qu’il y ait les bons et les méchants et que les bons, ce soit nous ; la même logique, j’imagine, prévaut évidemment dans le camp adverse, mais avec cette différence manifeste que leurs médias sont menteurs et leurs populations, manipulées — ce qui ne saurait en rien être notre cas, bien sûr.
Tiens, voilà du commun. Les propos à tenir doivent impérativement être tenus ; les informations données par les médias ne doivent pas être mises en doute, diraient-elles aujourd’hui le contraire de ce qu’elles disaient hier. Au plus peut-on risquer de sourire en disant que notre opinion, de toute façon, n’importe en rien ; et que les belligérants, d’un simple point de vue décisionnel, n’en ont cure. Mais non, non, je ne comprends pas : ce qui nous menace (car il faut bien que nous soyons menacés, et pas seulement les Ukrainiens), c’est la troisième guerre mondiale, la fin du monde !
La fin du monde ! En voilà, du commun ! Tu m’étonnes… Tiens, voilà du commun… pourrait-on presque chanter. La fin du monde, pensez donc. C’est même, dans notre monde dépourvu de tout horizon de salut, le commun absolu. On pourrait presque le personnifier, le faire parler, comme Montherlant au début de sa pièce, fit parler La Guerre Civile elle-même — mais dans une langue un peu plus accessible aux débiles que nous formons à grands frais.
— Coucou, je suis la Fin du Monde, moi ça va bien et vous ?
Non, non, nous, ça ne va pas trop. Il y a la guerre en Ukraine, guerre bien plus scandaleuse que les autres en Afghanistan, en Irak, au Mali, qu’elle risque bien de nous concerner directement à un moment. Nous, ici. Oui. Houlala. Tiens, rien que le prix de l’essence. Du gaz. Sans compter les bombes atomiques, etc.
D’un point de vue dramatique, abandonnant à mes confrères, quand ils auront fini de pétitionner dans le vent, de traiter à chaud les sujets émotionnels rentables (en terme de reconnaissances pécuniaires et gloriolesques) des terribles exils et des innocents morts et des gens qui ont tout perdu, je m’amuserais volontiers à montrer des rédactions entières de journalistes privées d’informations sûres, sans personnels sur le terrain, qui rivalisent entre elles et s’entre-volent leurs analyses fondées sur une dépêche sibylline d’une officine forcément impartiale d’État, l’une ajoutant dix morts ici, l’autre sur une carte, là, un mouvement inquiétant des troupes ennemies, une troisième expectorant d’un coup un expert improvisé de la veille et chargé de répandre une peur plus grande encore (vite, la concurrence est rude, plus vite, plus vite), une autre encore utilisant des images d’une autre guerre mais dont les paysages « ressemblent » tout en tripatouillant tel ou tel gazouillis de chef d’État comme on lisait jadis dans les entrailles des pigeons. Etc.
Pour bien finir cette chronique, je tiens à dire que la guerre, c’est mal. Très. Je suis contre.
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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique, qu’il tient depuis janvier 2018. Un recueil choisi de ces chroniques paraîtra aux éditions Corlevour en 2022.