Manifeste des auteurs d’Aquitaine, du Limousin et du Poitou-Charentes
Profession Spectacle relaie et soutient cette « Lettre ouverte des auteurs-réalisateurs/trices à l’attention des futurs responsables de la politique publique du cinéma et de l’audiovisuel de la Grande Région ».
Demain en France, il n’y aura plus d’entité région Aquitaine, région Limousin, région Poitou-Charentes, mais une seule Grande Région dont nous connaîtrons bientôt le nom.
Qu’est-ce que cela peut changer pour nous, qui écrivons et réalisons des films ? Chacun va a priori continuer d’habiter là où il est, et de regarder le monde depuis là. Notre « identité » d’auteurs-réalisateurs ne sera pas fondamentalement bouleversée. En revanche, va se poser la question de l’identité culturelle de la nouvelle collectivité qui se crée : un immense territoire (la plus vaste région de France), une puissance économique, un bloc administratif et politique.
Qui va regarder et raconter cette nouvelle entité ? Les politiques et les administrateurs certes, les économistes et les journalistes aussi, mais il faut bien d’autres voix encore pour qu’un territoire existe pleinement. Les auteurs-réalisateurs/trices, par les récits et les regards qu’ils et elles proposeront, vont aussi contribuer à la construction de la Grande Région et à son rayonnement culturel.
Certains de nos films vont raconter le territoire, le mettre en images, en sons et en mots, et nos regards porteront aussi au-delà des frontières de la nouvelle Région. Les films qui émaneront des auteurs-réalisateurs/trices d’Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes nourriront tout autant les représentations de ce vaste territoire que la diversité de la création cinématographique et audiovisuelle française et européenne.
Pour que nous puissions jouer pleinement ce rôle, il est nécessaire que soient mises en place à l’échelle de la Grande Région des politiques publiques fortes et cohérentes. Des politiques fondées sur le principe d’aides sélectives sur critères artistiques et culturels, ouvertes selon un juste équilibre aux auteurs, réalisateurs et producteurs du territoire et d’ailleurs, et pensées au plus près des pratiques de ceux qui portent la création.
Nous désirons que la Grande Région de demain stimule et accompagne le travail des auteurs-réalisateurs dès la phase dite d’écriture, qui mérite d’être valorisée et rémunérée. Ce temps pendant lequel nous cherchons et expérimentons, quand nous ébauchons les contours du film à venir par un travail de repérages, de documentation, par des rencontres, la rédaction de textes (scénarios, story-boards, notes d’intentions…), par la réalisation de premières images et sons, ainsi que par l’échange avec d’autres réalisateurs/trices et avec des personnes susceptibles de faire avancer notre démarche.
Cela implique le financement de résidences, d’ateliers d’écritures et de dispositifs d’accompagnement personnalisé ainsi que la participation financière au travail de conception des films, qu’il s’agisse de courts ou de longs-métrages, de fictions, de documentaires, de films d’animation, de séries ou de webcréations. De telles aides sélectives existaient dans les régions d’hier, nous en demandons la reconduction, l’équilibrage et le renforcement.
Nous désirons que la Grande Région de demain stimule et accompagne l’activité des structures de production (sociétés et associations), notamment celles implantées sur le territoire. Si les fonds de soutien territoriaux ont longtemps été conçus pour favoriser l’accueil de tournages, pour attirer des entreprises extérieures avec des objectifs en termes de retombées économiques et d’emploi, les dernières générations d’aides ont très heureusement pris aussi en compte le renforcement du tissu professionnel local dans son ensemble. Il s’agira de mieux articuler encore les deux dimensions : l’accueil (de tournages, de producteurs, de créateurs) en région, et le développement des initiatives régionales. Un film est affaire de relations humaines et en tant qu’auteurs-réalisateurs/trices vivant à Poitiers, Limoges, Bordeaux, Bressuire, Guéret, ou Agen, il est important pour nous d’avoir la possibilité de construire nos films avec des producteurs géographiquement proches. Des producteurs suffisamment solides pour s’engager à nos côtés dès les étapes de conception d’un projet et jusqu’à la promotion de nos films.
Cela implique à la fois des aides à la conception, à la production et après réalisation ciblées sur tel ou tel film, ainsi que des aides destinées à soutenir la démarche d’une structure de production du territoire dans son ensemble. De telles aides sélectives existaient dans certaines des régions d’hier, nous en demandons la reconduction, l’équilibrage et le renforcement.
Nous désirons que la Grande Région de demain stimule et accompagne la diffusion de films afin que nos travaux soient vus par le plus grand nombre de personnes. Par diffusion, nous entendons aussi bien la projection en salle de cinéma et en médiathèque, les initiatives d’action culturelle et d’éducation à l’image, que la diffusion télévisuelle et sur internet. De ce point de vue, des passerelles restent à inventer pour que la Grande Région se dote d’une politique globale ambitieuse de diffusion des œuvres.
Cela implique des dispositifs de diffusion culturelle rayonnant sur l’ensemble du territoire, et la rémunération à sa juste valeur du travail d’accompagnement des films par les réalisateurs/trices. Cela implique aussi des contrats d’objectifs et de moyens (COM) avec les télédiffuseurs locaux, ceux-ci s’engageant à soutenir l’écriture, coproduire et diffuser des œuvres de création en contrepartie de moyens conséquents accordés par la collectivité. De tels dispositifs existaient dans certaines des Régions d’hier, nous en demandons la reconduction, l’équilibrage et le renforcement. Et pourquoi ne pas avoir l’audace d’imaginer un futur espace de diffusion audiovisuelle et numérique à l’échelle de la Grande Région ?
Enfin, nous désirons être associés aux décisions qui nous concernent et conditionnent notre travail. C’est une condition sine qua non de la mise en place de politiques fortes et cohérentes, et cela implique la consultation régulière des auteurs-réalisateurs/trices pour garantir des modalités d’intervention publique au plus près de la réalité des pratiques et des besoins. Nous serons particulièrement attentifs à l’élaboration des règlements d’intervention du fonds de soutien de la future Grande Région, et à la façon dont s’articuleront les politiques nationales et territoriales via les futures conventions CNC – DRAC – Collectivités.
Associer les auteurs-réalisateurs du territoire à la politique régionale implique aussi, nécessairement, un soutien financier significatif aux structures qui les représentent. C’est ainsi qu’ATIS, jusqu’ici association des auteurs de l’image et du son en Aquitaine, a pu engager le rapprochement des auteurs des trois régions (nous réfléchissons, nous aussi, au nom que prendra demain notre regroupement). C’est bien grâce au soutien de la future collectivité régionale que nous pourrons dès 2016 continuer à rassembler les auteurs, questionner leurs pratiques et soutenir la création à l’échelle de la Région Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes.
Les auteurs-réalisateurs des trois régions, le 12 octobre 2015.
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