Michel Berger, celui qui chante dans nos mémoires
Il y a 30 ans, le 2 août 1992, Michel Berger mourait d’une crise cardiaque, laissant une œuvre hors du commun, tant pour les autres que pour lui-même. Une biographie, signée Alain Wodrascka (Éd. de L’Archipel), lui rend hommage.
Abandonné par son père, le célèbre professeur et académicien Jean Hamburger, pionnier de la transplantation rénale, Michel Berger grandit dans l’intimité d’une famille atrophiée mais unie – sa mère, la concertiste Annette Haas, ainsi que son frère Bernard et sa sœur Françoise, dite Franka, que Alain Wodrascka eut l’occasion de rencontrer pour rédiger sa biographie.
L’héritage laissé par Michel Berger à la chanson française est d’une grande richesse. Véronique Sanson lui doit le lancement de sa carrière, tandis que Françoise Hardy (Message personnel), France Gall (La Déclaration d’amour) et, dans une moindre mesure, Johnny Hallyday (Rock ‘n’ Roll Attitude) ont trouvé dans ses compositions et ses textes un second souffle artistique, une nouvelle jeunesse médiatique.
La liste de ses tubes – quel vilain mot ! – est connue : « Seras-tu là ? » (1975), « Mon piano danse » (1976), « Mademoiselle Chang », « La Groupie du pianiste » et « Quelques mots d’amour » (1980), « Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux » (1985), « Le Paradis blanc » (1990), etc., sans oublier les compositions du célèbre opéra-rock Starmania, conçu avec Luc Plamondon.
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J’ai volontairement laissé de côté la chanson qui, de toute sa discographie, m’a le plus influencé : « Celui qui chante » (1980). Derrière ce verbe « chanter », j’y ai mis au fil du temps la somme de mes attentes, de mes besoins, de mes désirs : la littérature, l’art, la relation humaine, le militantisme politique, la prière…
Celui qui chante, lit, écrit, vit, agit ou prie, celui qui porte son histoire – et la nôtre – « au fond de lui », celui-là « rejoint le ciel et fait bouger l’ordre éternel » ; celui-là « se sent grandir et sent sa force au bout des doigts » ; celui-là « devient si fort que rien au monde ne peut l’atteindre » ; celui-là « a des regards de vrai bonheur au fond des yeux » ; celui-là, enfin, prendre au sérieux la quête de sens qui, merveilleuse et douloureuse, nous traverse…
Il y a bien quelques naïvetés dans ce texte, comme dans les autres, mais elles expriment la fragilité d’un être qui, faute de savoir communiquer correctement avec son entourage – sauf à son piano, au travail –, inscrit sa vulnérabilité dans les mots et les mélodies qu’il compose, jusque dans les interprétations d’une voix délicate, comme périssable.
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À l’occasion du 40e anniversaire de sa mort, Alain Wodrascka lui consacre une biographie de près de trois cents pages. L’homme est un habitué du genre, publiant des hommages à rythme quasi industriel, puisqu’il a déjà signé quelque vingt-cinq biographies d’artistes depuis 1997, consacrées notamment à Claude Nougaro, Francis Cabrel et Orelsan (ouvrage affublé de cet affreux titre : « le Rimbaud du rap »), ou encore – ce qui n’est pas sans lien avec notre sujet – à France Gall et Véronique Sanson. Il a d’ailleurs publié une première biographie de Michel Berger en 2012, aux éditions Hugo & Cie : Michel Berger, libre dans sa tête.
Deux lectures de biographies récentes, par des auteurs qui font profession de butiner sur les cadavres médiatiques, me faisaient craindre le pire. Allais-je assister, comme pour Romy Schneider et Gérard Depardieu (les deux victimes de mes lectures), à cette insupportable emphase sentimentaliste, à cette langue qui se vautre dans l’auge de révélations insipides et de jugements sans nuances, pratiquant l’hyperbole et les considérations prétendument métaphysiques pour cacher la vacuité d’un propos incapable d’intelligence sur les enjeux fondamentaux de la vie humaine ? Ou pour l’écrire plus sobrement : cette biographie allait-elle rejoindre la longue liste d’un journalisme jaune, au tragique larmoyant et à la prétention littéraire ?
Si Alain Wodrascka porte bien quelques petits jugements hâtifs et manque parfois de recul quant aux confidences qui lui sont faites, reconnaissons-lui d’emblée qu’il ne cède jamais à l’exploitation outrancière des souffrances et espoirs de son sujet. Au contraire, il garde une pudeur à exposer ainsi la vie de Michel Berger, sans rechercher un sensationnalisme abusif ni une objectivité faussement scientifique. Il ne se permet pas de rentrer outre mesure dans la tête de l’artiste – comme serait en droit de le faire un romancier, qui assumerait explicitement un acte littéraire –, à moins qu’il n’ait un indice qui le lui permette ; et encore le fait-il avec tact.
Cette biographie souffre selon moi d’une narration parfois trop syncopée, passant d’une époque à une autre, d’un fait à l’irruption d’un personnage, sans que nous sachions toujours ce qui est en jeu exactement. Pour le reste, il faut lui reconnaître une pleine honnêteté dans sa réalisation. C’est beaucoup, en notre époque frappée d’un obscène voyeurisme.
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Alain Wodrascka, Michel Berger, il manque quelqu’un près de moi, L’Archipel, 2022, 312 p., 21 p.
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