Mémoire et fatalité : Anne Théron s’empare de l’Iphigénie de Tiago Rodrigues
Festival d’Avignon – L’Iphigénie de Tiago Rodrigues est saisie avec force par la metteuse en scène Anne Théron : ce texte riche trouve ici une incarnation scénique forte et adaptée, grâce notamment à une distribution impressionnante. Probablement l’un des meilleurs spectacles d’Avignon cette année.
Nouveau directeur du festival d’Avignon, Tiago Rodrigues est désormais sous le feu des projecteurs. Chaque acte, chaque parole, la moindre de ses propositions artistiques va dorénavant être scrutée, analysée, jugée. Ainsi va le monde, qui se méfie toujours des puissants.
Révélé par le théâtre de la Bastille, le metteur en scène portugais a trouvé dans la Cité des papes un terrain de jeu à sa convenance… C’est la quatrième fois qu’il y est joué, mais il n’est pas ici aux manettes. Il laisse sa place à la metteuse en scène Anne Théron.
Avec Iphigénie, pour la première fois, j’ai été attentif à son écriture, sa vision du théâtre. Il s’agit d’une réécriture complète du mythe antique, encore que le terme de réécriture ne me semble pas juste. Le mythe est certes le point de départ, avec cette fatalité dont Tiago Rodrigues ne s’estime pas au-dessus, l’assumant pleinement ; mais il est également, ce mythe, analysé avec les questionnements de notre temps.
La première scène nous fait craindre un énième métadiscours sur le théâtre : ce théâtre qui passe son temps à se regarder lui-même, à s’analyser, à expliquer sa raison d’être, le pourquoi du pourquoi de son pourquoi du comment… Molière avait le goût de parler tabac ou mariage en introduisant ses pièces, c’est-à-dire de se déplacer et de nous déplacer. Nos contemporains nous imposent leur questionnement narcissique plein de formules verbeuses sur le sens du théâtre. Le rappeler aussi souvent, ce sens, est douteux.
La première courte scène d’Iphigénie nous semble s’inscrire dans cette perspective, mais elle est aussitôt déjouée par un texte que j’ai trouvé d’une puissance remarquable. Tiago Rodrigues est définitivement un écrivain de théâtre, un poète dramatique de la mémoire.
Certes, la compréhension des dieux qu’a l’artiste portugais me semble étriquée, comme si l’homme – au sens masculin du terme, car les femmes sont évidemment des féministes héroïques et résolues – était pure liberté face à des réalités concrètes telles que le pouvoir. Certes aussi, je ne comprends toujours pas, même après relecture, le monologue final d’Iphigénie, qui nous explique que son corps n’appartient qu’à elle et qu’il faut l’oublier ; j’ai lu l’interprétation qu’en donne Anne Théron, je ne suis pas convaincu ; j’y vois pour ma part – à tort ou à raison – une concession facile à l’idéologie de notre époque, sans lien véritable avec la tragédie qui se joue.
Mais ces lignes ne reflètent pas l’intelligence de l’approche ni la force de l’écriture de cette pièce qui forme la première partie d’une trilogie éditée aux Solitaires intempestifs. Suivent deux autres textes : Agamemnon et Électre.
La mise en scène qu’en propose Anne Théron, artiste associée au théâtre national de Strasbourg, comporte quelques scories… des broutilles. On s’interroge sur la pertinence des micros, surtout dans un théâtre à l’italienne qui favorise la tragédie à bout portant de la voix. On se demande ce que vient faire son hélicoptère : il balaye la scène d’une lumière de mirador, comme s’il s’agissait d’une prison. Soit. Cela signifie que les personnages sont prisonniers d’une tragédie qui, siècle après siècle, ne peut sortir de sa fatalité mythologique. Soit. Quoi qu’il arrive, par quelque bout qu’on prenne l’histoire, Iphigénie mourra. Soit.
Mais pour le reste, c’est tout de même très réussi, avec une sobre projection visuelle de la mer sur le mur du fond, comme un horizon virtuel, avec sa scénographie constituée d’un bloc au sol, qui se disloque pour former peu à peu un labyrinthe, avec son esthétique en noir et blanc, avec son ambiance sonore tenace qui soutient la tension du texte… Avec – surtout – une formidable distribution homogène, sans aucune fausse note, presque parfaite. Les citer est justice : Carolina Amaral, Fanny Avram, João Cravo Cardoso, Alex Descas, Vincent Dissez, Mireille Herbstmeyer, Julie Moreau, Philippe Morier-Genoud, Richard Sammut.
Alors résumons : j’ai été saisi presque de bout en bout par cette pièce.
Cette pièce sera visible tout au long de l’année à Strasbourg, Neuchâtel, Martigues, Nort, Bayonne, Brive, Lyon, Porto et La Roche-sur-Yon.
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Renseignements et tournée : Festival d’Avignon
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