Nattes, taxes, taxis, accises… et gros flop
Le groupe Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE) a décidé de sortir sa filiale Natixis de la cote, provoquant la colère des petits actionnaires. Mais le principe même de la bourse était en tous points contraires à l’esprit coopératif de l’économie sociale. S’il y avait eu à l’époque des sociétaires responsables, jamais certaines dérives n’auraient été pensables.
Actualité de l’économie sociale
Une triste aventure se termine, celle du parcours boursier de Natixis. La BPCE a décidé d’y mettre un terme en rachetant les parts des actionnaires minoritaires, pour ensuite pouvoir retirer sa filiale de la cote. Et comme elle propose un prix de rachat égal à seulement 20 % du prix d’introduction en 2006, de bonnes âmes hurlent à la spoliation, et des robins retors se donnant des airs de justiciers se proposent de les défendre. Tout ceci est classique, déjà vu mille fois, médiocre, et lamentable.
Cette affaire est au confluent d’un grand nombre de thématiques : la Bourse et la cupidité, l’éthique, la volatilité des activités financières, les conflits d’intérêt, et bien sûr l’Économie Sociale.
À l’origine, les groupes des Banques Populaires avait sa banque d’affaires, Natexis. Et le groupe des Caisses d’Épargne avait la sienne, Ixis. Dans l’un et l’autre cas, des cabinets de naming, parasites sociaux s’il en est, ont palpé une belle quantité d’oseille (provenant du travail et de l’épargne des sociétaires) pour inventer ces noms en -hisse qui nous plaisent tant et qui nous font goulûment acheter n’importe quoi, du moins l’affirment-ils. Ce suffixe en –hisse semble très demandé, et ce n’est pas nouveau ; pensez à Aventis ou Novartis dans la chimie/pharmacie, Geodis dans les transports, et récemment Stellantis dans l’automobile. Avouez que s’offrir une Stellantis, c’est autrement plus chic qu’une Pijo.
Le boulot des namers est ardu. Il faut s’assurer que la combinaison de lettres qui sort de la loterie se prononce à peu près de la même façon en français et en globish, et surtout que le nouveau mot n’existe pas déjà avec un sens scatologique ou homophobe, dans une langue lointaine mais utilisée dans un pays où l’on veut vendre. Quand ces deux conditions sont remplies, on passe au concours de beauté. Tout cela a pu être évité lors de la fusion qui a donné naissance à la BPCE ; les banques d’affaires ont fusionné aussi, comme leurs noms, et Natixis est née.
Et comme il fallait (comme il semblait falloir) à la BPCE un « véhicule coté » sur le modèle du Crédit Agricole, c’est Natixis qui fut introduite en Bourse, au sommet des cours. Une aubaine ! Mais une aubaine pour l’émetteur, s’entend. Dans les deux réseaux bancaires, les conseillers redoublaient de zèle pour placer les nouveaux titres auprès de la clientèle.
– Vous en avez de la chance, vous allez devenir riches !
Ce n’est pas très finaud, ça vous a des allures de promesses du dragueur en sabots dans un bal de village, mais il y a des gens crédules auprès de qui ça marche. Je ne me suis jamais apitoyé sur le sort de ces microcupides à la naïveté primaire ; qu’ils perdent leurs petits sous en s’essayant à la spéculation boursière ou qu’ils le fassent dans les jeux de grattage, on aurait grand tort d’en tirer la moindre morale : it’s the economy, stupid !
De toute façon, l’idée même de filialiser ses activités d’affaires, de financement et de gestion de fortune est en soi, pour une banque coopérative, toxique. La banque, c’est un organisme complexe, où tout n’est pas beau, où tout ne peut pas être blanc-bleu tout le temps. Allez donc juste faire un tour sur le site de Natixis ; tout y dégueule de bons sentiments ! On sent bien qu’il y en a trop. Trop de déodorant, pour masquer les mauvaises odeurs ? C’est comme une station d’épuration : quand vous passez devant, vous ne voyez qu’une haie de thuyas bien taillés au cordeau qui vous cache le reste, et si en plus le vent souffle dans la bonne direction, rien ne vous incommode.
Le traitement des déchets et déjections de toutes sortes n’a rien d’illégal, rien d’immoral. Il est même indispensable. Mais il est, disons, répugnant. Dans la banque, c’est exactement pareil. Pour que votre argent y soit bien entretenu, bien soigné, il faut y pourvoir à tout. Les clients n’ont pas accès aux arrière-cuisines, on ne leur montre que les résultats, et c’est bien ainsi. Les actionnaires sont dans la même situation. En revanche, les sociétaires, ou du moins certains d’entre eux, élus à cette fin, doivent pouvoir mettre leur nez partout. Et quand ce n’est pas le cas, et il en fut ainsi chez Natixis comme au Crédit Agricole, ce sont des poignées de milliards qui ont été dilapidés pendant l’intermède des subprimes, et perdus pour tout le monde.
Il n’est donc pas mauvais, bien au contraire, que la BPCE retire Natixis de la cote. Ce n’est pas cela qui permettra aux sociétaires d’en prendre véritablement le contrôle, mais c’est un préalable. Quant au prix de rachat, il dénote certes une décote majeure par rapport au prix d’émission, mais ce serait oublier qu’au lendemain des subprimes, l’action Natixis ne valait plus un kopeck. Les plaignants sont donc d’une totale mauvaise foi. Quant au personnel des deux banques qui ont quelque peu forcé la main de certains souscripteurs, qu’ils exhalent leur repentir à confesse s’ils sont pratiquants, et sinon que cela ne les empêche pas de dormir tranquilles. Tout ce que l’on peut dire c’est que ces malheureux comportements étaient en tous points contraires aux canons coopératifs. S’il y avait eu à l’époque des sociétaires responsables, jamais ces dérives n’auraient été seulement pensables.
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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.