Magali Mougel, des relations déconstruites à la communauté utopique

Magali Mougel, des relations déconstruites à la communauté utopique
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Native des Vosges, Magali Mougel écrit depuis six ans une œuvre littéraire et théâtrale originale, éditée par Sabine Chevallier aux éditions Espaces 34.

Finaliste du Grand Prix de littérature dramatique à deux reprises, pour Erwin Motor en 2013 et Suzy Storck en 2014, elle publie l’an dernier The Lulu Projekt, qui fait partie des quatre pièces sélectionnées cette année pour le prix Collidram des collégiens – une nomination qui lui fait particulièrement plaisir.

Rencontre.

Il y a peu, Libération s’interrogeait non sans provocation sur la nécessité des dramaturges. Comment voyez-vous la place de l’auteur contemporain dans le paysage théâtral français ?

Nous sommes à l’extrême-pointe de la précarité, dans la mesure où nous sommes dans la « macronisation » ultime. Cela pourrait ne pas concerner que les auteurs, à terme, mais aussi l’ensemble des intermittents : le régime de l’intermittence pourrait basculer dans ce non-statut qui est celui de l’auteur. La tendance est à vouloir faire disparaître ce régime et toute forme d’indemnisation des jours non travaillés, au profit d’une absolue flexibilité, de sorte qu’aucune solidarité ne soit possible. Il existe heureusement des corporations suffisamment fortes pour résister à cette tendance. Nous, auteurs, ne faisons que payer des charges, sans participer à cette solidarité interprofessionnelle, si bien que lorsqu’il n’y pas de travail, il n’y a pas d’indemnisation. Nous avons exactement le même statut qu’un artisan lambda.

Magali Mougel, The Lulu Projekt, Espaces 34 (couverture)Sauf qu’un dramaturge, s’il parvient à publier un texte et à vendre 800 exemplaires, est déjà « au sommet » de ses capacités…

Oui, c’est certain. Cela représente souvent pour nous, au mieux, un demi-treizième mois. Encore faut-il être lu par des scolaires pour que les livres se vendent ! C’est sûr que, dès lors que tes textes sont étudiés en classe, tu vends du livre, ou lorsqu’il s’agit d’un spectacle qui tourne beaucoup. Mais cela reste en général destiné au jeune public.

C’est l’un des intérêts du prix Collidram, qui sélectionne chaque année quatre textes de théâtre et les fait lire à plusieurs centaines de collégiens en France. Votre pièce The Lulu Projekt a d’ailleurs été sélectionnée cette année…

Je me moque des prix, du moins ceux remis de manière souveraine. Mais Collidram, c’est autre chose : un vrai travail de lecture est fait. Peut-être que The Lulu Projekt est le premier texte qu’ils ont dans les mains d’un auteur vivant… ça me touche beaucoup. J’ai été très surprise d’être sélectionnée cette année.

Lire du théâtre a-t-il vraiment du sens ?

Sabine Chevallier, ce n’est pas pour rien qu’elle est mon éditrice, défend l’idée que le texte de théâtre est avant tout un objet littéraire. Quand j’écris de manière solitaire, j’écris pour des corps, j’écris des voix, de la parole, mais je n’écris pas du plateau. D’autres font ça très bien. Je trouve intéressant qu’il y ait une dissociation entre ces deux moments que sont l’écriture et le plateau, parce que travailler à partir de ce dernier fait parfois revoir à la baisse les intuitions poétiques.

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Magali Mougel, Erwin Motor Devotion, Espaces 34 (couverture)Parlons un peu de votre écriture. Ce qui frappe notamment dans la plupart de vos textes, et de manière générale dans le théâtre contemporain, c’est l’absence de ponctuation. Quel est le sens de la ponctuation pour vous ?

J’écris de la parole, du souffle, donc une partition. Le principe de versification agit en ce sens comme une ponctuation, de même que celle-ci est souvent un motif poétique. Dans Erwin Motor, je privilégie essentiellement des points : il y a une virgule, mais elle fut le résultat d’un questionnement de trois semaines… c’est dire si j’y attache de l’importance ! La ponctuation est un véritable espace de réflexion : plus j’écris, plus je densifie la ponctuation. La ponctuation est en lien avec la pensée : les points de suspension appartiennent à l’ordre psychologique, à une recherche de pensée, tandis que le slash est un arrêt net, brutal, de toute pensée ; quant au point, il ponctue évidemment la pensée.

Je suis frappé, en lisant vos textes, par les relations que vous décrivez, notamment intrafamiliales. J’ai l’impression d’être devant un théâtre de la déconstruction, presque de la dévoration. Il ne semble guère y avoir d’espérance pour une communauté humaine… Au risque de vous provoquer, seriez-vous une individualiste ?

Je ne sais pas quoi répondre à cette analyse, car je n’avais jamais perçu mes textes sous cet aspect. Je crois à la communauté comme espace utopique ; en réalité, elle n’existe pas là où on en est. C’est très subjectif. La notion de communauté est faussement existante : on pense faire tenir quelque chose ensemble, mais c’est un jeu de masques. Les personnages que je crée recherchent la communauté, mais cette communauté n’est pas en capacité de les accueillir, ni de reconnaître les différences présentes. Ils sont au ban des normes sociales, politiques et économiques. Tout ce qui est de l’ordre, ou pour utiliser un grand terme althussérien, de « l’appareil idéologique d’État », n’est pas en capacité de fédérer la communauté. Mes textes sont donc la recherche d’une communauté à venir… Cela passe nécessairement par un principe de destruction de communautés non viables.

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La quasi-totalité de votre œuvre est éditée chez Espaces 34 : pourquoi un tel choix ?

J’ai une confiance totale en Sabine Chevallier. Le terme « maison », dans maison d’éditions, a une réelle valeur pour moi. Quand tu rencontres les auteurs édités par Espaces 34, c’est une évidence : tu sais pourquoi tu appartiens à ce catalogue ; cela fait sens. J’ai une admiration sans faille pour l’œuvre monumentale de Claudine Galéa ; Jean Cagnard est quelqu’un qui captive et que j’aime ; Samuel Gallet fut une rencontre incroyable, à l’époque où j’étais encore à l’ENSATT ; les textes de Rémi Chechetto sont des ovnis… Tu comprends alors les choix de Sabine : elle ne soutient pas qu’un texte, mais aussi une humanité. Quand on en prend conscience, c’est une vraie joie. J’estime que c’est un privilège d’être éditée par Espaces 34.

Quelle influence exerce l’allemand sur vous ?

C’est une très belle question. Venant de l’Est, j’ai grandi à proximité de la frontière allemande, avant de vivre également à Strasbourg. J’ai un amour inconditionné pour les dramaturges et poètes allemands, notamment les romantiques : Goethe et surtout Hölderlin. Tout ce théâtre du quotidien me fascine. Je pense également à certains textes de Kleist, Fassbinder, Horváth… Je ne sais pas si je les rejoins dans leur pensée, mais ce qui est sûr, c’est que cela a entraîné un amour pour la langue allemande.

Au point de la laisser jaillir dans plusieurs de vos textes.

Je ne sais pas parler correctement une autre langue que celle maternelle, mais j’aime lire dans d’autres langues, surtout en allemand. C’est un endroit de pensée qui me fascine : il y a des choses qui ne peuvent s’énoncer que dans le rythme de la syntaxe allemande. J’écoute beaucoup de musique en général, et allemande en particulier, notamment les compositeurs baroques. Cela se sait peu, mais j’ai un passé de disquaire. Si je n’étais pas devenue auteure, je serais aujourd’hui disquaire : j’ai eu la chance de travailler pour une grande maison de disques, Harmonia Mundi, durant toutes mes études à l’université, entre 2001-2002 et 2007-2008. Elle avait à l’époque une quarantaine de boutiques en France, dont la troisième par ordre d’importance était à Strasbourg. C’est assez étrange : ce travail fut comme une parenthèse dans ma vie, en même temps qu’il l’imprègne considérablement. Je fus comme à la croisée des chemins, car Harmonia Mundi recherchait un responsable de boutique à la Cité de la Musique ; le directeur régional m’a recommandé de postuler… sauf qu’entre-temps j’ai eu une réponse positive de l’ENSATT.

Y aurait-il un lien entre le souffle musical et le souffle de votre écriture ?

Évidemment ! Ce qui m’intéresse, c’est cet endroit du corps, très organique, c’est-à-dire comment ça respire, comment ça traverse le corps, ce que tu mobilises de muscles et d’organes pour que la parole jaillisse et devienne peu à peu pensée. J’ai d’ailleurs fait de nombreuses recherches à ce sujet sur Antonin Artaud. Son œuvre compte beaucoup pour moi parce qu’il est l’un des auteurs français qui m’a permis de faire du lien entre l’espace de l’écrit et l’espace de l’oralité, de comprendre comment l’écriture, notamment la poésie, est une mobilisation du corps. Dans le même temps, c’est un auteur iconoclaste qui, dès qu’il met en scène, saccage le texte : tout le théâtre Alfred Jarry en est une preuve.

Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER

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Photographie de Une – Magali Mougel (crédits : Jean Pierre Angei)



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