“Macbeth (The Notes)” : l’enseignement magistral d’un David Ayala au sommet de son art

“Macbeth (The Notes)” : l’enseignement magistral d’un David Ayala au sommet de son art
Publicité

Macbeth (The Notes) est un enseignement magistral plein d’humour, porté par un David Ayala au sommet de son art. Hommage au théâtre et délire burlesque, la frontière entre imaginaire délirant et réalité s’estompe peu à peu, pour le plus grand plaisir des spectateurs.

Adaptation de Dan Jemmet et David Ayala, Macbeth (the Notes) confirme sa tournée de près de cinq ans au Lucernaire jusqu’au 14 octobre. Entrecoupé de nombreux extraits du texte de Shakespeare, magnifiquement proférés par David Ayala, ce seul en scène nous introduit à l’issue de la générale d’un Macbeth : le metteur en scène livre ses dernières recommandations à son équipe, fictivement présente dans les gradins en lieu et place du public. Tel un démiurge, il orchestre et informe la totalité de l’espace – scène et salle – à la mesure de sa vision passionnée, délirante. Le spectateur ignore la teneur de ce monologue : délire ou réalité. Telle l’apparition des sorcières dans Macbeth, techniciens, costumière, maquilleuse ou comédiens peuvent tout aussi bien être des hallucinations nées de l’angoisse obsessionnelle du metteur en scène, à l’aune de la création de sa pièce.

Dans une bienveillance qui vire à l’absurde envers le travail complètement inachevé de ses compagnons, à quelques jours de la première, le metteur en scène reprend chacun de leurs rôles, approfondissant au fur et à mesure de la pièce sa vision de l’œuvre de Shakespeare et plus généralement du théâtre. Nous assistons à une véritable classe de maître, au cours de laquelle chaque acteur de la mise en scène se voit expliquer – ou réexpliquer – l’enjeu de sa performance. La pièce recourt à de multiples références au théâtre contemporain pour s’en faire la satire et revisiter les lignes de force d’un théâtre de la cruauté, dit « de la distorsion », grâce à l’interprétation majestueuse de David Ayala.

Une classe de maître pleine d’humour

Le spectateur plonge dès les premières secondes de la pièce dans l’énergie effrénée de Dan – prénom emprunté au véritable metteur en scène. Son empressement à livrer ses derniers conseils à ses collaborateurs vire au clownesque. Sa logorrhée interminable – 1h25 ne suffisent qu’à achever les commentaires des deux premiers actes – est pleine du drame de l’urgence face à un travail qui est encore bancal à bien des égards. Elle est en même temps éminemment burlesque dans l’empressement qu’il met à délivrer ses Notes. Il fond sur son cahier, l’ouvre, le jette, le reprend, dans une forme de compulsivité qui contraste avec la confiance dont il semble vouloir se convaincre lui-même. David Ayala se donne corps et âme dans ce marathon verbal qu’il accompagne concrètement en sillonnant, dans une course folle, le large espace de la scène – quasiment vide à l’exception d’un bureau où gît le cahier, d’un banc côté cour et d’un petit parapet au fond. Il passe en revue l’ensemble des défauts du spectacle, notamment la régie son et la scénographie, qu’il ponctue systématiquement par des euphémismes délirants dont rit beaucoup le spectateur.

La retenue initiale de ses critiques laisse rapidement place à une obsession incontinente, distillée dans des commentaires exhaustifs et étayés d’une foule d’exemples ; le texte est par ailleurs jonché, avec beaucoup d’humour, de références au théâtre et aux mondes politique et culturel contemporains. Jeux de mots (« Carmelo Bene aurait dit : Un Macbeth de moins ! ») et critiques pleines d’ironie envers les artifices du théâtre contemporain (« Je comprends rien, mais c’est beau ! », s’exclame-t-il à propos de la création de son vidéaste Rainer ; absence de coulisses, encastrement des mises en abyme et autres concepts complexes) inondent la pièce et suscitent l’esclaffement du public. La didactique se fait aussi généreuse qu’incongrue dans cet enseignement magistral qui ne cesse de déborder en parenthèses. Macbeth emprunte les mots de Sarkozy, songeant pour la première fois à la couronne devant sa glace, tandis que le dessin animé Bipbip et Coyotte s’invite comme une allégorie triviale de l’imagination.

Drôle, le texte convoque cependant avec un certain sérieux, du moins avec conviction, de nombreuses références à l’avant-gardisme du XXe siècle : les théories de l’espace de Peter Brook, le théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, Francis Bacon… C’est un véritable cours de mise en scène auquel assiste le spectateur, traitant de l’espace autant que du jeu de l’acteur, délivré de tout psychologisme, fondé dans un corps pris par l’immédiateté du présent, à la manière du théâtre oriental.

Le texte nous offre également une belle lecture des personnages de la pièce shakespearienne, que Dan déploie à force d’images ou d’illustrations concrètes, à travers notamment les nombreuses tirades extraites de Macbeth qui parcourent le spectacle.

Ce qui pourrait apparaître comme un manifeste, du fait du registre pédagogique de la prise de parole du metteur en scène, ne tombe heureusement pas dans l’écueil du discours – à une exception près, lors de son petit couplet facile et moralisant sur le phénomène des “Blackface”. Cela tient essentiellement au jeu de David Ayala, qui se consume littéralement sur scène, ainsi qu’aux jeux de résonances entre les drames de Macbeth et de Dan.

Mise en scène qui incarne le propos

La scène épurée laisse le champ libre à l’imagination, à l’univers intérieur du démiurge et professeur littéralement envahi par Macbeth, jusqu’à ne plus savoir qui il est (cf. scène finale). Nous voyons et vivons ce qu’il dit, ce qui le traverse : les personnages shakespeariens qu’il joue admirablement lors des nombreuses tirades qui traversent la pièce pour illustrer les « Notes » ou encore l’angoisse née de l’urgence de cette dernière mise au point avant la rencontre avec le public. David Ayala manifeste, dans chaque centimètre de son corps, la tension qui habite son personnage. Souffle court lié à sa faconde, agitation motrice, regard qui accroche le public comme personnage à part entière, destinataires des commentaires… toute la mise en scène concourt à incarner le théâtre que défend Dan. Pour cela, la scène de l’arrivée au château d’Inverness est remarquable : nous y assistons, oublions un instant le metteur en scène pour être avec lui, totalement, sans distance, dans le bruit des chevaux et des trompettes qu’il imite pourtant sommairement, sous nos yeux. Il est habité. Tel est précisément son drame, puisqu’il ne semble plus y avoir de frontière entre imaginaire délirant et réalité.

Le discours se fond dans un véritable acte théâtral, où les mots de Shakespeare rencontrent les idées de Dan et le jeu de David Ayala.

« Certes la peur vécue
Est moindre que l’horreur que l’on imagine
[…]
Que ma raison en étouffe ? rien qu’à en former les images,
Et que rien n’est, pour elle, sinon cela, qui n’est pas. »
(Macbeth, acte I, scène 3)

Le cœur de Macbeth bondit dans sa poitrine, envahi par l’angoisse à la seule idée de son crime, idée qui doit aussi irriguer le corps des comédiens que le metteur en scène exhorte de ses conseils. Nulle anticipation cérébrale ne doit mouvoir le jeu, seulement l’instantané des mots inscrit dans le corps, créant un « langage à mi-chemin entre le geste et la pensée », comme l’écrit Artaud dans Le théâtre et son double. David Ayala trouve aussi le fil des mots de Shakespeare dans le corps, par l’esquisse d’un mouvement, tel le crayon invisible de Dan devenant soudain arme du crime : « Je te vois cependant ! D’apparence aussi dure que cette lame-ci que je dégaine… “Tu es semblable au fer que j’allais brandir !” » (Macbeth, Acte II, Scène I). Et pour jouer, il faut avoir tué le journaliste avant qu’il n’entre dans la salle !

Notons enfin que la scène finale nous semble cependant inopportune, jouant sur le tableau du théâtre contemporain dont il rit, la carte de la performance triviale, choquante – que ce soit par dérision supplémentaire ou par illustration superfétatoire. Voulant éclairer un peu plus (trop) le propos de la pièce, son principe, elle tombe dans l’écueil d’une ficelle dont le spectateur n’avait pas besoin pour vivre et comprendre le drame.

Pauline ANGOT

 



SPECTACLE : MACBETH (THE NOTES)

Création : 2014
Durée : 1h25
Public : à partir de 14 ans

D’après William Shakespeare
Écriture et adaptation : Dan Jemmett et David Ayala
Mise en scène : Dan Jemmett
Avec David Ayala

Crédits photographiques : Patrick Berger / ArtComArt
.



OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Spectacle vu le 6 septembre 2019 au Lucernaire (Paris).

– Du 28 août au 13 octobre 2019 : théâtre du Lucernaire (Paris)

.

David Ayala MACBETH (THE NOTES) (Patrick Berger / ArtComArt)



Découvrir toutes nos critiques de spectacles



 

Publicité

1 commentaire

  1. Je ne suis pas d’accord avec votre critique de la scène finale. La vie de ce roi, et peut etre même ce qui fût sa condition humaine est parfaitement et justement résumé dans ce bain de sang.

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *