Lydia Erbibou, les malentendants et la musique : un documentaire-expérience
Comment entendre, ressentir et faire de la musique lorsqu’on est sourd ou malentendant ? S’ils ne sont pas aussi sensibles que les « entendants » à la mélodie, voire ne l’entendent pas du tout, alors qu’entendent-ils ? Que perçoivent-ils de la musique ? Quel est leur rapport aux sons et aux vibrations ? Que ressentent-ils ? Autant de questionnements auxquels la réalisatrice Lydia Erbibou cherche à répondre, dans son film documentaire Good Vibrations, qui sort dans les salles ce mercredi 15 novembre. Rencontre.
Votre productrice Anne Schuchman-Kune raconte que c’est à l’issue d’une conférence de presse sur la nouvelle salle d’initiation musicale, au sein de l’Institut de jeunes sourds, que vous avez eu le désir de réaliser ce film. Qu’est-ce qui vous a séduite d’emblée ?
Les élèves de l’Institut se tiennent là, attendant leur tour, impatients de nous faire partager une Expérience : sentir les vibrations de la musique grâce à un dispositif très particulier. Enthousiastes, ils nous invitent d’un signe de tête à les rejoindre sur un grand plateau de bois vibratoire. Ils nous montrent fièrement la complexité des installations, les différents instruments de musique, les capteurs et les caissons vibratoires, le « miracle » (selon Farrah) de cette salle. La musique est lancée, allongés sur le plateau, nous sentons. Les vibrations parcourent le corps. Cette expérience qu’ils partagent généreusement avec nous, ce point en commun, est en fait le point de départ d’un vaste champ d’exploration : celui de leur perception.
Comment avez-vous pensé le son, en lien avec le silence propre à la langue des signes ?
S’immerger, rencontrer ces adolescents, comprendre, se rapprocher de ce qu’ils sont, de ce qu’ils entendent, de ce qu’ils sentent. Et saisir, jusqu’à ce point de butée où l’autre nous reste inconnu, étranger. Au-delà de cette limite, le silence. Ne jamais inventer. Ne jamais meubler. Pas d’effets de son. Aucun.
Bien que l’enjeu d’une expérience sensorielle atypique, pour les personnes ayant une bonne audition, soit clairement énoncé, le film consacre de longues scènes à des événements qui ne semblent pas directement liés à la musique et aux vibrations : la discussion entre deux jeunes filles sur le fait que l’une ait poussé l’autre plus ou moins fortement, le temps de maquillage et d’habillage avant la scène d’époque… Cet élargissement de votre approche était-il important ?
Oui, en effet. Une cour de récréation, une dispute, un attroupement, une séance de maquillage, des essayages, une salle de classe, des vannes, des rires, des projets : l’Adolescence. La même. Une vitalité qui engloutit le cadre. Des personnalités qui emportent la caméra. Une caméra qui se laisse guider, parce que, comment comprendre une perception extraordinaire sans appréhender celui qui perçoit ?
Vous faites le choix de rester attachée au groupe, plutôt que de privilégier un fil narratif centré sur une personne en particulier. Désirez-vous mettre en exergue une dimension particulière de votre sujet, à travers cette omniprésence du collectif ?
Aucun d’entre eux, en particulier, n’est le sujet du film. Caractères trempés et bruyants, présences fortes et silencieuses, personnalités réservées voire timides : treize individus qui interagissent. Tous créent l’identité du personnage principal : le Groupe des élèves de 4e et 3e de cette année-là à l’INJS. Un groupe d’adolescents. Et si l’un d’entre eux, en particulier, avait été choisi pour porter le propos du film, nous aurions perdu de subtiles nuances, chères à notre quête.
Surdité légère, surdité moyenne, surdité sévère, appareillage, implant, refus de toute aide auditive : chaque perception est différente. Chacune est un indice supplémentaire pour notre recherche, une piste qui enrichit la compréhension de cette autre perception.
Le sujet étant l’appréhension de la musique par des jeunes sourds et malentendants français vivant à Paris, pourquoi avez-vous choisi d’intituler votre film en anglais ?
Un jour, Sophie Reiter, la monteuse du film, a soufflé un titre : Good Vibrations. Ce titre citation reflétait parfaitement le rythme, l’énergie et le sens du film. C’était aussi un clin d’œil aux « Feel Good movies ».
Qu’est-ce qu’une telle expérience apporte à votre regard, voire à votre manière de réaliser des films ?
Montrer la vibration, faire entendre le silence, ne pas savoir ce que quelqu’un raconte quand il est de dos (parce que la langue des signes, quand elle n’est pas visible, ne s’entend pas), ne pas pouvoir entendre de « hors-champ » : d’étonnements en étonnements, il a fallu adapter une manière de filmer, trouver un langage visuel, choisir un parti pris sonore. L’immersion au sein de la matière vivante modèle les partis pris, ajuste la connaissance, oblige à se déplacer humainement et artistiquement. J’ai compris que consentir à cette souplesse permettait de s’approcher de la vérité d’un sujet.
Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER
Lydia ERBIBOU, Good Vibrations, 2017, 68mn.
- Production : Schuch Productions / Will Production
- Distribution : Esperanza Productions
Biographie de Lydia Erbibou
Passionnée par la musique (elle pratique le piano au conservatoire), la peinture et l’image, Lydia Erbibou s’oriente tout d’abord vers la philosophie. Après l’obtention d’un master, elle intègre l’Établissement d’enseignement supérieur technique privé (EICAR), qui forme les futurs professionnels des métiers artistiques et techniques de l’audiovisuel (promotion 2011). À ce jour, elle a réalisé plusieurs courts-métrages et spots publicitaires.
Lydia Erbibou – Bande Démo from fastprod on Vimeo.
Photographie de Une – Lydia Erbibou