Liv Ullmann : « Il y a des difficultés liées au fait d’être femme et réalisatrice »
Elle fut la muse, célèbre, du grand maître suédois Ingmar Bergman (1918-2007). Comédienne, scénariste et réalisatrice mondialement connue, Liv Ullmann était récemment l’invitée d’honneur du 36e Film Meeting de Bergame (10-18 mars), qui lui a dédié une rétrospective comprenant tous ses films en tant que réalisatrice, de Sofie (1992) à Mademoiselle Julie (2014).
Rencontre avec une artiste à la carrière époustouflante.
Vous êtes passée derrière la caméra 35 ans après le début de votre carrière dans le cinéma. Pourquoi (seulement) à ce moment-là ?
Parce que je n’avais jamais vraiment voulu être réalisatrice, je n’y pensais même pas. Cependant, comme j’étais aussi écrivain et prononçais beaucoup d’allocutions, on m’a demandé d’écrire un film pour une société de production danoise. Je me suis exécutée et ils ont adoré le scénario ; ils m’ont dit : « Pourquoi ne le réaliseriez-vous pas ? ». J’ai répondu : « Vous dites ça sérieusement ? », et j’ai appelé Ingmar pour lui demander s’il pensait que j’étais capable de réaliser un film. Sa réponse a été : « Oui, tu en es capable », et il m’a toujours soutenue par la suite. Et donc j’ai réalisé ce film et soudain je me suis rendu compte, dès la première semaine à vrai dire, que j’avais été actrice pendant si longtemps que j’avais aussi appris le métier de metteur en scène : tout ce que j’espérais du réalisateur en tant que comédienne, je pouvais à présent le faire moi-même.
Au fil de votre carrière, avez-vous trouvé qu’il était plus difficile d’être une femme dans ce métier ?
Oui, il y a des difficultés liées au fait d’être femme et réalisatrice, pour se faire respecter en particulier, mais c’était aussi dû, en grande partie, à ma manière de faire personnelle en tant que femme. Je dois dire qu’au début, je n’étais pas au point ; je courais partout en demandant à tout le monde : « Vous voulez que j’aille vous chercher un café ? Je peux faire quelque chose pour vous ? », parce que j’ai été élevée comme ça. J’ai compris après la première semaine que ce n’était pas ainsi qu’une femme était censée se conduire, et surtout pas une femme réalisatrice. Le fait que j’étais également actrice a aussi eu un impact négatif. Je veux dire : si, déjà, on vous considère comme une petite personne faible parce que vous êtes une femme, quand vous êtes aussi actrice par dessus le marché, c’est encore pire, donc j’ai dû me battre contre cela aussi, mais les acteurs se sont très bien adaptés à moi. Je leur ai accordé confiance et liberté, et ils ont apprécié que je me fie à leur créativité et que j’y croie. Une fois que les acteurs ont été de mon côté et que j’ai commencé à me comporter comme une femme adulte, tout s’est bien passé – je me suis même sentie mieux en tant qu’actrice, compte tenu du respect que j’ai ressenti pour mes acteurs. J’adore vraiment le métier de metteur en scène, pour le cinéma comme pour le théâtre.
Tous vos films tournent autour de personnages d’héroïnes. Envisageriez-vous de faire un film sur un personnage masculin ?
Peut-être que je vais vers des personnages féminins parce que j’ai tendance à être un peu autobiographique, comme c’est le cas dans mes livres (je tends à piocher dans ma propre histoire)… Cela dit, l’idée est excellente ! Je ne compte plus réaliser de films, hélas, mais jamais personne ne m’a posé cette question ; j’avoue qu’en y réfléchissant, j’aurais adoré faire ça ! Il doit y avoir une raison, si je pense toujours en termes d’univers féminins ; ça veut dire que je pense toujours par rapport à ce que je connais. Mais à dire vrai, oui, j’aurais aimé écrire une histoire sur un homme, tel que je l’aurais compris moi. Malheureusement, il est trop tard pour m’amuser avec cette idée, puisque j’ai décidé que je réaliserai plus jamais de films.
Au cours de votre longue carrière internationale, vous avez autant travaillé en Europe qu’aux États-Unis. Est-ce que vous voyez des différences entre les deux environnements ?
Dans le cinéma, oui. Aux États-Unis, tout est si vaste : il y a tellement de gens dans le métier, les syndicats professionnels sont vraiment puissants ; si vous êtes réalisateur/trice, vous ne pouvez même pas regarder à travers la lentille de la caméra… Beaucoup de choses sont compliquées, là-bas. Je pense que je me sens plus à l’aise dans une atmosphère européenne. Au théâtre, en revanche, ça se passe plus ou moins de la même manière que vous soyez aux États-Unis, en Australie, à Londres ou ailleurs. En Norvège, bien sûr, c’est encore autre chose : en Norvège, je suis non seulement une femme, non seulement une actrice, non seulement une vieille dame, mais je suis aussi Norvégienne.
Propos recueillis par Bénédicte PROT
Source partenaire : Cineuropa