Maguy Marin danse sur une délicate « ligne de crête »
Ligne de Crête, un chemin possible à travers une société de consommation toujours plus envahissante ? En cette rentrée 2018, Maguy Marin présente une nouvelle création au théâtre des Abbesses (théâtre de la Ville), Ligne de Crête, jusqu’au 6 octobre.
De cette performance d’une heure, nous sortons épuisés, lessivés et soulagés, tels des coureurs à la fin d’un parcours, de cette ligne de crête, tentant toujours de ne pas basculer dans l’un de ses versants.
Les reliques du capitalisme
Une fois installés, nous distinguons sur le plateau différents espaces cernés de plexiglas ; notre imaginaire commence à entrevoir des possibles, jusqu’au lancement de la bande-son, créée par Charlie Aubry, et de la lumière, conçue par Alexandre Béneteaud, qui installent alors instantanément l’atmosphère que nous devrons endurer. Ce sera un espace de travail rythmé par le bruit d’une photocopieuse et ses traits de lumière balayant le plateau.
Les six danseurs, aux visages inexpressifs, aux tailleurs ou costumes ajustés, apparaissent au compte-gouttes, branchés à leur téléphone. Ils commencent alors à trouver leur chemin dans les méandres du plateau pour apporter des objets de bureau au cœur de leur espace dédié. Cela devient par la suite un défilé, un déferlement, un ballet d’objets de toutes origines. Avec un plateau plus ou moins éclairé, une bande-son battant inlassablement le rythme et résonnant de plus en plus comme un ordre de marche, la pièce chorégraphique est déjà là – nous nous le disons au bout d’une vingtaine de minutes. Tout se joue alors ailleurs, dans de micro-détails, clins d’œil ou coups de pied à notre société de consommation.
En effet, probablement tous les vices et symboles se référant au capitalisme sont apportés, entassés, exposés sur le plateau du théâtre des Abbesses. La liste est longue ; il faut imaginer que ce plateau quasi nu en début de spectacle se remplit de toute part jusqu’à la fin, et ceci au gré des allers-retours des performeurs. Il y avait l’addiction aux smartphones, nous aurons l’addiction aux médicaments, à la « bouffe », à l’alcool et autres boissons, ou encore au sexe. Toutes les grandes marques sont représentées, de Nike à Coca-Cola, de Candia à Pom’potes, de Kronenbourg à Evian, et souvent en pack XXL. Les symboles de guerre, de vacances ou de fêtes telles que Noël sont distillés dans la nuée d’objets. Nous nous amusons et nous apprécions à noter le symbole RF (République Française) mis à l’envers ou une carte de l’Union européenne mise en évidence, puis ensevelie. Alors, avec cette profusion d’objets et de symboles, nous nous demandons où est la place du corps vivant.
Une chorégraphie à mi-chemin
Alors que nos yeux observent ces marches, nous nous interrogeons sur la recherche chorégraphique de la pièce. Les allers-retours incessants font sans aucun doute partie intégrante de la performance tant ils sont structurés, pour réussir le défi de placer et d’entasser cet amas de reliques capitalistes. Au travers des marches, ici et là, une chorégraphie robotique à un, deux ou plusieurs danseurs, se dessine, succincte, parfois imperceptible. Des marques et gestes de névroses, telle une main grattant frénétiquement ou une autre tapotant inconsciemment, corps et buste, nous rappellent la folie supportée par nos corps. Nous restons cependant extérieurs ; nous ne sommes pas nous-mêmes pris dans cette aliénation dénoncée, peut-être seulement agacés. Les corps nous sont montrés uniquement assujettis à cette société de consommation : est-ce là leur unique destinée ?
Finalement, le souhait de Maguy Marin n’est-il pas de nous faire ressentir l’épuisement de cette société, l’épuisement des corps ? De nous faire ressentir ce rythme qui nous est imposé ? Ce pari est remporté : le coup porté à nos consciences est effectif. Nous sommes atteints.
Comment déplaçons-nous dès lors le curseur de la surconsommation ? Ce type de performance pourrait trouver sa place ailleurs, pour sensibiliser un autre public, pour mettre les grandes multinationales ou politiques en face de leurs responsabilités. Et cet acte ne pourrait-il pas être plus puissant en montrant la force de ces corps et leur sensibilité parmi ce monde inerte ? La danse ne pourrait-elle pas permettre de s’en émanciper et d’en briser les chaînes ? Cette performance créée par Maguy Marin laisse une sensation d’inachevé ; nous aurions aimé goûter à une autre libération que celle éprouvée uniquement par la fin du spectacle.
Spectacle : Ligne de Crête
- Création : 11 septembre 2018 au théâtre national populaire (Villeurbanne)
- Durée : 1h
- Public : à partir de 10 ans
- Conception & Chorégraphie : Maguy Marin
- Avec : Ulises Alvarez, Françoise Leick, Louise Mariotte, Cathy Polo, Ennio Sammarco, Marcelo Sepulveda
- Dispositif scénique et bande-son : Charlie Aubry
- Lumières : Alexandre Béneteaud
- Costumes : Nelly Geyres
- Compagnie : Maguy Marin
Crédits photographiques : Peter Thompson / Compagnie-Maguy-Marin
En téléchargement
OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
- 25 septembre 2018 > 6 octobre 2018 : théâtre des Abbesses (Paris)
- 12 > 14 octobre : théâtre Gérard Philipe (Saint-Denis)
- 6-7 février 2019 : Humain trop humain (Montpellier)
- 30 mars : salle Jacques Brel (Fontenay en Scènes)
- 4 avril : théâtre Edwige Feuillère (Vesoul)
- 9 avril : le Dôme de Gascogne – CIRC (Auch)
- 11 avril : le Parvis (Tarbes)
- 22 > 24 mai : théâtre Garonne (Toulouse)
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