Lieux intermédiaires et indépendants, lieux de démocratie et de culture
Les lieux intermédiaires, contrairement aux tiers-lieux, naissent librement, ne font pas l’objet de labellisation ni de contrôle par une instance publique ou privée, favorisant ainsi la créativité artistique et la démocratie concrète. Présentation.
« Lieux intermédiaires, tiers-lieux, interministérialité… Comment faire culture en commun(s) ? » Tel était le thème de forum organisé par POL’n – lieu d’expérimentation et de mutualisation pluridisciplinaire nantais géré collégialement par une douzaine d’associations – lors des dernières Biennales internationales du spectacle (BIS) à Nantes.
Réunissant plusieurs intervenants publics ou privés, les discussions ont abordé les problématiques inhérentes à ces lieux intermédiaires, évoqué leurs particularités face aux labellisations « tiers-lieux » ainsi que les enjeux liés à une structuration inter-lieux. En rappelant leur histoire, ces acteurs culturels protéiformes revendiquent aussi les modes d’action qui trouvent leur voie par l’expérimentation et l’écoute d’un territoire.
Les lieux intermédiaires vs les tiers-lieux
Définir ce qu’est un lieu intermédiaire et indépendant est complexe tant les expériences et les exemples sont multiples et variés. Chaque lieu se définit et se construit avec la somme des acteurs qui le constitue : ils sont issus du monde de l’art, de la culture, du social ou d’un certain militantisme politique. Un lieu intermédiaire naît souvent au sein de friches industrielles, d’espaces libres et vacants, après la désindustrialisation des centres-villes. Les questions d’art et de politique y trouvent une expression jusqu’alors inaccessible.
Ces occupations de lieux souvent précaires sont menées par des habitants d’un quartier, des militants et des artistes qui s’organisent et se structurent, parfois à partir de l’expérience du collectif, des événements culturels ou festifs mis en place. Leur force tient aussi dans la capacité d’adaptation et de remise en question des pratiques. En dehors des logiques d’exploitation capitalistes, ces lieux sont souvent à l’avant-garde de mouvements politiques, culturels ou de pensées.
Les initiateurs du mouvement des tiers-lieux se sont inspirés de ces pratiques. Quand la création d’un lieu intermédiaire et indépendant jaillit d’un manque, d’un besoin d’espace exprimé par des associations, des collectifs ou des habitants, s’efforçant alors à produire de l’espace public, la création de tiers-lieux relève quant à elle de la commande d’une instance publique ou privée telle que l’État, la ville ou la SNCF, qui cherche à occuper un lieu souvent temporairement. Les tiers-lieux doivent remplir un cahier des charges, des besoins dictés par le commanditaire. Les collectifs, qui peuvent d’ailleurs y prendre part et faire vivre ces lieux, n’ont pas la main sur leur activité ; ils ne sont plus décisionnaires. Il se dégage une différence de fond entre tiers-lieux et lieux intermédiaires : d’un côté un projet fondé sur l’espoir que la mise en présence de personnes dans un lieu suffise à le transformer en collectif, de l’autre un lieu fondé sur un collectif existant.
Frédéric Hocquard, vice-président de la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC) et adjoint à la mairie de Paris, affirme ainsi que « la diversité esthétique et culturelle, l’émergence ou les nouvelles formes sur le plan économique de rapports aux artistes, aux publics, se trouvent dans ces lieux. C’est l’avenir pour ce qui est de la réflexion sur les questions de politique publique. Il y a un problème avec la labellisation : c’est un circuit fermé, tout préexiste, alors que les réflexions nouvelles sont à chercher du côté de ces initiatives. »
Un exemple de lieu intermédiaire : POL’n
Situé entre le centre-ville et l’île de Nantes, POL’n est – comme nous l’avons écrit précédemment – un lieu d’expérimentation et de mutualisation pluridisciplinaire, géré collégialement et bénévolement par une douzaine d’associations artistiques et culturelles.
Comment la démocratie se concrétise au sein de POL’n ? « Au sens premier du mot démocratie, le pouvoir du peuple par le peuple, nous répond Céline Redureau, coordinatrice du lieu. Ici ce sont les usagers du lieu qui ont le pouvoir sur POL’n, il n’y a pas de directeur ou de directrice. C’est bien l’ensemble des associations qui ont la coresponsabilité et la cogestion de ce lieu. Elles discutent et trouvent des consensus pour prendre des décisions. S’il y a des voix contre une proposition, elles ont toute liberté d’expression. »
Si le débat est toujours valorisé, Céline Redureau reconnaît que l’enjeu est de parvenir à une majorité. « En seize ans de fonctionnement, poursuit-elle, nous avons appris à avoir un espace d’expression pour toutes et pour tous. Nous privilégions parfois le petit groupe plutôt que le grand groupe, car il faut prendre en compte le fait que des personnes peuvent avoir des difficultés à prendre la parole en public. Le petit groupe permet de passer par l’écrit, de prendre le temps. On expose, on digère, on discute puis, lors d’une autre réunion, on décide. »
Des mises en réseaux indispensables
Des lieux intermédiaires et indépendants tels que POL’n, il en existe quelque deux cents sur le territoire français. C’est du moins le nombre recensé sur le site de la Coordination nationale des lieux intermédiaires et indépendants (CNLII), constituée en 2014. Les lieux se définissent intermédiaires et indépendants, puis rejoignent la CNLII selon un principe d’auto-détermination. Les membres s’engagent alors par la signature d’une charte. Rejoindre la CNLII demande de documenter ses pratiques depuis son territoire et de soutenir la mise en œuvre de coordinations régionales.
« Il est pertinent de trouver des unités territoriales qui fonctionnent, d’inventer des formes de structurations dans une logique immanente au terrain, explique Jules Desgoutte, co-coordinateur Artfactories/autreparts, à l’occasion du forum organisé par POL’n. Nos pratiques ne sont effectivement pas modélisables ; elles se construisent depuis des histoires, avec des acteurs et des récits communs. Il faut structurer à l’endroit où c’est possible et non depuis une pensée verticale. L’un des enjeux de la CNLII est d’articuler ces récits à une échelle trans-locale pour leur donner une puissance d’agir. »
L’époque paraît notamment propice aux dynamiques régionales : l’Assemblée des lieux intermédiaires de Marseille vient d’être créée à la mi-janvier 2020, tandis que la Bretagne a vu naître le Collectif Hybrides et que les lieux de la région Pays-de-la-Loire commencent à se parler en vue d’une nouvelle mise en réseau. Par ailleurs, le réseau Actes If œuvre déjà – et depuis 1996 – en Île-de-France à la concertation, à la mutualisation et à l’accompagnement inter-lieux. Ces réseaux régionaux ont la volonté de rendre visible leurs actions en tant que lieux de fabriques et de possibles.
En savoir plus : enregistrements intégraux du forum organisé par POL’n aux BIS
.