#MeToo – Les Red Hot Chili Peppers et Eminem en cause… bientôt David Bowie ?
Spotify vient tout juste de lancer sa nouvelle charte que le groupe féministe UltraViolet en profite déjà pour demander le retrait de plusieurs artistes, soupçonnés d’avoir eu des attitudes inadaptées envers les femmes. En ligne de mire : les Red Hot Chili Peppers, Nelly, Eminem, Don Henley, Steven Tyler, 6ix9ine, Chris Brown… bientôt David Bowie ? La décision du groupe suédois marque-t-il un pas vers la fin de la présomption d’innocence ?
Analyse.
Nouvelle politique éditoriale : deux artistes déjà retirés
Spotify vient d’annoncer qu’il s’engageait à retirer tout contenu qui « promeut, défend ou incite expressément et principalement à la haine et à la violence envers un groupe ou un individu, sur la base de caractéristiques telles que la race, la religion, le genre, l’identité, le sexe, l’ethnie, la nationalité, l’orientation sexuelle, le statut d’ancien combattant ou le handicap ».
Intitulée « Hate Content and Hateful Conduct », littéralement « contenu haineux et conduite pleine de haine », cette charte a déjà fait deux victimes : R. Kelly et XXXTentacion ont été retirés de toutes les listes officielles et des options recommandées.
« Nous ne censurons pas les contenus en raison du comportement d’un artiste ou d’un créateur, mais voulons que nos décisions éditoriales – ce que nous choisissons de programmer – reflètent nos valeurs. Quand un artiste ou un créateur fait quelque chose qui est spécifiquement nuisible ou haineux, cela peut affecter notre manière de travailler avec lui ou de soutenir son œuvre. »
Cette nouvelle politique éditoriale résonne comme un revirement complet, selon un article publié par Gerrick Kennedy dans le Los Angeles Times. En août dernier, Spotify avait en effet annoncé qu’il ne changerait aucun contenu en raison du comportement des personnes : « Nous espérons que les consommateurs de Spotify useront de leur propre discernement pour choisir quelle musique ils veulent écouter », avait alors déclaré un porte-parole du groupe suédois.
Retour au maccarthysme ?
La campagne contre R. Kelly, symbolisé par le mot-dièse #MuteRKelly (« Faites taire R. Kelly ») et dont Profession Spectacle s’est déjà fait l’écho, marque un tournant : le chanteur se voit désormais retiré de programmations et – selon Billboard – de certaines plateformes telles que Apple Music, sur la base de simples accusations. Il ne nous appartient pas de dire si ces accusations sont fondées ou non, si R. Kelly est coupable ou non ; remarquons simplement que la seule charge retenue contre lui a conduit à un acquittement en 2008 et qu’aucune condamnation juridique ne vient à ce jour justifier ces interdictions, au mépris de la liberté que symbolise la présomption d’innocence.
Il est juste de dénoncer des abus ; il l’est également d’attendre un jugement d’une instance neutre, qui a fait le travail d’investigation. Lorsque le groupe féministe UltraViolet, sous la plume de sa directrice exécutive, la militante Shaunna Thomas, demande le retrait des Red Hot Chili Peppers, Nelly, Eminem, Don Henley, Steven Tyler, 6ix9ine, Chris Brown, etc., du seul fait qu’ils ont été accusés d’avoir abusé ou harcelé des femmes, cela laisse songeur.
Le principe énoncé par Shaunna Thomas est simpliste :
« Ces deux hommes ne sont pas les seuls auteurs de sévices sexuels de votre plateforme. Nous vous supplions de jeter un regard plus attentif aux artistes que vous promouvez. […] Chaque fois qu’une personnalité connue continue d’être glorifiée en dépit d’allégations d’abus, nous perpétuons à tort le silence en montrant aux survivants des assauts sexuels et de la violence domestique qu’il n’y a aucune conséquence pour ces abus. […] Cette attitude a un effet culturel qui dépasse largement un seul artiste individuel. »
Le mouvement #MeToo, légitime dans son intuition, commence à prendre la forme du maccarthysme d’antan. La chasse aux sorcières n’est certes plus une « peur rouge », mais les méthodes de dénonciation se ressemblent beaucoup : le moindre tweet, la plus petite déviance est traquée, disséquée, condamnée… et parfois mise sur le même plan que de réelles agressions, bien plus graves. La mort médiatique et artistique a son caractère définitif : aucun retour n’est possible, ni même toléré.
Sans cadre juridique, des questionnements interminables
La mesure n’est plus de mise : tout accusé est présumé prédateur sexuel. Tous deviennent potentiellement censurables, y compris Rich the Kid, Famous Dex, YoungBoy Never Broke Again, Gene Simmons, Dr Dre, Chris Brown (reconnu coupable d’agression sur sa compagne de l’époque, Rihanna, en 2009) ou encore… David Bowie ! Ces artistes ont en effet en commun d’avoir été accusés d’avoir abusé des femmes.
Autre questionnement : faut-il condamner un groupe entier en raison du comportement déviant de l’un de ses membres ? Telle est la question posée avec le groupe de rock Brand New : l’un de ses membres principaux, Jesse Lacey, a reconnu une addiction sexuelle en novembre dernier, après avoir été accusé de mauvaise conduite sexuelle par deux femmes dans les années 2000, incluant la demande de photographies de nus à des fans mineurs. Que faire ? Censurer le groupe tout entier ou les seules chansons auxquelles le « coupable » a participé ?
Que faire quand l’accusation vise un producteur ? Le cas est posé avec Noel Fisher, plus connu sous son nom professionnel « Detail ». L’homme est aujourd’hui accusé d’avoir violé deux femmes et agressé sexuellement les chanteuses Bebe Rexha et Jessie Reyez. Or Detail est notamment le producteur de la célèbre chanson « Drunk in Love » de Beyoncé. Spotify doit-il retirer toutes les musiques sur lesquelles Detail a travaillé ?
La question pourrait être déclinée avec les labels : plusieurs d’entre eux ont déjà fait part de leurs craintes quant aux futures décisions de Spotify.
Quelle mesure ?
Spotify peut-il être le nouveau standard moral ? Le groupe a effectivement décidé d’avoir son tribunal (gentiment baptisé « comité interne »), dirigé par Jonathan Prince, vice-président en charge du contenu. Il a conclu des partenariats avec différents groupes tels que l’Anti-Defamation League, Color of Change, GLAAD, Muslim Advocates and the International Network Against Cyber Hate, le Southern Poverty Law Center, association américaine contre l’extrême droite et les associations prônant la haine aux États-Unis, etc.
Qu’une instance veille à limiter certains contenus haineux, au nom de principes éthiques, semble tout à fait légitime. Mais les risques ne sont pas minces, si l’on suit le principe énoncé par Spotify et rappelé en tête de cet article, qui concerne aussi bien la race et la religion que l’orientation sexuelle et le handicap. Faut-il dès lors interdire toutes les chansons de rap attaquant « expressément » les blancs ? Faut-il supprimer une partie des groupes de hard rock (et plus largement de punk, heavy metal, etc.) sous prétexte qu’ils insultent « principalement » les chrétiens ?
Dès lors qu’on commence à se poser en arbitre, chaque partie – quelles que soient sa tendance et ses convictions – peut apporter son lot de chansons et d’artistes à censurer. Des féministes telles que Shaunna Thomas et UltraViolet, par leur réponse idéologique, ouvrent une voie rudimentaire, schématique et dangereuse. Elle est néanmoins la conséquence de l’attitude et de la décision hâtive de Spotify, qui risque de provoquer de nouveaux remous, de nouvelles injustices, au détriment de la liberté et de la dignité des personnes humaines, artistes compris.
Où donc est la limite ? Autant de questions périlleuses qui n’ont pas encore trouvé leur juste réponse…
Brice WATTEZ
Correspondant Amérique du Nord