Masbedo : « Nous aimons travailler en dehors de nos zones de confort »
Masbedo est un duo d’artistes dont la renommée est aujourd’hui internationale. Le nom vient d’une contraction des deux noms : Nicolò Massazza (1973) et Iacopo Bedogni (1970). Lorsqu’ils débutent, en 1999, ils présentent une exposition de photos. Depuis, ils touchent à tout : non seulement photo, mais aussi mixage, graphisme, vidéo, cinéma, mise en scène… Rencontre avec ce phénomène d’une créativité artistique hors-du-commun, à l’occasion de leur récente performance chez Jan Fabre.
Pouvez-vous retracer pour nous votre parcours ?
Iacopo Bedogni – À l’origine, notre première œuvre fut une exposition de photos. Mais dès la seconde exposition, nous avons présenté à ARCO, la foire d’art contemporain de Madrid, un travail d’art vidéo en collaboration étroite avec Michel Houellebecq. Nous avons alors exploré des mondes différents, repoussant sans cesse les frontières. Nous avons beau être de vieux artistes (rires), nous cherchons constamment de nouveaux moyens, ainsi que de nouvelles collaborations, avec des personnalités artistiques très différentes.
L’an passé par exemple, nous avons réalisé notre premier long-métrage, présenté à la Mostra de Venise 2014 : The Lack. Ce film raconte l’histoire de quatre filles qui vivent différemment la notion du manque. Cette thématique nous est chère : qu’est-ce que le manque ? Comment vivre le manque ? Autant de questions difficiles à aborder. Nous avons choisi d’esquisser cette réflexion autour des femmes… Il n’y a pas d’hommes dans le film. Au mois d’octobre dernier, nous avons également créé notre premier projet lyrique, autour de La flûte enchantée de Mozart, produit par la fondation Arena de Vérone. Et nous continuons évidemment nos performances, ce soir à Anvers chez Jan Fabre, la semaine prochaine à Belgrade…
Comment avez-vous rencontré Jan Fabre ?
Nous avons connu Jan Fabre lorsqu’il est venu en Italie, l’an dernier : il est passé dans notre studio et a regardé notre travail. Il a aussitôt désiré faire quelque chose avec nous et nous a invités à Anvers afin de bâtir un projet pour son espace. Nous lui avons alors proposé une performance qu’il a acceptée. De cette performance sera tirée un montage vidéo pour les visiteurs du Troubleyn Lab.
La performance de ce soir était centrée sur l’image d’un bateau abîmé et des chansons de John Lennon. Comment est-elle née ?
Nous réfléchissons souvent sur les utopies des derniers siècles et les messages qu’elles ont pu porter. Qu’en reste-t-il ? Nous avons ici tenté d’être en dialogue avec l’utopie musicale : « Imagine » est la chanson utopique la plus connue du monde. Aujourd’hui, cette utopie est morte : nous avons perdu l’idée d’un idéal politique et social au profit de la seule individualité. C’est ce que symbolise le bateau à la voile déchirée : il est la métaphore de notre société, qui n’a plus ni direction ni sens. Il représente visuellement la fin de l’utopie musicale de John Lennon.
Ce soir, vous étiez quatre sur scène : pourquoi avoir fait appel à des musiciens ?
Il est très important pour nous de travailler avec des musiciens dès lors que nous nous attaquons à l’utopie musicale. Plus généralement, nous nous entourons souvent de musiciens très différents, tantôt des interprètes classiques, tantôt des compositeurs contemporains. La musique se mêle très bien avec les images, l’histoire… Lorsque nous envisageons une performance, Nicolò et moi recherchons la narrativité de l’image, comme c’était le cas dans le cinéma muet : la narrativité de l’image était alors particulièrement forte.
Notre collaboration avec les musiciens est constante : lorsque nous habitions en Islande, entre 2008 et 2010, nous avons travaillé avec des groupes tels que Sigur Rós et Múm… Ce soir, les deux jeunes musiciens, Gup Alcaro et Davide Tomat, viennent de Turin : ils appartiennent au collectif Superbudda.
Pourquoi ce goût si prononcé pour les performances ?
Quand nous travaillons l’art vidéo, tout est sous contrôle. Pour nous, la performance opère un glissement du seul art vidéo vers quelque chose de non maîtrisé. C’est pourquoi nos performances sont toujours uniques. Nous aimons beaucoup l’idée que la performance ouvre une fenêtre à l’erreur. Tu peux te rater ! Cette seule réalité nous plaît. Notre travail se situe toujours entre le contrôle et l’erreur.
Nous aimons travailler en dehors de nos zones de confort que sont l’art contemporain et tout ce qui se passe dans les galeries, dans les musées, c’est-à-dire de ce qui nous a fait connaître au niveau international.
Vous avez mentionné l’écrivain français Michel Houellebecq : quelle relation avez-vous avec la France ?
Nous entretenons des liens étroits avec la France. Nous avons par exemple collaboré à trois reprises avec Michel Houellebecq. L’actrice Juliette Binoche a d’ailleurs travaillé avec nous dans le dernier projet autour de Michel Houellebecq : The world Is Not A Panorama. Nous avons aussi une relation d’amitié professionnelle avec Fanny Ardant. Nous l’avons rencontrée au Brésil, lors d’un projet collectif de metteurs en scène ; ensemble, nous avons fait une performance : « Le remède de fortune ».
Quels sont les projets pour l’année 2016 ?
Il y en a beaucoup ! Mais les deux plus importants sont l’écriture de notre second long-métrage et la préparation d’une vaste exposition pour la 57e Biennale de Venise, en 2017 : à chaque Biennale, le musée de Venise organise une importante exposition consacrée à un artiste : nous avons l’honneur d’être choisis pour 2017. À cette occasion, nous ne proposerons évidemment que des créations nouvelles… Une année entière ne sera pas de trop pour cela !
Un mot sur votre prochain film ?
Il s’inspire d’une pièce de théâtre pour marionnettes, Intérieur, écrite par l’écrivain belge Maurice Maeterlinck, prix Nobel de littérature en 1911. Nous avons la ligne directrice ; reste à écrire le scénario. Ce qui est certain, c’est que ce sera une adaptation libre de ce texte théâtral, si symbolique, sur la mort.
Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER
Photographies : Rachel Verza.
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