Michel Bouvet, l’affichiste de théâtre connu à l’international
Ses affiches de théâtre ont voyagé dans le monde entier, pour des expositions ou des biennales. Comprises ainsi par tous, au-delà de la France, elles élèvent l’art de l’affiche au niveau universel. Michel Bouvet nous ouvre son atelier, entre secrets de fabrication et mystère d’une vocation.
Passionné par l’image et le sens des symboles, Michel Bouvet s’est formé aux Beaux-Arts de Paris, dont il est diplômé en 1978, pour apprendre à jouer de ces combinaisons innombrables grâce à la peinture, la photographie, le graphisme et la maîtrise de la typographie. Si l’on vous montre une des nombreuses affiches réalisées par ce graphiste, vous vous exclamerez sans doute : « Mais oui, je me souviens l’avoir vue ! » C’est l’une des caractéristiques de son art : non seulement on le reconnaît aussitôt, mais en plus il nous marque.
Secret de son utilisation singulière de la couleur, toujours très présente, et de l’énorme travail de synthèse d’une œuvre théâtrale que Michel Bouvet réalise en très peu de signes. Sa patte rappelle le style épuré et concentré des Asiatiques, vitaminé des Latinos, radical des Nordiques, fantaisiste des Italiens, mais toujours à sa manière, et pourrait aussi être celui d’un Henri de Toulouse-Lautrec des années 1970. Il est donc inclassable et international, à la manière dont sa vie s’est pétrie autour du monde et au contact d’arts multiples.
De l’auteur au metteur en scène, tout un programme
Lecteur avide et compulsif, Michel Bouvet a pu lier ses deux passions pour la littérature et le graphisme en devenant, très jeune, à vingt-cinq ans, affichiste pour la maison de la culture de Créteil. C’est un métier peu connu, dont les œuvres peuplent pourtant le quotidien au détour des rues ou sur les quais de métro. En un coup d’œil, on peut avoir envie d’aller voir une pièce ou de découvrir un auteur. C’est tout l’art de la synthèse que suppose le savoir-faire d’un affichiste.
« L’avantage était que je me sentais assez à l’aise dans ce paysage intellectuel et artistique pour pouvoir travailler avec les metteurs en scène. N’étant pas ignorant de leur monde, cela m’a permis de continuer de travailler avec eux. » L’aventure dure treize ans, avant de débuter d’autres collaborations de longue durée avec de grands théâtres comme le théâtre des Gémeaux (scène nationale de Sceaux), La Pépinière-Théâtre, le théâtre Mouffetard, mais aussi l’opéra de Massy et celui de Montevideo, en Uruguay. « Dans mon métier, il faut être extrêmement respectueux de l’auteur, de l’œuvre et de celui qui met en scène. Ensuite, rester très humble, on ne sait jamais si l’affiche va accrocher l’œil du spectateur, cela reste un mystère jusqu’au moment où l’affiche est rendue publique. »
Ce métier ne s’apprend pas dans les écoles. Comme l’aboutissement d’une affiche ne dépend pas seulement du créatif, ce sont les contraintes qui forgent l’affichiste. En effet, après s’être imprégné du texte de théâtre, l’avoir médité et compris dans toutes ses subtilités, place au double enjeu de correspondre, à la fois, à la vision du metteur en scène et à l’image que veut se donner le théâtre. « Avec le théâtre des Gémeaux, on s’est vite rendu compte que les metteurs en scène n’allaient pas toujours dans le sens de ce que voulait le théâtre. Comme la qualité de la campagne était pour une part déterminante dans leur venue dans le théâtre, heureux d’avoir une belle campagne dans Paris, ils ont d’autant plus facilement délégué le choix de l’affiche au théâtre. »
Au théâtre privé de la Pépinière, c’est différent. « Là, j’échange beaucoup avec les metteurs en scène, car ils ont une politique d’affiche singulière. » Mais avant d’arriver à accorder leurs violons, et leur permettre d’y arriver, la particularité de Michel Bouvet est de faire plusieurs propositions. « Au début, je faisais des affiches de manière assez spontanée, reconnaît-il. Mais je voulais aller plus loin et, au bout d’une dizaine d’années, j’ai mis en place une méthodologie de travail assez atypique : je note toutes mes idées sur une feuille, entre douze et vingt, à partir des symboles, archétypes et clichés, après avoir trouvé les points d’accroche sémantique, sémiologique et iconographique. Si j’ai besoin de beaucoup de mots pour exprimer cette idée, cela veut dire que l’image ne fonctionnera pas. Ensuite, je fais les esquisses au crayon, sur lesquelles je passe beaucoup de temps. C’est assez rare de proposer autant d’idées, mais je croyais en mon processus. »
Cela lui a garanti des collaborations de longue durée avec les théâtres, en plus des rencontres passionnantes avec les metteurs en scène. Il estime d’ailleurs que « c’est dans le long terme que l’affichiste trouve son univers visuel et établit une sorte de charte qui lui permet d’être facilement identifiable ».
« Une pièce de théâtre n’existe que quand paraît l’affiche«
Au théâtre de la Pépinière, on lui a dit tout de go : « Une pièce de théâtre n’existe que quand paraît l’affiche. » « Cela veut dire que cette chose très fugace et fugitive qu’est le théâtre a besoin d’une matérialisation par l’affiche qui comporte le lieu, les dates, la distribution ; et elle continue d’exister quand la pièce est finie. Au fond l’affiche a un rôle à jouer dans le dispositif théâtral. »
Son affiche pour King Kong Theory de Virginie Despentes est un exemple frappant. Ayant été l’une des affiches les plus vues, avec jusqu’à mille exemplaires dans Paris, elle a non seulement eu un impact sur le regard des gens mais aussi permis à la pièce d’exister pleinement avant sa représentation. Cela le renvoie à son aspiration fondamentale : « L’affiche est un outil démocratique, au service de la vulgarisation d’une œuvre ou d’un auteur pour le plus grand nombre. Si quelqu’un avec peu de connaissances s’arrête devant l’une de mes affiches, j’ai réussi quelque chose, c’est une véritablement récompense. Si quelqu’un ne s’intéresse pas au sujet, il peut être interpellé grâce à la symbolique universelle de mes affiches. Cela m’intéresse de faire réfléchir. Et quand l’affiche fonctionne cela procure le sentiment d’avoir partagé quelque chose avec le public, comme un musicien dans une salle. »
Tout le rôle de l’affiche se questionne là, à la jonction entre la pièce et le public. Ainsi est-elle à la fois l’expression personnelle d’un artiste et un outil de communication. « En ce sens, le graphiste n’est pas forcément affichiste », précise Michel Bouvet. Ses affiches sont souvent pour des metteurs en scène et auteurs de toute nationalité, un enjeu supplémentaire à relever. « J’aime donc les contextualiser, entre auteurs contemporains et classiques, ou auteurs de pays différents. Cela correspond à des symboles inscrits dans ces cultures ou époques, à des contextes culturels qui mêlent politique, religion, société, mœurs, histoire, etc. Ce n’est pas la même chose d’évoquer Strindberg, Calderon ou Brecht par exemple. Les mots d’un texte de théâtre donnent des images, fruits de l’imagination de chacun, c’est ce qui me passionne. J’invente des symboles qui me sont propres, jusqu’à ce que ce ressenti subjectif puisse devenir objectif et partagé par tous. Il y a une scénographie, presque une muséographie de l’affiche de théâtre, qui obéit à des règles qu’il faut sans cesse transgresser. De la contrainte et de la difficulté va naître la liberté. La partie la plus difficile est donc la définition du concept qui va donner lieu à l’affiche. »
Le bonheur suprême, pour Michel Bouvet, est de les voir dans le métro, la rue, d’autant que l’affichiste a l’habitude d’être invisible et anonyme quand ses images, elles, sont connues du grand public. Mais si les affiches s’inscrivent dans le quotidien des gens, elles ont une deuxième vie dans les expositions et les biennales d’affiches, où les gens peuvent mettre un nom sur une image de Michel Bouvet. Il les a parcourues dans le monde entier et a exposé dans une centaine d’entre elles pour se rendre compte que « les affiches si spécifiquement françaises sont comprises aux quatre coins du monde ». Même si certaines images sont plus universelles que d’autres. « Quand j’ai fait Macbeth de Shakespeare, avec un corbeau de mauvais augure, il se trouve qu’en Chine l’oiseau a la même signification. » C’est la raison pour laquelle Daniel Lefort posait justement cette question de l’universalité et de l’international dans son ouvrage consacré à son travail d’affichiste*.
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Daniel Lefort, Affichiste ! Les aventures de Michel Bouvet, Éd. Alternatives, 2019, 520 p.
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