Marcin Koszalka : « Je ne cache pas que l’énigme du mal m’attire. »
Marcin Koszalka est né en 1970 à Cracovie. Chef-opérateur, scénariste et documentariste polonais reconnu, il a reçu à deux reprises le prix de la Meilleure photographie au Festival du film polonais de Gdyniad, en 2004 pour Pręgi et en 2009 pour Rewers (Tribulations d’une amoureuse sous Staline en français !). Il nous parle de The Red Spider, son premier long de fiction en tant que réalisateur.
Vous êtes surtout connu comme réalisateur de documentaires et chef-opérateur. The Red Spider est votre premier long de fiction, mais la fiction était déjà présente dans vos documentaires avec des scènes totalement inventées.
Marcin Koszalka : Je ne crois pas au type de documentaire qui enregistrerait simplement la réalité. On m’a toujours dit, dès mes études, que le documentaire objectif n’existe pas, qu’un univers est toujours transformé et interprété par le réalisateur. On peut évidemment faire un reportage télévisé où l’on essaie de présenter les avis des uns et des autres, les « pour » et les « contre », pour tenter d’arriver à une conclusion objective. Mais dans le cas des documentaires d’auteur pour lesquels je milite, il y a toujours la vision d’un auteur, une transformation de la réalité, à condition bien sûr de travailler sur cette réalité et sur les personnages. Je n’ai pas le droit de changer leur vie, mais je peux essayer de les modeler un peu à ma façon. Parce que si je fais les films, je les fais un peu sur moi-même, je choisis les personnages selon ma propre clé. Pour moi, c’est un peu comme une thérapie.
Le sujet principal de The Red Spider, celui d’un tueur en série, est un classique qui aurait pu virer naturellement au film de genre, ce qui n’est pas le cas de votre film.
Le prix que m’ont attribué les critiques au festival d’Arras m’a conforté dans mon choix d’être allé à contre-courant, d’avoir pris des risques avec ce film. Au lieu de me prouver à moi-même et de prouver au public mes compétences en réalisant un film de genre, je préfère prendre le chemin de l’expérimentation. D’un côté, c’est un risque, mais sous un autre angle, c’est un parti pris : je peux me confronter à ce qui a déjà été maintes fois « joué » par les autres. C’était une nécessité de travailler ce sujet à ma propre manière, une véritable tentation. Ce n’est pas le sujet de ma vie, mais j’avoue que j’y trouve la trace d’une fascination un peu perverse pour les grandes profondeurs. J’y découvre mon côté sombre et je ne cache pas que l’énigme du mal m’attire.
Le fond de l’histoire est flou, ambigu. Le public ne trouve pas de réponses à ses questions sur les motivations des personnages.
C’était pour moi la seule option possible. Tenter de donner une définition du mal et des explications aurait été une solution banale et kitsch. Je n’évite pas totalement de donner de réponses, mais je lance des bribes sur les motivations des personnages principaux, en pointant les contextes, la vie, la ville, les proches, les conditions externes. Si j’avais essayé de fournir au spectateur une explication directe du mal, ce film n’aurait pas de sens.
On retrouve dans The Red Spider des références à vos films précédents, notamment Killing out of Lust et Declaration of Immortality. On peut finalement avoir l’impression que vous racontez une histoire unique à travers tous vos films.
Absolument, c’est toujours une suite : une histoire entre dans l’autre, elles se croisent, se complètent, se suivent. C’est mon voyage.
À quel point le contexte historique de The Red Spider, les années 60 en Pologne, en plein communisme était-il important pour vous ?
Cette époque m’a offert un très bon espace pour cette histoire. Si je l’avais située dans le temps contemporain, elle aurait perdu énormément. Avec les années 60, en Pologne, qui est une période particulière, cette histoire prend une certaine dimension. C’était une époque sombre, avec peu de lumière, du vide et de l’ordinaire partout : les gens portaient des vêtements similaires, voyagaient en bus, il y a avait peu de voitures… Si j’avais transposé l’action de nos jours, l’histoire aurait été tuée par la multitude de facteurs. En plus, grâce a cet environnement, j’ai pu m’éloigner du stéréotype du tueur en série imposé par la culture anglo-saxone.
Pour The Red Spider, vous avez été réalisateur et chef-opérateur. Une double casquette difficile ?
Ce n’est certainement pas facile. Mais là encore, je n’avais pas le choix. Dès le départ, c’est moi qui visualisait cette histoire et je savais que je devrais le raconter en images, avec mes couleurs, mes tons. Heureusement, le film n’était pas une grosse production. C’est un film intime. Dans le cas contraire, je n’aurai peut-être pas réussi à me débrouiller et j’aurai dû faire appel à un chef opérateur. J’adore raconter avec les images, et chef opérateur, c’est mon métier de base. C’est vrai que quand on remplit les deux rôles en même temps, on ressent de la solitude sur le plateau : on n’a pas le soutien d’un chef opérateur qui peut apporter des suggestions au réalisateur, faire des remarques, conseiller, critiquer. Mais d’un autre côté, occuper les deux fonctions, ne pas être condamné à des conflits, à des différences d’avis et de visions, est d’un grand confort.
Propos recueillis par Dorota HARTWICH