“L’œuvre sans auteur” (I & II) : l’art en quête de vérité
Après s’être perdu – et nous avoir perdus – avec le très mauvais The Tourist (2010), Florian Henckel von Donnersmarck, le réalisateur du splendide La Vie des autres (Oscar du meilleur film étranger en 2007), revient avec un film sur l’art, la famille, l’identité, sur fond d’Histoire de l’Allemagne : envoûtant…
Musée des Beaux-Arts, Dresde, 1937 : lors de la visite d’une exposition, un guide très inspiré et très convaincu explique en quoi les œuvres des peintres cubistes, de Picasso, de Mondrian, d’Otto Dix ou encore de Kandinsky constituent de « l’art dégénéré ». « L’art demande de la maîtrise », scande-t-il devant un public tout acquis. Ces artistes modernes, ne se pliant en effet pas à l’art héroïque du régime nazi, sont rejetés. Heureusement, le national socialisme peut guérir ces artistes… Public acquis ? Pas vraiment, puisque parmi les visiteurs se trouvent une jeune femme, Élisabeth, accompagnée de son neveu, Kurt. Ayant perçu chez lui une appétence – et un talent – pour la peinture, elle accompagne l’enfant dans les musées. Leur relation faite d’amour, de tendresse et de complicité sera un des éléments essentiels de la vie du jeune garçon. Le leitmotiv de la jeune femme l’incite à ne jamais se plier devant l’adversité et également à ne jamais détourner le regard. Élisabeth désapprouve ainsi fortement le fait que certains membres de leur famille acceptent sans révolte d’entrer au parti nazi.
Peu de temps après, Elizabeth est diagnostiquée schizophrène et placée en hôpital psychiatrique. La scène du départ de sa tante en ambulance marquera le petit garçon à jamais…
Berlin, 1940. La jeune femme est confrontée à un médecin nazi qu’elle supplie de ne pas la stériliser : en vain, le professeur reste inflexible malgré les pleurs et les appels pathétiques de la malade. En plein régime nazi, les médecins ont tout pouvoir : une marque de leur part sur le dossier d’un patient peut tuer. Leur stylo devient leur épée, comme le leur rappelle leur chef de clinique.
Dévoilement de l’art
Le film, inspiré de la vie du peintre allemand Gerhard Richter (né en 1932), pose immédiatement le cadre : il y sera question de création et d’Histoire. Toutefois, le réalisateur ne souhaite nullement écrire un biopic. Il ne souhaite pas relater la vie du peintre : ce qui importe ici est de s’interroger sur la création, à la fois son origine et son processus, sur fond de fresque historique de l’Allemagne. « Ma famille a traversé deux régimes totalitaires », a coutume de dire Florian Henckel Donnersmarck.
L’enfant grandit, l’Allemagne est désormais séparée en RDA et en RFA. Kurt vit en RDA et comme l’avait prédit sa tante, il désire peindre. Étudiant aux Beaux-Arts de Dresde, il doit se plier au goût pictural du Parti dirigeant : son talent lui permet d’accomplir son « devoir » sans grande conviction. Sa rencontre avec une jeune femme le bouleverse : elle se nomme Élisabeth ; il l’appellera Ellie lui annonce-t-il troublé, le souvenir de sa tante le hantant toujours. Le père de la jeune fille n’est autre que le médecin nazi qui a tourmenté sa jeune tante…
Les jeunes gens, profondément épris, décident de fuir à l’Ouest, Kurt ne parvenant pas à se plier aux exigences du pouvoir. A l’Ouest, il intègre une école d’art tenue par un professeur que les étudiants assimilent à un poseur prétentieux mais dont le succès est immense. Cet homme ne se sépare jamais de son chapeau de feutre et ne travaille qu’une seule matière : la graisse. C’est pourtant la « leçon » de ce professeur qui va agir comme un catalyseur. Une remarque de Kurt éveille en effet l’intérêt du professeur à son égard. Face à la production du jeune homme qui, sous les conseils d’un ami, ne fait que chercher « l’idée » pour atteindre le succès, le maître se dévoile enfin et, surtout, dévoile ce que doit être l’art.
L’art n’est pas – et ne peut être – un geste anodin, une simple « idée » qu’il faut trouver : l’art est ce qui nous constitue, ce qui nous innerve. Si l’on n’est pas prêt à se livrer entièrement, totalement, notre production n’aura pas d’âme et ne touchera pas. Il avoue alors au jeune héros pourquoi le feutre et la graisse sont si importants pour lui : sans ces deux matières, il serait mort.
Ode à l’humanité
La Vie des autres offrait le tableau d’un agent de la Stasie qui se découvrait une sensibilité à l’art et qui ainsi, devenait un homme bon. L’œuvre sans auteur poursuit cette réflexion sur l’art. En représentant ainsi un créateur en devenir, le réalisateur rejoint un autre auteur allemand, Rilke qui, dans ses Lettres à un jeune poète, ne dit pas autre chose : l’art est une nécessité absolue pour celui qui décide d’écrire, de peindre, de créer. Il ne doit pas être lié au regard des autres, « tourné vers le dehors ». « Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? », conseille Rilke à son interlocuteur.
La création comme nécessaire exutoire mais également comme révélateur de la vérité. « Tout ce qui est vrai est juste », déclare Kurt et « Je veux la vérité ». Le jeune peintre va ainsi trouver sa voie : il va peindre à partir de photographies de journal, mais également de photographies de sa famille, révélant ainsi le lien terrible qui unit son beau-père au passé nazi à sa jeune tante.
L’art permet de mettre au jour la vérité. Sans même connaître le passé de son beau-père en effet, Kurt va le dévoiler. Mieux encore, une de ses œuvres va désigner celui qui fut un médecin nazi comme le bourreau de sa tante…
Plus qu’un biopic, il s’agit ici plutôt d’un auto-portrait et d’un magnifique chant d’amour à l’art et à la famille. Les comédiens sont tous merveilleux, avec une mention spéciale à l’acteur fétiche de La Vie des autres, Sébastian Koch, et à la jeune Paula Beer que l’on avait déjà admirée dans Frantz, de François Ozon. Des plans larges, dignes de Terence Malick, viennent ponctuer cette fresque historique, rappelant ainsi à chaque homme qu’il est lié à la fois aux êtres qu’il aime, à son pays, mais également au monde, à l’humanité tout entière : L’œuvre sans auteur sonne alors comme une ode à l’homme…
Florian Henckel von Donnersmarck, L’œuvre sans auteur (I & II), Allemagne – Italie, 2018, 190mn
Sortie : 17 juillet 2019
Genre : drame
Classification : tous publics
Titre original : Werk ohne Autor
Avec Tom Schilling, Sebastian Koch, Paula Beer, Saskia Rosendahl, Oliver Masucci, Cai Cohrs, Ina Weisse, Mark Zak, Ulrike C Tscharre, Bastian Trost, Hans-Uwe Bauer
Photographie : Caleb Deschanel
Musique : Max Richter
Distribution : Diaphana distribution
En savoir plus sur le film avec CCSF : L’œuvre sans auteur partie I et partie II
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